Zabou the terrible

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                   Le 20 octobre 1917 se termine le Journal de Léon Bloy et le dernier tome de celui-ci, intitulé La Porte des humbles. Sa femme Jeanne le clôt en narrant en une page la mort de cet écrivain si peu ordinaire. Page que je retranscris ici, en forme d’hommage à un écrivain qui m’est cher, en guise de remerciement pour ce journal dont la lecture de longue haleine – que je viens d’achever – est si fécondante pour la pensée, sous son apparente violence, ce qui est, je crois, le propre des Grands. Merci.



 

Conclusion

Fac ut videam

 

                Il était 6h et 10 minutes quand Léon Bloy rendait le dernier soupir en présence des siens : sa femme, ses filles, son filleul Pierre van der Meer et Georges Auric. C’était le samedi 3 novembre.

                Comme si on s’était donné rendez-vous, Félix Raugel arriva avec sa femme cinq minutes avant la mort ; il eut la joie chrétienne, ainsi que Jacques Maritain, d’ensevelir avec nous son grand ami.

                Qu’elles soient bénies les douces mains qui nous entourent à la dernière heure et qui parlent quand les paroles se taisent !

                Moment sacerdotal que celui du trépas d’un chrétien : Pretiosa in conspectu Domini, Mors Sanctorum ejus.

                Je ne puis détacher ma pensée du souvenir de ces dernières minutes. Tous nous semblions communier à la paix céleste qui accompagnait la mort de Léon Bloy, et après avoir souffert de sa souffrance nous nous sommes fortifiés de sa force.

                La peur de la mort lui était inconnue, et quand un jour, avant sa maladie, je lui ai demandé quel serait son sentiment en face de cet événement redoutable, il me répondit : une immense curiosité. – Et le côté physique ? lui dis-je. – Il n’agit pas sur moi, fut sa réponse.

                Les paroles citées dans la préface de Dans les Ténèbres : « Je suis seul à savoir la force que Dieu a mise en moi pour le combat ! » il les prononça à la fin d’une nuit douloureuse, quelques jours avant sa mort. Il ne se voyait pas encore mourir, mais ayant reçu l’Extrême-onction, son attention se détournait de plus en plus du monde extérieur, de son œuvre même, et devint intérieure.

                Il reçut avec bonté ses amis quand son état le permettait. L’un d’entre eux me fit la remarque : « Bloy a gardé le geste jeune, malgré son âge, malgré sa maladie. »

                Les derniers jours, son regard calme et pénétrant se dilatait et devint très beau, s’élevant sans cesse comme pour chercher au loin sa vision.

                Il a peu parlé pendant sa maladie, étant d’ordinaire absorbé intérieurement, mais souvent une parole de bonne humeur venait soudain nous soulager le cœur.

                Il ne se plaignait pas au milieu de ses grandes et douloureuses crises. Sans doute acceptait-il ces coups sans merci, le battement de son cœur comme son mea culpa, car il dit un jour avec douceur à sa chère filleule Raïssa : « J’expie la bassesse de ma nature… »

                Cher Léon Bloy ! Puissions-nous expier la nôtre avec autant d’humilité et de soumission quand notre heure sonnera !

                La fête de la Toussaint il reçut pour la dernière fois la communion, entouré de sa famille et de quelques amis intimes. Il a récité avec nous le Magnificat, pendant que la Liturgie du jour faisait entendre les paroles des Béatitudes sur ce Pauvre, sur tous les pauvres, membres de Jésus-Christ : Beati pauperes spiritu quoniam ipsorum est regnum caelorum.

Beati qui persecutionem patientur propter justitiam, quoniam ipsorum est regnum caelorum.

Beati estis cum maledixerint vobis, et perseduti vos fuerint, et dixerint omne malum adversum vos mentientes, propter me ; gaudete et exsultate, quoniam merces vestra copiosa est in caelis.

Je connais un prêtre, ami des pauvres, qui, ayant appris par dépêche, au moment de monter à l’autel, que Léon Bloy se mourait, fut bouleversé par la coïncidence des paroles liturgiques avec cette mort et en fit la lecture sous une pluie de larmes tant sa joie était grande et sa foi profonde en la miséricorde de Dieu sur ce grand Méconnu.

Le matin du premier samedi du mois des Morts, Léon Bloy put encore se lever. Il ne souffrait plus, me dit-il. Mais il dut s’étendre aussitôt.

La journée fut paisible. La faiblesse eut raison de sa merveilleuse constitution. Peu à peu, il s’assoupit et, vers le soir, à l’heure de l’Angelus, sans râle, sans agonie, il passa par la Porte des Humbles.

Quand ses traits furent fixés dans la mort, c’est alors qu’apparut son âme.

Aucune parole ne pourrait rendre la majesté, l’autorité, la sérénité de ce visage.

Vraiment ! Dieu l’avait marqué de son sceau, et il portait les paroles :

 

Celui-ci est à moi.

 

                Selon sa propre expression, parlant de son fils André, il avait l’air d’un Capitaine des Anges.

 

Requiescat in pace.

 

Jeanne Léon Bloy

Paris, 1919

in Léon Bloy, Journal, t. II, éd. de Pierre Glaudes, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1999


Commentaires

1. Le dimanche, janvier 31 2010, 09:43 par Maggy

En effet !

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