Zabou the terrible

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Un trimestre en ZEP

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Chers élèves, 


Voici un trimestre que nous vivons ensemble une bonne partie de notre temps, dans ce collège classé ZEP. D'aucuns sous-titreraient cette chronique "Une saison en enfer" mais je ne pourrais y souscrire. 


Un trimestre que je suis plongée dans ce qui provoque généralement qui un regard compatissant, qui une certaine terreur chez ceux à qui je l'annonce. Ces zones considérées parfois comme abattoirs pour jeunes profs inexpérimentés, ces zones où l'on ne sait trop ce qui peut bien s'y passer, ces zones où l'on imagine facilement les profs pleurer chaque soir à cause de vous. 


Oui, j'ai pleuré depuis que je suis prof en ZEP, plusieurs fois, seule, le soir et bien à cause ou plutôt pour vous. 


Mais cela n'a jamais été, comme on l'imagine généralement, comme j'en avais peur même en venant ici, parce que vous êtes chi… relous, dissipés et insolents : c'est certes assez souvent vrai… Si j'ai pleuré plusieurs fois, c'est à cause de vos situations, de la misère découverte chez plusieurs dès que le vernis de l'apparence convenue s'écaille. Il y a eu tout un temps où je n'ai rencontré vos parents qu'en allant aux rdv la peur au ventre ne sachant ce que j'allais encore bien pouvoir apprendre de tragique. J'ai réussi, un peu, à transformer ma peur en prière mais que c'est dur ! 


Ici, c'est le choc de nos cultures, certes, puisque vos noms révèlent avec poésie la diversité d'un monde pluriel où le mien ferait presque figure d'exotisme à être trop ancien. 


Mais ici, c'est surtout la révélation explicite de ces grands mots qui ne voulaient presque rien dire : "clivage social". 

J'ai eu la chance de grandir dans un milieu où la culture a toujours été une évidence et ce n'est généralement pas le cas chez la majorité d'entre vous, pour ne pas dire pire… Apprendre, vous ne voyez pas cela comme quelque chose d'enrichissant, de grandissant. 

Et moi, finalement, et malgré mon mois de volontariat au Maroc d'il y a quelques années et autres expériences, savais-je ce que c'était que la misère en France, au plus proche de chez moi ? 

Avais-je fait l'expérience d'avoir devant moi des jeunes qui n'osaient parler parce qu'ils ne disposaient pas des mots nécessaires pour s'exprimer ou qu'ils ne connaissaient que des grossièretés ? 

Avais-je fait l'expérience de devoir incarner l'autorité à ce point pour vous faire grandir ? 

Avais-je mené l'expérience de l'écoute inconnue jusque là où vos situations m'emmènent, où vos parents me font parfois entrer de plein pied ? 

Et ceux-là justement, que leur dire quand la décence devant une situation horrible impose le plus souvent de me taire ? 


Avec vous, c'est dur, oui… Et puis, votre niveau, c'est souvent pas vraiment ça non plus, à quelques exceptions près : je m'arrache les cheveux en corrigeant vos copies ! Chaque jour surtout, avec vous, je perds un peu plus mes certitudes bien ancrées et bien pensantes. Cela n'enlève rien à quoi et surtout à Qui je crois mais j'apprends à me laisser déstabiliser par vous. Vous m'interrogez plus que vous ne pourriez vous en douter et j'ai souvent l'esprit occupé par l'un ou l'autre d'entre vous : c'est rude mais avec vous, je prends chaque jour un bain d'humanité que je crois aussi vivifiant que décapant. 


Un trimestre aussi que j'admire mes collègues, vos profs… Aucun d'entre nous n'a choisi d'être ici mais la plupart a choisi d'y rester : pour la vraie bonne ambiance qui fait du bien en salle des profs, peut-être, mais pour vous plus sûrement. Parce qu'ici, c'est étrange, il y a avec vous quelque chose de l'ordre du défi : on se sent plus utile qu'ailleurs. Et pourtant, j'ai bien la sensation profonde d'être, dans le même temps, un "serviteur inutile". Car, que faire ? 


