Zabou the terrible

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Foi(n) des autres ?

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        Dans Tactique du diable : lettre d’un vétéran de la tentation à un novice de C.S. Lewis, un démon expérimenté, Screwtape écrit à son neveu Wormwood, tout jeune démon, pour lui donner des conseils de « direction » de son « protégé ». Je trouve le passage suivant, certes un peu long, particulièrement succulent… et peut-être à méditer en ce mois de rentrée, notamment paroissiale !

 

Mon cher Wormwood,

 

J’ai appris avec un vif déplaisir que ton protégé est devenu chrétien. […] En attendant, il nous faut tirer le meilleur parti de cette situation. Il n’y a aucune raison de désespérer. […]

 

 

Pour l’instant, l’église elle-même est l’un de nos alliés les plus sûrs. Mais comprends-moi bien. Je ne parle pas de l’Église que nous voyons s’étendre dans l’espace et dans le temps, qui est enracinée dans l’éternité et qui est aussi terrible qu’une armée en corps de bataille. […] Mais, fort heureusement, il est caché aux yeux des hommes. Tout ce que voit ton protégé, c’est l’édifice en faux gothique qui se dresse, à moitié achevé, dans le nouveau lotissement. Quand il y entre, il voit l’épicier du coin se précipiter au-devant de lui et, avec ses manières onctueuses, lui remettre un petit livre luisant d’usure et contenant une liturgie que ni l’un ni l’autre ne comprend, ainsi qu’un autre petit recueil défraichi de textes corrompus d’une poésie religieuse souvent du plus mauvais goût imprimé en très petits caractères.

 

Quand il prend place sur son banc et jette un coup d’œil sur son entourage, il aperçoit justement ceux de ses voisins qu’il a pris soin d’éviter jusqu’alors. Tu peux t’appuyer très utilement sur ces derniers. Fixe son attention tantôt sur des expressions comme « le corps du Christ », tantôt sur le visage des gens qui sont assis autour de lui. Peu importe le genre de personnes qui l’entourent. Il peut y avoir parmi eux des partisans acharnés de l’Ennemi. Cela ne fait rien. Grâce à notre Père d’en bas, ton protégé est un sot. Il suffit que l’un de ses voisins chante faux, que ses chaussures craquent, qu’il ait un double menton ou des vêtements bizarres pour qu’il soit prêt à trouver ridicule la religion d’un tel homme. Au stade où il en est, l’idée qu’il se fait du chrétien est avant tout visuelle, bien qu’il la croie spirituelle. […] Le simple fait que les autres gens de l’église portent des vêtements modernes est pour lui – bien qu’il n’en soit pas conscient – une réelle difficulté. Veille à ce qu’il n’en devienne jamais conscient. Ne lui permets pas de se demander quel aspect doit avoir le chrétien. […]

 

Exploite à fond chacune des déceptions et des contrariétés que ton protégé ne manquera pas d’éprouver durant ses premières semaines de vie d’église. L’Ennemi permet ce genre de déconvenue au seuil de chaque nouvel effort humain. On la retrouve chez le jeune garçon qui, après avoir été captivé en entendant raconter les « Histoires tirées de l’Odyssée », est obligé de se mettre à l’étude du grec ; chez les amoureux qui, une fois mariés, doivent apprendre à vivre ensemble. Elle marque, dans tous les domaines de la vie, le passage du rêve à la réalité. L’ennemi prend ce risque parce que, par un étrange caprice, il entend faire de cette affreuse vermine humaine des gens qui, comme il le prétend, l’aiment et le servent « librement » - des « fils », comme il les appelle dans sa manie incurable de dégrader le monde spirituel par ce genre d’union contre nature avec ces animaux à deux pattes. Voulant sauvegarder leur liberté, il se refuse à les amener, par humeur ou par habitude, au but qu’il leur a fixé. Il les laisse « se débrouiller tout seuls ». C’est pour nous une occasion à ne pas manquer. Mais, ne l’oublie jamais, c’est également une passe dangereuse. Car, s’ils réussissent à dépasser ce premier stade de sécheresse spirituelle, ils attacheront beaucoup moins d’importance à leurs sentiments, et il sera, de ce fait, bien plus difficile à tenter.

 

Je t’ai écrit jusqu’à présent en présumant que les gens dans l’église ne donnaient prise à aucune critique justifiée. Si, au contraire, ton protégé apprend que la femme au chapeau bizarre est une fanatique du bridge et l’homme aux chaussures qui craquent un avare et un extorqueur, ta tâche se trouvera considérablement simplifiée. Tout ce qu’il te restera à faire, c’est d’empêcher qu’il ne fasse le raisonnement suivant : « Puisque moi, malgré ce que je suis, je peux me considérer comme un chrétien, je ne vois pas pourquoi les défauts des autres gens prouveraient que leur piété est hypocrite ou purement formaliste. » Tu te demandes, peut-être, s’il est possible d’empêcher l’esprit humain d’élaborer une idée aussi logique. Oui, Wormwood, certainement. Manœuvre bien. […]

 

Ton oncle affectionné,

Screwtape.

 

Commentaires

1. Le dimanche, septembre 26 2010, 18:23 par Incarnare

Je vouais déjà une admiration sans faille à C.S. Lewis, avec The Great Divorce, Mere Christianity et The Abolition of Man..

J'attends qu'amazon m'envoie Four loves, mais The Screwtape Letters fera sans doute partie de la prochaine commande ! Merci pour cet extrait.

2. Le dimanche, septembre 26 2010, 20:16 par Sidi

Je trouve cet extrait fascinant et ça donne envie de le lire et de le relire

3. Le lundi, septembre 27 2010, 11:53 par Nitt

Génial ! Merci pour ce passage fort délicieux !

4. Le jeudi, septembre 30 2010, 00:21 par Zabou

@ Incarnare : mon premier... et pas le dernier je pense ! Je crois même que je vais céder à la tentation d'en citer un autre passage ! ;-) 

@ Sidi : heureuse de te voir passer par là, j'espère que ta rentrée s'est bien passée ! Oui, je trouve aussi qu'il est très bon. 

@ Nitt : une majeure partie du livre est délectable... ne pas hésiter si tu le croises ! :-)

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