Zabou the terrible

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Dans la ville

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Paris, le quartier saint-Lazare, début décembre : les gens courent, dans le froid le plus vif, se pressant les uns contre les autres. Oups, pardon ! Et déjà, on file et on s’entrechoque un peu plus loin, de tous bords. On y entend des langues étrangères aussi, des accents qui chantent des contrées plus ensoleillées mais tous sont là, se pressant d’acheter la chose qui ferait plaisir, le cadeau unique, introuvable mais partout présent : foule qui grouille de partout, comme d’immondes asticots sur une charogne en décomposition, celle de la consommation.

 

Dépenser, acheter… frénésie du porte-monnaie, danse des estomacs qui se préparent à gueuletonner férocement. Je n’ai rien contre mais pourtant je constate peu, si peu de sourires. Preuve d’un malaise ?  

 

Je fends à mon tour cette foule pour acheter un sandwich. Et, comme toujours, je suis saisie par le contraste du lieu, autre malaise. Ces gens tout empaquetés et ces dizaines de SDF, n’ayant rien d’autre que leurs couvertures. Ces gens tout pressés et ces autres assis, posés, tendant une discrète main, disséminés un peu partout autour de la gare, dans ce froid si vif qu’il saisit autant les corps que les esprits. Et je suis mal à l’aise.

 

Donner… pas donner… ? La question est toujours délicate et j’ai honte, souvent, de donner aléatoirement à un tel plutôt qu’à un tel. Mais ils sont si nombreux et je ne gagne pas encore ma vie ! Mauvaise excuse : ce n’en est vraiment pas une et, même si je ne donne pas deux fois de suite au même le malaise demeure : comment réagir autrement face à la pauvreté ?

 

La solution serait de se protéger, d’être blasée, de devenir insensible à la misère, de ne plus être révoltée mais d’accepter, résignée. Ou, quand on est croyant, quand on est chrétien, de tout confier à Dieu et hop, plus de problème ! Mais si prier est bien, si prier est excellent, Dieu n’a que nos mains, à nous : que fera-t-il si elles restent immobiles ?Il est pourtant tout à fait illusoire de croire a contrario que notre activisme forcené suffira à résoudre le problème : c’est faux, béat et naïf. Bref, complètement à côté de la plaque. Que faire ?

 

Comme chacun, je n’ai pas la solution idéale sinon le « chacun à sa mesure » mais je pense que ce que nous pouvons demander en tant que croyants, c’est que Dieu nous aide à nous scandaliser, à ne jamais jamais nous habituer : c’est ainsi que naîtront toujours le plus de solutions, par la recherche d'un "comment", chaque fois, chaque jour, à cet insupportable frottement sur le cœur. Même si c'est désagréable.


Puis ensuite à transfigurer l’ensemble de l'univers mercantile par la douce lueur d’un sourire. Ce n’est pas grand-chose mais les petites illuminations de Noël ne tiennent-elles pas le coup plus longtemps que les autres ?

Commentaires

1. Le dimanche, décembre 13 2009, 03:35 par frasby

Un bonjour pour Zabou dans la ville.
Quelques souvenirs de Paris en période de Noël. Paris est beaucoup cruel que Lyon (qui a aussi tous ces centres d'accueil de sdf plein à craquer en hiver et ses rues de gens à genoux avec des pancartes), mais Paris semble être la ville où se réfugie la misère. Elle y est plus voyante, criante... Que faire ? Question difficile... Un sourire je ne sais pas, parler parfois, si ça peut se faire, (sans pour autant parler pour faire une bonne action), juste parler, ça peut être humainement interessant, réciproquement interessant...

2. Le dimanche, décembre 13 2009, 13:07 par solko

Paris est une ville plus dure oui, pour tous. Naguère, il n'y a pas si longtemps, un clochard l'était rarement par nécessité absolue, mais par choix. J'ai connu cela dans mon enfance. A présent, le désengagement de l'Etat et l'avarice intransigeante des banques ont jeté dans la rue de plus en plus de gens. Comme le dit Montaigne à la fin des "Cannibales": "ils trouvaient étranges comme ces moitiés ici nécessiteuses pouvaient souffrir une telle injustice qu'ils ne prissent les autres à la gorge ou missent le feu à leurs maisons." Mais l'ordre le plus inique règne, à gauche comme à droite.

En réalité, quand le problème est politique, et à ce point fabriqué en amont par des êtres sans autre conscience que leurs carrières et leurs réélections, il n'y a pas de solution individuelle ni même religieuse qui soient satisfaisantes.
Bon dimanche néanmoins.

3. Le lundi, décembre 14 2009, 13:18 par Zabou

@ frasby : oui, parler, parfois, encore, toujours... quand c'est possible. Et cela est bon ! Mais il faut le pouvoir et ce n'est pas toujours le cas. Le sourire est quant à lui plutôt une attitude générale, l'attitude du vrai réchauffement climatique qui ne fait pas de mal quand le climat tombe dans le consumérisme effréné... et que j'aime bien :)

@ solko : sans doute... ma jeunesse ne me donne pas encore, je pense, le recul nécessaire. Alors, je cherche une solution individuelle que je ne trouve que dans cet "inconfort", cette gêne qui me saisit quand je me promène nez au vent dans Paris : indignation vitale à conserver, me semble-t-il.