Comme armes, j'ai mon savoir avec lequel j'enseigne, ma Foi qui me porte et puis mon indécrottable enthousiasme que non pas une bonne fée mais le Seigneur sans doute Lui-même a mis en moi à ma naissance. Que voulez-vous, c'est ainsi : je m'émerveille, je suis capable de rêver et de me battre et me donner à fond. Mais comme armes, vous conviendrez que c'est léger : je me bats les mains nues. 


Mais il y a la Grâce qui n'est pas qu'un mot… Je crois que c'est elle qui me sort de mon lit le matin quand, franchement mais vraiment, je n'ai pas envie d'y aller parce que je sens que la journée sera lutte. 

C'est elle qui m'emplit les mains, qui me les arme de patience et d'écoute. 


J'ai la naïveté ou la chance de croire que Dieu nous parle aussi par les événements alors j'ai vécu cette nomination ici comme un envoi en mission. Vous êtes ma terre actuelle de mission et, quand je vous regarde, je cherche toujours à voir cette part meilleure de vous-mêmes.

La Grâce, c'est elle qui me rappelle toujours combien chacun d'entre vous, même toi et puis même toi aussi d'ailleurs, êtes infiniment aimés malgré toutes vos conneries. 

La Grâce, c'est ce qui me donne confiance et me pousse à avancer, à chercher à toujours mieux vous faire apprendre quelque chose. 


Ca fait un trimestre et je me rends compte que je vous aime bien. J'aimerais savoir vous aimer tout court, sans le "bien", surtout. Mais en attendant, je crois qu'on avance, que le combat a lieu chaque matin, chaque jour, chaque instant mais que cela vaut la peine de vivre cette mission là où j'ai été plantée. 


Non contents de me donner un bain d'humanité quand je cherche à vous faire grandir, j'ai l'impression de mon côté, comme je l'écrivais récemment à mon père spirituel, de grandir en humanité. 


Je finis cette période assez fatiguée mais, à vous, merci de ce trimestre. 


To be continued 


Commentaires

1. Le mardi, décembre 17 2013, 16:18 par Vieil imbécile

C'est beau et grand. J'espère qu'ils mesurent ou mesureront la chance qu'ils ont de t'avoir comme prof. Pis même s'ils ne le mesurent pas, ils auront eux-aussi grandi en humanité, voire en divinité. Merci, pour eux... et pour nous.

2. Le mardi, décembre 17 2013, 16:20 par Geneviève

Je viens de lire à haute voix pour partager avec mon époux. Tous deux sommes submergés d'émotion. Merci Zabou, pour eux, pour nous. Tu réhabilites non tu rends ses titres de noblesse à une profession dont je désespérais.

3. Le mardi, décembre 17 2013, 20:31 par Learn more

tres bien Zabou the terrible

4. Le mercredi, décembre 18 2013, 21:32 par fanfan

Très émue par votre billet... Pas prof, mais plein d'échos. Infirmière en psychiatrie, j'ai senti ça souvent - l'étrange rencontre de la douleur et de la vie, "le bain d'humanité vivifiant/décapant"... et cette drôle de force (Grâce ?) qui nous fait nous y replonger, y retourner au lieu de fuir... Et ces moments de (paradoxale ?) vraie Joie.
La lumière dans la nuit, c'est aussi Noël. Bon Noël, Zabou, et que Dieu vous garde en ce bel Amour !

5. Le jeudi, décembre 19 2013, 09:10 par Firenze

J'aime beaucoup la notion de serviteur inutile.
Quel beau billet.

6. Le samedi, décembre 21 2013, 22:45 par Eliette

Merde Zabou, t'es bluffante et ce billet est magnifique. Merci pour eux. Et bon repos à toi pendant les vacances! :)

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