Zabou the terrible

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Chers lecteurs, si vous lisez tout ce passage sans froncer le sourcil, si vous lisez chaque mot malgré l’intense inconfort de lecture qui est le vôtre présentement et malgré la longueur de ce texte inintéressant, si vous ne râlez pas pour l’absence flagrante de mise en page, de mises en gras, de signes diacritiques quelconques – à l’exception des virgules parce que, quand même, faut pas délirer –, de smileys enjoués et autres liens hypertextes ponctuant habituellement nos pages web de leurs coloris et soulignements engageant à cliquer un peu partout, c’est que vous êtes un lecteur, un vrai, un courageux ce dont je vous remercie grandement. Bref…


Vous m’avez suivie jusque là, sans sauter aucun mot ? BRAVO !

 

Mon propos est en réalité réaction à cet article fort intéressant paru il y a quelques jours sur le site de la CEF : « comment les internautes lisent-ils ? ». Celui-ci montre, ce que je veux bien croire, que nous autres internautes avons tendance à lire la zone sise en haut à gauche d’un article et peu ou prou le reste. Et avons, de plus, une fâcheuse tendance à la « lecture zapping ».

 

J’en serais restée là, sans spécialement vous en parler, s’il n’y avait pas eu comme un drôle d’écho avec deux paroles entendues hier :

·      L’une d’une amie professeur en lycée qui me disait combien ses élèves n’aimaient pas réfléchir, comme si cela était devenu inconvenant : il fallait que le texte dise tout d’un coup, rapidement, et, surtout, qu’il ne complique pas les choses.

·      L’autre, dans le train, de trois jeunes hommes, en train de causer blogues  - forcément, j’ai un peu lâché mon bouquin et tendu l’oreille. « Toi, ton blogue, je le trouve extra. Je ne lis pas tout mais les phrases que tu sélectionnes en gras, je ne lis que ça mais ça montre que c’est de la qualité et ça permet de pas prendre trop de temps. »… Ah oui… et le reste de l’article alors ? A la place de son copain, je ne suis pas certaine que j’aurais apprécié être lue ainsi.

 

Je ne veux pas chercher par là à conspuer notre modernité : celle-ci est notre temps, que nous avons à habiter. Mais…

 

Mais je m’interroge sur notre pratique de la lecture… que devient ici notre lecture critique, si lente mais si nécessaire ? Que devient notre lecture passionnée ou rébarbative de ces livres aux milliers de pages puisque, de plus en plus, nous lisons sur écran… et donc visiblement moins « bien » ? Devons-nous nous contenter de digests mis en gras par plus savants que nous ? Ne risque-t-on pas, justement, d’anéantir notre esprit critique, par paresse ?

 

Et puis… le problème est en fait bien plus profond.

 

Imaginez un instant la Bible voulue plus accessible par une mise en caractères gras des éléments les plus essentiels... Vous mettriez quoi, vous ?[1] La vie du Christ ? Les éléments du kérygme ? Une belle parabole ? Telle phrase qui a un jour grave fait « pouic-pouic » à votre cœur ?

 

Ou comment tuer la Parole en voulant la réduire à des « essentiels »… Je ne sais pas, vous, mais moi les mots de la Bible ils me parlent un peu différemment chaque jour – parfois pas du tout d’ailleurs, mais je sais bien que ça fonctionne parfois à contretemps. Chaque mot de la Bible est là pour nous dire un Autre, qui nous aime, follement… Comment oserais-je faire une sélection subjective dans ces « lettres pour [m]on propre bien »[2] ?

 

Cas extrême ? Non : car ce monde est aussi créé. Ce monde est figure à interpréter, à creuser pour aussi y voir les traces de Dieu et l’empreinte divine en chacun de nous. En sélectionner un bout, simplement brillant, c’est rater la totalité, c’est sélectionner le titre du chapitre sans en lire le contenu ; c’est passer à côté de son frère en faisant du délit de faciès.