En tout cas, merci pour cette citation de Montaigne et belle semaine à vous !

4. Le lundi, décembre 14 2009, 14:43 par Artémise

Bonjour Zabou,

Moi aussi, j'ai ce sentiment de faire quelque chose de déplacé, lorsque je fais des courses dans Paris, en particulier au moment des courses de Noël.
Il y a peu, par exemple, l'Époux m'a fait cadeau d'un manteau de prix très élevé - cadeau de mariage, en fait. Cadeau qui parait "de trop" - surtout que j'ai déjà un très beau manteau. L'euphorie passée, j'ai eu un mouvement de honte. Évidemment, il aurait aussi été déplacé de refuser le cadeau et je le porte avec d'autant plus de plaisir qu'il m'a été offert par mon mari.

Nous gagnons honorablement nos vies, nous donnons à des associations, je mets toujours un "sou" supplémentaire lorsqu'à la messe il y a une quête "pour les pauvres"... On ne sait comment s'en sortir : ce que nous faisons suffit-il ? Le pincement au coeur qui n'est pas suivi d'un acte de charité, n'est-il pas hypocrite ?

Je n'ai pas encore résolu la question...

5. Le lundi, décembre 14 2009, 16:31 par etienne

Bonjour Zabou,
Juste un petit temoignage: je fais partie d'une conference st vincent de paul "jeunes" dans Paris, et dans ce cadre nous sommes amenés (entre autres) a aller à la rencontre des personnes de la rue, tous les lundis soir. Ces rencontres peuvent etre belles et apaisées, d'autres peuvent etre désespérantes.
Ma conviction est qu'un seule chose compte vraiment dans notre relation avec ces personnes, comme avec toute autre personne: se rendre présent.
Présent à l'autre, à sa souffrance, à sa colère, à son histoire. Malgré tout. Malgré ses incohérences, son aspect physique, ses errances.
Ce service que je vis depuis quelques années maintenant est un école de l'espérance, et étonnamment, elle m'aide à vivre, non pas par comparaison avec la (pauvre) vie de l'autre, mais parce qu'elle me remet en lien avec tout l'homme.
Dès lors, la question "faut-il donner?" devient seconde (cependant je ne prétends pas avoir la réponse à cette question).
Merci pour tes billets,
Etienne

PS: au cas où, quelques associations chrétiennes qui oeuvrent auprès des gens de la rue à Paris: les conférences St Vincent de Paul (www.ssvp.fr), Aux captifs la libération (www.captifs.fr), Secours Catholique (www.secours-catholique.org).

6. Le lundi, décembre 14 2009, 18:40 par ex-assum

... je donne toujours au même, en plus j'ai l'impression qu'il vient m'attendre exprès à la sortie du boulot, je m'inquiète quand il n'est pas là !... il a du soleil dans les yeux et un physique à sortir d'un roman de Dostoïevski version pèlerin russe, d'ailleurs on n'est pas très loin de la cathédrale Saint Alexandre Nevski, il fait dix ans de plus que son âge, il en paraît 70 alors que ce doit être un petit jeune de 60 ans, il semble se contenter de peu pourvu qu'il ait à boire et à fumer, alors oui il faut donner le nécessaire car ce ne seront pas les organisations charitables qui le feront à notre place, et pour lui la vie vaudrait-elle encore d'être vécue sans ces simples consolations... il n'est pas du genre à attendre toute la journée le repas du jour pour recommencer le lendemain et qui voudrait de lui aujourd'hui, il est vieux, il n'intéresse plus personne

7. Le lundi, décembre 14 2009, 18:45 par Marie

@ex-assum : "il est vieux, il n'intéresse plus personne", sauf toi, et je crois que c'est ce qui est important pour lui. Fraternellement.

8. Le mercredi, décembre 16 2009, 00:20 par Zabou

@ Artémise (pfiou, va falloir se faire à votre nouveau nom !) : oui, pas simple... Et l'acte de charité trop "réglé" ne deviendrait-il pas un peu hypocrisie à son tour ? 

@ Etienne : bienvenue ici et merci pour ce témoignage !

Oui, être présent, laisser transparaître par ce biais une Présence, c'est une solution mais humainement pas toujours réalisable tant nous avons tendance à être "ailleurs", occupés ou distraits. Toutefois, c'est certainement un point fort et je comprends que cela marque... Il n'empêche que nous sommes humains, eux aussi, et que le "concret" nous échappe parfois, maladroits que nous sommes. Non, vraiment, ce n'est pas simple.

@ ex-assum (pourquoi ex ? Faut assum-er, m'enfin !) : ce récit donne envie de le rencontrer, au moins, ton protégé ! Et l'inquiétude qui te saisit lors de ses absences n'est-elle pas preuve d'amour plus forte encore que ce que tu donnes ? 

@ Marie : belle réponse ! :)

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