Zabou the terrible

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Lire Sodoma ou ne pas lire Sodoma ?

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C’est le livre « scandale » du moment, sur toile de fond de scandales, autant dire un livre ton sur ton. Je ne l’ai pas lu par goût du choc ou de la sensation mais, simplement, pour pouvoir en discuter et répondre aux remarques qui me seront faites ici ou là, parfois avec une large finesse ( « les cathos, tous pédophiles ou tous homos ? »). Je vous l’avoue, la lecture fut éprouvante : tenir ces centaines de pages sans lâcher le livre fut dur. 

 

            Non parce que ce livre suinte de sexualité mal digérée – tout littéraire a lu bien pire – mais parce que ce livre mêle réalité et illusion sans cesse. 

 

            Alors, réalité ou illusion ? Qu’il y ait des faits, je veux bien l’entendre et l’accepter mais ce livre multiplie les extrapolations et les déductions sordides à partir de petits riens ! Il suffit d’une larme de paramentique ou d’une once de cérémonial et, hop, vous voilà catalogués pour toujours ! Pire encore : selon que vous aurez un livre de Maritain, de Mauriac ou de Green dans votre bibliothèque, le jugement de l’auteur vous rendra homosexuel ou homosexuel notoire ! (J’imagine que, si l’on suit ce critère d’extrapolation, avoir une bibliothèque comportant trop de romans vous désigne comme atteint de bovarysme ?)

 

            Attention, mon propos n’est pas ici de parler de l’homosexualité ou de la jauger : là où l’auteur a très certainement raison, c’est qu’une trop grande rigidité de la part de clercs sur ce plan-là accompagnée d’une insistance moralisatrice sur ce sujet sans accueil et accompagnement cache certainement un problème non réglé. De même, on ne peut tenir un discours moral, voire moralisateur en menant une double vie. Mais, là où il aurait pu aider peut-être chacun à se repositionner clairement, l’auteur manque son but : en sus de ses outrances, l’auteur n’a simplement pas compris ce que c’était que l’Église et la lit selon ses seuls critères. 

 

            Je ne parle même pas ici de la réalité théologique ou spirituelle de l'Eglise mais bien de ce qu’il aurait pu voir en allant dans n’importe quelle paroisse : déjà, l’Église, ce n’est pas le clergé uniquement, c’est bien nous tous, peuple de Dieu. Et surtout, sans la foi dans le Christ, cette Église n’est qu’une coquille d’institution vide ! Ce n’est pas la peur et le secret qui sont au cœur de cette réalité mais bien l’ancrage dans le seul Christ : dans les tempêtes qui la traversent présentement, c’est aussi cet attachement qui est éprouvé « comme l’or au creuset » et devra sortir renouvelé. Mais en tout cas, sans le Christ, vaine est notre foi, vaine est notre Église et combien vain est en un propos n’en examinant que les rouages institutionnels grippés ! 

 

            Par ailleurs, que certains homosexuels aient choisi le célibat consacré dans certains lieux et certaines époques pour être mieux acceptés, je veux bien aussi mais, enfin, il faut raison garder ! M. Martel a-t-il vraiment creusé le critère essentiel de ce que c’est qu’une vocation « spécifique » ? A-t-il écouté des récits de vocation parlant, tout simplement, d’un grand amour qui, s’il ne supprime pas notre sexualité faite de chair, embrase et embrasse hommes et femmes tant il prend tout le cœur de la personne ? Si cet amour-là ne t’a pas saisi(e) à tel point que tu as envie de dire « oui » pour tout Lui donner, même si ton cœur a parfois pleuré de renoncer à d’autres possibles, à quoi bon, aujourd’hui, s’engager dans la prêtrise ou dans une forme de consécration au Seigneur impliquant le célibat ? 

 

            L’honnêteté d’un livre sur cette question ne peut faire l’économie de la réalité de l’Église et du célibat consacré : l’oublier, c’est en faire un brulot malhonnête plutôt qu’une enquête. C’est dommage : puisse l’auteur transformer ce qu’il lui reste de nostalgie du catholicisme, de sa belle admiration pour un prêtre qui se lit dans le chapitre final, en rencontres qui ne se liront pas sous l’unique prisme biaisé de la seule sexualité.

