Zabou the terrible

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Lettre ouverte à monsieur le directeur de la collection de la Pléiade

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Monsieur,

            Je vous écris afin de vous faire part de mon désarroi, et même de mon indignation profonde, face à ce qui me semble être une injustice : la non publication de l’écrivain français Joris-Karl Huysmans dans votre collection. Je ne connais certes point les raisons qui ont pu vous conduire à un tel choix mais j’aimerais partager avec vous celles qui me font considérer ce jugement comme une erreur.

            Si je vous disais qu’avant tout, c’est parce que cet écrivain est mon écrivain préféré, vous trouveriez cet argument risible et vous auriez bien raison. Ma lettre finirait alors au fond de votre poubelle, accompagnée d’un ricanement sordide et d’un haussement d’épaules. Pourtant, ce n’est pas risible : il est mon écrivain préféré, certes, mais il y a des raisons qui se cachent derrière cette affection que je lui porte et que d’autres pourraient à leur tour lui porter s’il était mieux connu. Pourquoi cette réclamation pour Huysmans ? Je pourrais vous retourner la question : et pourquoi pas après tout ? Pourquoi Claudel si l’on passe par là ? Attention, je n’ai rien contre Claudel, bien au contraire, je trouve admirable son Soulier de Satin et L’Annonce faite à Marie notamment mais il n’a pas le droit d’éclipser l’un de ses condisciples sur les voies étroites et escarpées de la conversion ! Car Huysmans est un cas bien unique !

            Relisons ensemble, si vous le voulez bien (de toute façon, vous restez maître d’acheminer cette missive vers son cimetière quand vous le souhaitez), quelques points qui me semblent essentiels dans la vie et dans l’œuvre de ce cher Joris-Karl. Au pire, nous pourrions laisser de côté sa période « naturaliste pur » et encore, cela se discute : sa première nouvelle Sac au dos, n’est-elle pas déjà incroyablement troublante de modernité ? N’y percevez-vous pas déjà les prémices d’un personnage qui trouvera son accomplissement en Bardamu, chez Céline ? Il est difficile de mettre certaines de ses œuvres de côté tant celles-ci ont trait au cheminement personnel de l’auteur. D’ailleurs, la plupart de ses héros sont des héros qui ne se fixent pas réellement, qui sont toujours à la recherche de quelque chose de plus grand, de plus beau face au monde qui ne leur renvoie qu’une image fade et ignominieuse.

            Je ne vais pas m’attarder plus longtemps sur cette époque « huysmansienne » car j’aimerais désormais m’attaquer à ce qui est considéré comme le « must » de l’œuvre de Huysmans -à raison selon moi- : A rebours. O curieux roman où il se passe tout et rien à la fois ! Pas, ou en tout cas très peu, d’actions tout au long du livre. Et pourtant, toute l’incroyable misère humaine de celui qui est perdu en chemin, qui recherche les sensations les plus folles, qui se bâtit en rêve un monde, le sien, plus beau. On l’a qualifié d’archétype du roman décadent : je ne sais s’il mérite cette épithète mais ce livre est un chef d’œuvre, unique, vraiment. Relisez l’admirable scène du dîner funèbre, organisé pour faire le deuil de sa… virilité ! Relisez la description de cette pauvre tortue, victime de l’imagination débridée du héros ! Que d’imagination mais également… que d’érudition ! Perversion perversion que tout ceci, me répliquerez-vous peut-être. C’est possible mais je crois que Des Esseintes est avant tout un brave gars, ayant ses travers comme tout un chacun, chez qui est présente, comme chez l’auteur, une soif ardente d’Absolu : c’est la source de son malheur –et de sa folie, il faut aussi le constater- dans ce livre. Selon le mot très connu de Barbey d’Aurevilly, après un livre comme celui-ci (je cite de mémoire) « l’auteur n’a plus qu’à choisir entre le canon d’un pistolet et les pieds de la croix » ce à quoi Huysmans répond dans la Préface écrite vingt ans après (je cite toujours de mémoire) : « c’est fait»

            Oui, je ne vous le cacherai pas, Huysmans me touche encore par son itinéraire de conversion. « Ah, encore une catholique ! ». Certes. Mais je pense que la recherche de Huysmans, retranscrite par celle de Durtal dans les romans successifs : Là-bas, En route, la Cathédrale et L’Oblat est à même d’intéresser tout le monde ou, tout au moins, ceux qui cherchent un sens, confrontés à l’absurdité d’une vie qui semblerait inutile et vide, qu’ils aimeraient "remplir". L’itinéraire de Durtal est remarquable à ce titre car complètement en dehors des sentiers battus puisqu’il va du satanisme jusqu’à l’oblature bénédictine ! Et vous voudriez priver vos lecteurs de la lecture d’un tel cheminement ? Ensuite, en tant que catholique appréciant le monde bénédictin, je suis, il est vrai encore plus particulièrement touchée par certains passages du livre. Tenez, prenez le récit de la conversion de Durtal lors de sa confession au prieur de la Trappe, dans En route : quel catholique ayant un jour fait l’expérience d’une confession bouleversante ne se sentira pas pris aux tripes en lisant cela ? Comment ne pas être touchés par les combats et par certains questionnements si puérils et si stériles de Durtal ? Comment ? Trop de liturgie de façon générale ? Il ne faut pas exagérer : Huysmans aime la liturgie, cela se voit, cela se sent (il l’avoue lui-même : « je suis un morphinomane de l’office ! »), mais il fait tout de même œuvre de pédagogie en expliquant les éléments de celle-ci ! Et puis, vous avez sans nul doute des lecteurs catholiques de votre côté.

            Et ce n’est pas non plus sur son style que vous pourrez attaquer cet auteur ! On peut aimer ou ne pas aimer, c’est le droit de chacun mais on trouve chez lui une recherche de l’épithète, du mot juste qui lui est propre. L’originalité est certaine. Sincèrement, il n’y a que chez lui que j’ai un jour entendu parler des « ptomaïnes » (dans En rade, je crois) !

            Je vais m’arrêter là car je pourrais en parler des heures et vous avez peu de temps à votre disposition, je suppose. Mon plaidoyer est ce qu’il est mais je peux le compléter sur demande ! Vous allez certainement me répliquer qu’en tant qu’éditeur, il vous faire des choix et ceci, au quotidien. Je ne le nierai pas. Mais, monsieur, Huysmans était un Grand. Et quel plus beau cadeau faire à cet écrivain qui aimait tant la Beauté que le publier dans une belle édition, en cette année où nous fêtons le centenaire de sa mort ?

Une étudiante en Lettres.

 

Commentaires

1. Le lundi, avril 10 2017, 18:50 par mike hicks

mouais ...
dix ans déjà...
et toujours pas édité...
alors que le format pleiade est tout indiqué pour huysmans...
comme un écrin tout de préciosité...
contrairement à céline qui prend sa dimension à être lu dans des éditions de poche de préférence usées tachées griffonnées...

bref les éditeurs sont des marchands...

2. Le jeudi, avril 13 2017, 16:22 par Zabou

Hélas... mais qui sait ? Un jour ? Dans 10 ans ? 

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