Zabou the terrible

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A ceux que l’on n’a pas connus

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Ce billet aurait dû paraître le 11 novembre mais un contretemps m’en a empêchée. Je le publie tout de même aujourd’hui.  

 

 

 

             Il s’appelait Roland, il avait 22 ans. Vous savez les poilus,  et ceux parmi eux « morts au champ d’honneur » on ne sait jamais trop qu’en dire. On hésite entre tristesse et glorification, entre dédain dégoûté de la bêtise, de notre bêtise humaine, des guerres et l’admiration pour des hommes qui ont donné leur vie, gratuitement.

 

Il s’appelait Roland, il avait 22 ans, il était sous-lieutenant. Il est mort le 26 septembre 1915 des suites de ses blessures. Il est cet arrière grand-oncle que je n’ai jamais connu, il est ce vide qui se creusa au cœur de tant de familles lors des guerres mondiales du xxème siècle.

 

 

 

 

Son frère, Paul, mon arrière grand-père, écrivit un petit livre à sa gloire. Plein de patriotisme, d’exaltation… – peut-être parce que, comme le dit Bakhtine « les morts sont aimés de façon différente. Retirés de la sphère de contact, ils peuvent et doivent être évoqués dans un autre style » – Alors, il écrivit d’une manière laudative, rapprochant cette mort du martyre, certes, mais où l’on discerne aussi en creux cette douleur d’un cœur et, malgré tout, cette foi. Elle n’est pas que l’histoire d’un seul mais aussi l’histoire de tant et tant d’autres : c’est pour cela que je transcris ici ces deux sonnets.

 

II

 

Tu m’écrivais dans cette angoisse de l’assaut,

Dont le plus aguerri ne saurait se défendre,

Qu’il fallait tout peser, qu’il fallait tout attendre,

Que le choc serait dur contre un pareil réseau.

 

« Priez, me disais-tu, voilà ce qu’il nous faut,

à nous que la mort guette et ne doit point surprendre.

Pourtant la chair frémit ; la bête peut se rendre.

Ah ! demande pour moi tous les secours d’En Haut !

 

Mais cette lettre-ce ne te sera donnée

Qu’après l’heure du Ciel sonnant ma destinée.

Quels qu’ils soient, j’en accepte à l’avance les coups !

 

Si je meurs, vous serez plus fiers de votre frère ! »

Nous sommes fiers de toi ! … Mais comment nous distraire

Du vide que la gloire a creusé parmi nous ?

 

XXXVIII

 

Ô mon Frère, pourquoi faut-il que notre bouche

Se ferme si souvent à l’heure des aveux ?

Et pourquoi sommes-nous si secs et si nerveux

Dans une intimité que l’orgueil rend farouche ?

 

Pourquoi nous taisons-nous, quand un regard nous touche,

Un sourire, une main qu’on presse, des cheveux,

Où roulent, semblent-ils, en volutes, des feux

Qui sont nos feux, issus d’une commune souche ?

 

On rit ensemble, on s’aime, on a les mêmes yeux,

Le même sang ; pourtant l’on est silencieux,

Et l’on ne se dit rien de ce qui nous oppresse.

 

Il faut que la mort frappe, alors les cœurs s’ouvrant,

Laissent, dans l’abandon d’un orgueil qui se rend,

S’écouler librement le flot de leur tendresse.

 

 

Il s’appelait Roland. En ce jour de souvenir, j’aime simplement me souvenir de toi, avec tendresse et gravité mêlées. Et, sans te voir héros mais en te voyant homme, j’aime ce soir, mêler ton prénom à mon Magnificat.

 

Commentaires

1. Le samedi, novembre 13 2010, 16:39 par David

merde, j'ai pas de frère
chouette, y a plus de champ d'honneur, ou plus trop, ou alors ils ne sont plus d'honneur.

que nos vies soient sa louange

2. Le samedi, novembre 13 2010, 21:25 par Zabou

@ David : tu n'en as donc pas une multitude ? Ah, à moins que ce ne soit de fils et de filles ? Les deux ? Pfff, je comprends plus rien moi... 

+1 à la fin de ton comm' :-) 

3. Le dimanche, novembre 14 2010, 06:36 par Nitt

En même temps que les feuilles mortes et un peu de la même façon, ce sont les billets porteurs et pleins de beauté et de douceur qui se répandent...
Merci Zabou.

4. Le mardi, novembre 16 2010, 14:11 par Vianney

Ce 11 novembre au matin, avant de partir prêcher une petite récollection, j'ai dit l'office des morts, comme chaque 11 novembre. Sans oublier saint Martin, mais en le disant avec lui, lui qui sait ce qu'est un champ de bataille !

Je ne suis pas d'accord avec David : il y a des morts au champ d'honneur chaque jour que Dieu fait, malheureusement. Aujourd'hui encore, des hommes mourront pour une cause, bonne ou mauvaise peut-être, mais ils mourront au champ d'honneur. Même si ce sont des ennemis. Même si tous ne le feront pas avec honneur.
La guerre est une circonstance effroyable, qu'on doit éviter à tout prix, mais où des hommes et des femmes révèlent une valeur qu'on n'aurait jamais connue autrement. L'honneur est toujours présent sur les champs de bataille.

5. Le jeudi, novembre 18 2010, 00:36 par Henri

« Tu peux rentrer tes cales » Expression tant redoutée qui signifiait : ton avion (de Chasse) et son pilote ne rentreront pas, il est tombé au Champ d’Honneur, juste cause ou cause inutile, peu importe, celui avec qui, une heure auparavant, en le brellant dans son siège, tu échangeais de vive voix quelques banales paroles en retirant les sécurités de son siège éjectable, celui là ton camarade, ton copain que tu voyais tous les jours, avec qui tu allais boire une bière au mess au retour de mission, celui là ne reviendra jamais, il avait 23 ans, il a rejoint le champ d’Honneur au paradis des pilotes. Si son corps git toujours au fond de la Méditerranée à coté du grand St Exupery, son âme a rejoint le paradis céleste tout là-haut dans le ciel qu’il épousa le jour où seul aux commandes, il effectua, avec un petit coucou, son premier vol Solo.
Ou celui-ci avec qui tu partageas, assis sur le même banc, un an de cours dans une école militaire aéronautique, et qui mourut d’une rafale de mitraillette, il avait 21ans. Ce ne sont que deux exemples vécus, entre autres, mais on oublie aucun des autres . Cette messe de funérailles, dans le hangar, que je servais avec un camarade, avec comme « autel » le plan fixe horizontal du même avion que celui avec lequel il avait disparu…….
Oui le champ d’Honneur existe et tant y sont morts, nous avions l’Honneur de Servir notre Pays la fougue de nos 20 ans et l’inconscience de notre jeunesse qui nous faisait oublier, où nous vivions mais que d’absents à la fin.
Je n’ai jamais oublié ces paroles de mon directeur d’école (ancien combattant 14-18), lorsque je lui annonçais à 17 ½ mon engagement : Va et conduis-toi en Vaillant Fils de France.
Dans toutes nos familles, nous avons un parent proche ou éloigné qui connut cette courte vie exceptionnelle et en mourut. Honorons-les et n’oublions pas.

6. Le vendredi, novembre 19 2010, 01:07 par TED

In arduis fortior

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