 

La culture du gras, c’est un peu celle du fast-food spirituel : chercher le brillant, l’évident, l’apparent au lieu d’oser creuser dans les recoins et les nuits obscures… Dans les coins et recoins où la Parole, où le monde veulent nous dire quelque chose d’un peu moins évident, d’un peu plus fin ; d’un peu plus dérangeant, parfois, aussi.

 

Ca vaut pour les blogues, ça vaut pour la vie.

 

Mon directeur de recherche, fanatique de la belle et juste typographie, aime à dire que « le gras, ce n’est pas très élégant ». Le gras, c’est surtout que, paradoxalement, ça limite au lieu d’élargir. Le gras, ce n’est pas très vivifiant… Alors, ça ne va pas trop avec Celui qui a dit « Je suis venu afin que vous ayez la vie et la vie en abondance »[3], non ?

 



[1] Ceci étant, ce n’est pas une mauvaise question à se poser !

[2] Un Père de l’Eglise dixit.

[3] Jean X, 10. 

Commentaires

1. Le samedi, octobre 22 2011, 09:04 par cybersister

J'ai tout lu, mot à mot, jusqu'au bout... Tu me mets dans quelle catégorie ? ;-)
Blague à part j'aime beaucoup cette réflexion à partir d'un texte que j'avais aussi repéré. Merci

2. Le samedi, octobre 22 2011, 11:56 par Nitt

Moi aussi j'ai tout lu.
C'est très pertinent ce que tu dis, et fort bien analysé. Ton image du fast-food spirituel me plaît beaucoup.

Si la sélection dans les textes sacrés est à éviter, c'est aussi, à mon avis, parce que chaque mot va briller différemment en fonction du lecteur. Ce qui brille pour moi te paraît terne, et demain ce sera l'inverse. Comment faire un choix à valeur collective, sinon universelle, si en gardant le plus intéressant pour moi je vide la substance dont l'autre à besoin ? Et dont moi-même j'aurai besoin à un autre moment-clé de ma vie ?

Tu vois, ton article m'a fait réfléchir... et j'aime ça. Merci Zabou.

3. Le samedi, octobre 22 2011, 14:15 par Henri

moi aussi j'ai tout lu, mais bien avant que le net apparaisse il y avait une lecture appelée en diagonale qui se voulait rapide pour aller à l'essentiel disait-on , avec l'âge on prends le temps mais il est parfois bien difficile de se débarasser de vieilles habitudes.

4. Le lundi, octobre 24 2011, 01:21 par Zabou

Bah je ne vous range pas déjà dans une catégorie, ni les uns ni les autres ! Mais sinon, on peut dire que vous êtes des cyb... euh, des supers sisters & brothers ? ;-) 

@ Nitt : tout à fait d'accord avec ta réflexion ! 

5. Le mardi, octobre 25 2011, 09:09 par Vianney +

L'une des raisons pour lesquelles je n'ai jamais aimé lire les textes d'un certain groupe un brin en défaut de communion avec l’Église Catholique (et dont le nom commence par FS et finit par PX) est précisément l'usage constant du gras dans les textes que ce groupe produit. Quand j'étais jeune étudiant, déjà, je me disais que l'auteur qui utilisait le gras à tout bout de paragraphe me prenait pour un c... imbécile : s'il écrit bien et que je lis bien, il n'y a besoin que d'arguments. J'ai l'immodestie de croire que je lis bien... et j'ai souvent remarqué que leur apologétique était bien pauvre et ultra répétitive.
En fait, ces auteurs avaient inventé la lecture Internet avant même qu'elle n'apparaisse réellement. Un réel progrès pour des personnes attachées à un passé coupé du présent. Rigolo, non ?

6. Le mercredi, octobre 26 2011, 23:43 par Zabou
@ Vianney : et, à l'opposé, l'on pourrait signaler la prose syndicaliste... drôle de conjonction ! ;-)

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