 

Commentaires

1. Le mardi, mars 12 2019, 10:04 par Matsu Bashô

Pourtant il y a des faits qui sont bien documentés. Par exemple, la protection constante qu'a bénéficié le père Maciel jusqu'au plus haut niveau a fait l'objet de plusieurs enquêtes fouillées. Autre exemple, la carrière du cardinal Sodano en Amérique du Sud a suscité et continue de susciter l'intérêt de nombreux journalistes et historiens. Ainsi sa sympathie pour le régime pinochétiste et la passivité du Vatican sont bien établis. Encore un exemple, Frédéric Martel fait à plusieurs reprises allusion à l'enseignement de l'Eglise sur les personnes homosexuelles, en particulier sur les discriminations justes et injustes. Il a raison de rappeler que l'Eglise enseigne qu'il n'est pas injuste de discriminer les homosexuels non célibataires et/ou non chastes pour l'accès au logement ou à l'emploi (sur ce point, je vous invite à googler "Observations au sujet des propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles"). Et un dernier exemple, le soutien des évêques africains pour la pénalisation ou le durcissement des relations homosexuelles qu'il rappelle est là aussi un fait bien établi.

A ce propos, j'étais sur Twitter il y a plusieurs années et j'attirais en vain l'attention de mes coreligionnaires sur les documents homophobes de l'Eglise ou sur le soutien des évêques africains. Je fournissais les liens HTML vers les documents romains, les déclarations des évêques africains, autrement dit vers des faits. Mais la majorité de mes coreligionnaires ne se donnait même pas la peine de cliquer dessus et beaucoup me traitait de menteur alors que j'avais beau montrer des preuves. Donc je souris quand je vous lis (et d'autres) entrer dans une démarche hypercritique à propos du livre Sodoma, car mon petit doigt me dit que même s'il donnait de nombreuses notes de bas de page avec des liens vers la littérature sur le sujet, vous n'y jetteriez même pas un coup d'oeil et persisterez dans cette démarche hypercritique. Quant à votre envolée sur le Peuple de Dieu, j'ai repensé en vous lisant au film Spotlight où il y a cette fameuse réplique: "il faut tout un village pour abuser un enfant". S'il y a eu longtemps d'abus, c'es parce que des laïcs se sont tus par respect pour les clercs et pour ne pas faire de scandale. Il ne fallait pas porter atteinte à la réputation de l'Eglise. Et lorsqu'on a commencé à parler publiquement des abus sexuels, beaucoup de gens comme vous ont dit que ça commençait à bien faire et ont fait des trémolos sur le peuple de Dieu, sur les biens que fait l'Eglise et autres conneries du même genre. Ce n'est pas un hasard que ce soit des gens en dehors de l'Eglise qui furent les premiers à parler des abus sexuels. S'il fallait se fier à l'Eglise en tant que peuple de Dieu pour que les affaires sortent, ça n'aurait jamais eu lieu.

Une dernière chose, j'ai sursauté quand vous avez parlé de "sexualité mal digérée" et je me suis demandé si vous parliez de la sexualité mal digéré des prêtres qui étaient entré au séminaire pour de mauvaises raisons ou si vous parliez de celle de Frédéric Martel. Le reste de votre recension m'a hélas confirmé la seconde lecture: que c'était celle de Frédéric Martel à laquelle vous faisiez allusion. Et nulle part, je n'ai lu une allusion à l'enseignement homophobe de l'Eglise sur les justes discriminations des personnes homosexuelles. Or vous accompagnez des jeunes en tant que professeur ou catéchiste. J'avoue avoir de la crainte pour ceux qui se découvrent homosexuels.

2. Le mardi, mars 12 2019, 13:09 par Zabou

Rapidement, quelques mots :
- Je suis d’accord que certains faits, comme les horreurs Maciel, sont bien documentés. Ce qui est dommage, c’est qu’elles sont à mon sens noyées dans tout un fatras de suppositions ! Et pour moi, tout cela qui aurait pu aider chacun et l’Église est du coup comme ruiné. C’est dommage que les scandales et les enquêtes sur ceux-ci soient ainsi mêlés à diverses suppositions sexuelles sur les prélats !
- Pour le reste, c’est mal me connaître que croire que je ne vais pas voir les notes de bas de page, y compris quand elles me choquent. En revanche, je n’ai pas eu l’occasion de lire vos diverses alertes. Mais oui, il faut alerter : sur cela, 10000 fois d’accord ! Et, de fait, il y a eu beaucoup trop de silences coupables.
- En ce qui concerne la « sexualité mal digérée » je ne parle pas de l’homosexualité, encore une fois ce n’était absolument pas le propos de mon billet et rassurez-vous ! C’est juste que ce livre suinte la sexualité. Alors peut-être que je suis choquée facilement, peut-être que mon propre célibat consacré me met des ornières mais il me semble que nous sommes en plein dans le sexe, le sexe et le sexe dans ce livre. Et j’ai du mal à accorder crédit quand on en fait le seul prisme de lecture d’un univers. Je suis certainement plus naïve que dangereuse, du moins je l’espère !

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