Zabou the terrible

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Au fil des lectures estivales : Les deux étendards de Rebatet

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         Avant toute entrée en matière, je tiens à m'excuser auprès de mes lecteurs pour la longueur du billet que je vais leur infliger mais je m'ennuyais ferme dans le car en Islande parfois alors j'ai noirci du papier. Mais c'est MON blog alors, zut ! Tire la langue
 
Les Deux étendards de Lucien Rebatet :
 
          Et nous voici face à un livre honni parce que son auteur ne rentrait pas dans le moule du "politiquement correct", la preuve : ce livren'a été réédité qu'il y a quelques mois ! La censure, plus insidieuse peut-être, aurait-elle encore son mot à dire en 2007 ? Dans tous les cas, il subsiste la censure morale, encore pire... Heureusement, -ou malheureusement, cela dépend du point de vue que l'on choisit- Rebatet est un auteur peu connu, au delà de quelques personnes, d'une part des "piqués" de littérature et, d'autre part -hélas, mille fois hélas- d'une insupportable coterie de "bien pensants" jugeant l'homme sur ses choix politiques et ne connaissant nullement l'écrivain.
 
           Je peux donner l'impression de m'énerver en noircissant tant de lignes sur ce sujet et non sur l'oeuvre et oui, il y a bien un peu de cela. Je suis sans doute naïve mais, pour moi, la littérature, c'est d'abord un livre, une plume qui me plaisent : c'est cela la littérature ! Après si l'on est sous le charme, on s'intéresse à l'homme qui a passé tant d'heures devant le papier : on peut apprécier ou non ce que l'on découvre mais cela ne doit en aucun cas intervenir dans notre jugement de l'oeuvre. Quel manque de liberté, quelle preuve d'un esprit bassement rampant que celui qui fausse son jugement propre en le retranchant derrière des contingences politiques ! Et l'on ne réédite plus un chef d'oeuvre parce son auteur n'a pas été "tout beau, tout propre" durant la 2nde guerre mondiale... et même avant. Et l'on répètele mot "liberté" à longueur de journée. Et l'on se dit "modernes", "larges d'esprit"... Beurk, cela m'écoeure. Et pourtant, non, je suis bien loin d'appartenir à l'extrême-droite (je condamne le comportement de l'écrivain) et je défendrai de la même manière l'accès à un roman dont l'auteur serait communiste, anarchste ou je ne sais quoi encore d'autre !
 
            Vous savez, j'ai lu ce livre à différents endroits mais j'en ai lu la majeure part en Islande et des passages conséquents quand le car traversait des déserts. Eh bien, au moment de sortir ce livre de mon sac, au vu et au su de tout le monde puisque chacun s'épie un peu durant un voyage organisé, j'étais partagée entre deux sentiments : une certaine fierté, bien puérile, bien imbécile aussi, de ne pas exhiber un misérable "roman de gare" comme tant d'autres et la peur de me faire cataloguer comme une jeune facho à cause de mes lectures ! (Ndlr : au filan, personne ne semblait connaître Rebatet ;-) ). Ridicule ? Peut-être mais pas tant que ça quand je me souviens des réactions qui entourèrent ma lecture du Voyage au bout de la nuit, pourtant classé comme un grand classique de notre littérature. J'ai du faire le tour du roman avant l'ouverture : ouvrons-le désormais avec une délicate avidité.
 
 
             Chef d'oeuvre ? J'ai peut-être exagéré un peu plus haut. Alors, les deux étendards, simple histoire d'amour d'une pette bourgeoise aspirant à découvrir autre chose que la médiocrité intellectuelle du milieu dans lequel elle évolue ? Simple quête vocationnelle si classique dans notre monde ancré dans la culture judéo-chrétienne ? Petit roman de moeurs sans envergure ? Non, les deux étendards, c'est bien plus que cela (... devrais-je dire si je faisais de la pub).
 
              Au centre du roman, il y a une trinité, la trinité Michel / Anne-Marie / Régis qui prend encore une autre dimension quand on sait que celle-ci est loin d'être purement fictionnelle et que Michel Croz = Lucien Rebatet, qu'Anne-Marie = Simone C. et, surtout que Régis Lanthelme = François Varillon, grand jésuite du début du XXème siècle et toujours aussi lu à l'heure actuelle (on pense notamment à son grand best-steller Joie de croire, joie de vivre ou encore à L'humilité de Dieu, livre qui enchanta une mienne retraite) et qui a réellement vécu un épisode similaire à la fameuse "nuit de Brouilly" avec une jeune demoiselle. Savoir cela est à la fois exaltant et troublant : où s'arrête la réalité ? Où comment le roman ? Je ne peux pas croire que François Varillon fut un salaud comme Régis, engoncé dans de terribles convictions... même si nousavons tous nos heures sombres, encore plus semble-t-il quand nous sommes jeunes, et exaltés. Mais je pars dans tous les sens et vais égarer mes lecteurs qui s'accrochent encore à me lire...
 
