Le Seigneur, quel kiff ?
Par Zabou le lundi, avril 15 2013, 20:31 - Lien permanent
Collusion de discussions en mon esprit : une discussion avec un collègue de maths qui aboutit à la décision suivante « c’est décidé, on va traduire la Bible en langage SMS ! » ; une discussion avec un prêtre de ma paroisse sur son sermon de ce dimanche (qu’il ne prêchait pas dans mon église) sur la pauvreté bien connue du français à propos du verbe « aimer » par rapport à d’autres langues… dont le grec biblique, si riche pour lire et comprendre l’évangile de dimanche dernier.
1ère question du Christ : « ἀγαπᾷς με πλεῖον ; » (agapas) à réponse : « Ναὶ κύριε: σὺ οἶδας ὅτι φιλῶ σε » (philô)
2ème question : « ἀγαπᾷς με; » (agapas) à réponse : « σὺ οἶδας ὅτι φιλῶ σε » (philô)
3ème question : « φιλεῖς με; » (phileis) à réponse : « φιλῶ σε » (philô)
Pour comprendre cet abaissement du Christ qui vient chercher Pierre là où il en est : dans son triple reniement ayant comme besoin d’une triple affirmation pour se relever, dans son incapacité foncière à aimer d’agapê mais dans son amour déjà tout de même vraie amitié, affirmée.
En français donc, nous n’avons pas cette chance et le dialogue de la traduction liturgique dit simplement « aimer ».
À côté de cela, je note que nos élèves de banlieue recréent chaque jour un peu plus la langue française.
Il faut dire aussi que de plus en plus d’études cherchent à bâtir des parallèles entre connaissance lexicale limitée et accroissement de la violence : c’est sans doute un peu limité, un peu rapide, mais il me semble de plus en plus qu’il y a de l’idée. Comme si, finalement, ne pouvant s’exprimer, nos jeunes pétaient un câble et n’avaient plus que leurs poings et leurs trippes pour dire quand les mots ne venaient plus.
Pourtant, pour le verbe aimer que tous, ils connaissent, ils ont inventé un mot, il y a déjà quelques années, le verbe « kiffer ».
Si, en arabe dont le mot est originaire, il n’y avait pas cette connotation, en français, il a d’abord désigné le fait de fumer de la drogue avant de désigner, plus largement, le fait d’aimer, d’aimer bien, quelque chose ou quelqu’un. « J’ai kiffé », « je kiffe cette personne » et autres variations rythment nos journées quand nous ne venons pas à nous en servir nous-mêmes.
Il me semble que, pour le coup, les jeunes des banlieues sont bien en avance et ont compris qu’il manquait quelque chose à la langue française :
Qu’ils ont compris que dire « aimer », ce n’était jamais anodin ;
Qu’on ne pouvait le dire sans chercher à le vivre ;
Qu’on ne pouvait le dire sans s’engager en même temps soi-même dedans ;
Mais on ne peut non plus en rester à la peur ou à l’admiration d’un instant ;
Et peut-être est-ce le rôle de l’éducateur, du parent au prof, que de chercher à donner le courage de passer du verbe « kiffer » à celui d’« aimer » ?
Et pour qui cumule cette casquette avec celle de chrétien,
à la suite du Christ, éducateur de Pierre et de tous ses potes ?
Commentaires
Chose promise, toussa...
Donc
\o/ wesh, gros
@David : wesh, gros malin... Ah nan, en fait, ça marche pas !
J'ai kiffé !
@L. : grave !!!
Zabou invitée d'honneur au Grand Kiff ?
http://legrandkiff.org/
On t'attend !! :D
@Tigreek : excellent, je ne connaissais pas cette initiative ! :-D
@Zabou : le premier était en 2009... Le nom avait fait scandale, parmi les parents : "Quoi !!! Vous allez faire fumer du cannabis à nos enfants !!"... Les organisateurs s'étaient expliqués, un peu comme tu le fais ici, en disant que "kiffer", c'était aimer, vraiment, véritablement, fort. Et que c'était ce que nous chrétiens (protestants, en l'occurrence) on voulait transmettre comme message : Dieu aime le monde !
Cinq jours basés sur un verset : Jean 3, 16 - Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. C'était beau, grand, fort, priant, joyeux... C'est suite à ça que j'ai commencé mes cours à la fac de théo
!