Zabou the terrible

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L'inconnu des Lilas

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                Il est tard quand je prends le métro, ce soir, dans un quartier de Paris que je connais mal. Le nom est fleuri, pourtant. Je m’assois, attendant le départ, et regarde d’un air dubitatif les grandes feuilles noires que l’on vient de me donner. On m’interpelle : « Oh, quels jolis croquis mademoiselle ! » Et merde, me dis-je, encore un dragueur (en fait, non, j’ai pensé à un mot qui terminait pareil mais qui commençait par chi). En plus, ça se sent que le mec, il ne me connaît pas : il aurait lu mon blogue, il aurait su que je dessine comme un pied avec ma main. Enfin, il n’y a pas que des lecteurs de ce blogue, il est vrai, il faut de tout pour faire un monde.

Ce n’est certes pas la première fois que je me fais draguer dans le métro, dans le train ou autres, à me demander s’ils espèrent vraiment quelque chose ou occuper leur temps. En général, je cause, je noie le poisson et on en reste là. Enfin là, voilà, j’étais préoccupée, je sortais d’un examen médical et je ruminais un peu, l’esprit pas vraiment tranquille et encore moins disponible. Et c’était que le mec insistait. Un peu, beaucoup. Je commençais presque à m’inquiéter et à mobiliser mon esprit. Vous voyez, l’examen en question -et donc les grandes feuilles noires qui n’étaient nullement des croquis- concernait mon genou et le type prenant prétexte de cela de s’approcher, un peu, beaucoup. Voulant toucher, palper, embrasser. Un peu, beaucoup, encore. Et puis quoi encore ? C’est le fait d’un malotru et d’un grossier personnage ! Malheureusement pour lui, j’ai un caractère sauvage, abhorrant les contacts tactiles non autorisés par moi-même (oui, je sais, je suis sans doute une chieuse aussi) et puis, surtout je suis une judokate sachant cogner. Or là, je pensais sérieusement à cogner et préparais ma stratégie de coups en cas de problèmes.

Les stations défilaient à une lenteur peu commune : je ne pensais pas la ligne 3bis si longue. Parce que dans le fond, je joue à la dure mais je n’aime pas cogner sauf en cas d’absolue nécessité. Là, on était limite, les yeux et les paroles louches en sus : je restais prête à lever mon genou au moindre geste déplacé. Détachant mes yeux un court instant, c’est là que je le vis, lui. Je ne sais pas qui il est. Ni d’où il venait, ni où il se rendait : je n’ai rien su de lui mais il était là. Je l’imagine bien dans le type de certains papas marocains que j’ai vus l’été dernier, protecteurs de leur fille. Pas un mot n’est passé entre nous mais un regard. Un simple regard mais de quelle qualité ! J’ai su qu’en cas de problème, je pouvais compter sur lui. Quand le type bizarre m’a accompagnée au moment où je changeais de métro, il est venu lui aussi, juste derrière, très discrètement en écoutant ce qui se disait. Quand il a vu que j’avais désamorcé la chose par la parole, il est parti, vite, et je n’ai donc pu le remercier. Ce soir, il fut mon ange gardien, dans la discrétion. Je rêve de le remercier de sa fabuleuse pépite d’humanité.

                Et la fin ? Par des paroles, en lui racontant quelques histoires, peu à peu, le type s’est calmé (Ô puissance des paroles ! Je frémis de voir combien il est facile de l’asservir pour qui sait) et a parlé par fragments de sa vie. Ancien SDF, il était aussi ancien taulard pour agression contre une amie dans un bar, il en était sorti depuis peu et avait enfin trouvé un petit poste. La vie restait dure. Il craignait de retourner en prison. Il m’a dit sa douleur, il m’a dit sa solitude. Il m’a dit sa crainte du regard des autres. Il m’a dit son manque d’idéal. A la fin, il m’a aussi dit tout son respect et, un peu embarrassé, ne sachant comment le tourner qu’il s’excusait. J’ai répondu simplement par une bise en lui murmurant courage.

               Ce soir, je peux vous l'avouer : j’ai vraiment eu peur.

               Et, finalement, je me suis trouvée entre deux anges : un gardien bienveillant comme envoyé là pour moi, un ange déchu que j’ai aidé -oh un tout petit peu seulement et je ne fais que l'espérer- à reprendre soin de ses ailes inemployées. Pour qu’un jour, il s’élève vers d’autres cieux, plus cléments, ceux auxquels il est destiné de toute éternité.

 

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