              Mettons les choses bien en place : 3 personnages principaux avec des relations triangulaires qui se compliquent par leurs rapports personnels avec Dieu ou avec la religion catholiqe. Ainsi, voici les grandes lignes de ces relations :
 
¤ Régis :
--> aime Anne-Marie d'un amour "pur", mystique.
      --> meilleur ami de Michel.
--> vocation sacerdotale et de jèz'.
 
¤ Anne-Marie :
--> aime Régis, d'abord du même amour (penser rentrer au couvent) mais qui est en réalité aussi très humain, sous une forme idéalisée.
--> considère comme un bon ami avant de finalement tomber dans ses bras, lors de la "défection" de Régis.
--> d'abord croyante fervente, voire dévote, elle se "mécréantise" sous l'influence de Michel.
 
¤ Michel :
--> meilleur ami de Régis (voir en parallèle une autre amitié, avec Guillaume).
--> tombe sous le charme d'Anne-Marie dès la première rencontre (Ah... Le Six Janvier !)
--> tente de se convertir pour retrouver ses amis dans leur aventure mystique avant de devenir un "agnostique - athée"
 
               Banales ces fiches d'identité ? Oui, oui, peut-être, mais desservies par une science du verbe (ou du Verbe ?) que Rebatet possède sans conteste : chez lui, le style semble s'affranchir de tout convention et l'on est subjugué par les "dérapages" verbaux des jeunes lycéens  puis étudiants autant que des discussions théologiques ultra-pointues sur le logos ou sur le Uios tou anthrôpou par exemple (désolée, je n'ai pu m'empêcher le plaisir de caser un peu de grec). Quelques passages semblent plus faiblards mais on a un réel plaisir à lire : 1er bon point.
 
              L'histoire. Elle dépasse les genres, les "petites cases" où l'on pourrait la ranger : on se sent souvent pris au corps par elle et je ne pouvais m'empêcher de pester intérieurement parfois. Oh les belles pages qui narrent la recherche de Michel ! Oh, le blasphémateur charmant que devient celui-ci après sa conversion ratée ! Enfin, charmeur plutôt que charmant. Rebatet est partial et Michel apparaît parfois bien grandiose à côté d'un Régis coincé à l'intérieur de lois qui apparaissent comme extérieures à lui-même, image d'un catholique qui lutte mais dont le combat s'apparente trop souvent à une quête de la perfection qui n'est pas, rappelons-le, celle de la sainteté. Un Régis magnifique quand il est sur les sommets de la mystique et de Brouilly, un Régis détestable quand il incarne, plein d'orgueil, un mauvais catholicisme, qui aurait oublié, justement, l'Incarnation. L'humanité, Régis, l'humanité : c'est ce qui te manque... Mais n'est-ce pas une trace de la "patte" de Rebatet, d'un Rebatet encore marqué par l'histoire qui fut à la source de ce roman ? D'un catholicisme plus rigide, celui du début du siècle, privilégiant peut-être certaines convenances au détriment du coeur de la Foi ? Ou d'un roman voulant mettre en exergue une dualité de points de vue ? Michel est souvent montré de façon positive mais constatons que ses attaques tournent à l'obsession et donc au ridicue !
 
              Quant à Anne-Marie, elle est un personnage fantasque, irrémédiablement coincée entre deux pôles qui l'attirent et la repoussent successivement, entre l'humain et le divin, deux pôles dont elle garde en elle la brûlure et qu'elle ne peut parvenir à concilier, de même que sa spiritualité doublée d'une aspiration à "l'intellectualisme". Bref, elle se consume et finira dans l'errance, éternelle insatisfaite, gardant la nostalgie d'un Absolu frôlé.
 
              Les deux étendards... C'est initialement le titre d'une méditation de St Ignace de Loyola sur le choix de la bonne bannière, divine ou diabolique. Mais cela me faisait aussi songer au titre de l'hymne "Vexillum Regis", l'étendard du roi, que mon cerveau eut tôt fait de transformer en étendard de Régis. Ce livre, c'est en effet comme deux drapeaux, trempés dans la même terre y pompant leur sève et arborant fièrement leurs couleurs dans des directions opposées. Pleins de fougue et de certitude, l'un comme l'autre, ils luttent fièrement contre le vent qui leur permet en réalité de se déployer dans toute leur envergure. A la jonction des deux, au niveau du sol, reste Anne-Marie, pauvre victime, n'ayant plus le moyen de s'élever à ces hauteurs que par le biais de son regard, fasciné et désespéré.
 
Isapdlg, 9-10 Août 2007
 

Commentaires

1. Le samedi, décembre 29 2018, 13:55 par occulte

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