Ce billet, texte écrit lundi dans le train, était programmé pour mercredi : cela a raté. Je le date donc de quand il aurait dû paraître, même si je suis désormais de retour, on fait comme si : d'acc' ?
Une fois par an,
C'est la grande Vigile Pascale.
Une fois par an,
C'est ce moment que je préfère entre tous dans l'année liturgique.
Une fois par an,
Ce moment qui me parle chaque fois différemment : qui du Feu, qui de la lumière dans les ténèbres, qui de la longue mais si belle histoire du Salut, qui de l'eau et de la liturgie baptismale qui me parle de renaître, qui de l'Eucharistie qui se fait action de grâce en accord majeur de Résurrection. Résurrection qui, bien souvent, suffit d'ailleurs à elle seule à ma joie, à une certaine forme d'ivresse qu'elle seule est susceptible de me donner.
Une fois par an, oui,
Mais une fois par an pour en vivre tous les jours.
C'est pourquoi, pour mieux suivre les pas du Ressuscité comme le proclame la bénédiction solennelle pascale,
Pour mieux Le découvrir, dans toutes Ses traces, dans toutes Ses manifestations, au creux même de là où l'on ne saurait que voir l'absence,
Je suis partie peleriner quelques jours sur ce beau Camino.
« Pourtant,
de l’époque où tous les chemins menaient à des sanctuaires, l’homme est resté
pèlerin dans l’âme. Et c’est peut-être à son pas, au ras des talus et des
fossés que se mesure la distance qui mène de la Terre au Ciel. »
in Barret/Gurgand, Priez pour nous à Compostelle !
Marcher, encore et
toujours ;
Marcher d’un pas,
d’un bon pas, du meilleur qui soit : le sien.
Parce qu’en nous
ramenant à qui nous sommes, il nous emmène toujours un peu plus au fond de
nous-mêmes, vers Celui qui nous donne de l’être.
Et marcher même
dans le froid qui revient, quand on n’en a pas vraiment envie, avec ses pieds au
sol et cette tête, cette fichue tête toujours un peu (trop) au ciel :
Et regarder au gré
du chemin le monde ;
Et regarder, au fil
de son chemin mais en face, cette humanité charriant souffrances, joie, violence, amour et
peur ;
Et, malgré tout, continuer
à marcher à son propre rythme mais en osant Son regard,
Continuer à
marcher en souriant, prophète de l’Espérance.
Si j’ai pu me poser et prier ce midi dans l’église d’Arancou ; si j’ai eu la chance d’y être accueillie par un paroissien qui m’a montré quelques-unes de ses merveilles, je n’ai pas toujours eu cette chance sur le Camino. Souvent les églises sont fermées, pour cause de vol. Et que dire des horaires de messe improbables ? Des propositions de prière trop souvent inexistantes sur ce chemin si peu fréquenté que j’ai suivi ?
Quelle
belle étape ! Longue, sous une chaleur assez accablante, mais pleine de
beauté à couper le souffle ! Certainement une des plus belles étapes pour
les paysages depuis notre départ de Paris, avec ce caractère vallonné, les
montagnes des Pyrénées dans le fond…
Et
puis, cette si belle histoire vécue... Ce midi, je n’avais rien pour déjeuner.
Je voulais m’acheter quelque chose sur la route, simplement pour me sustenter.
Les infos du gîte de la veille le précisaient bien : il y avait une
épicerie à Arancou. Or, ce midi, tout était fermé…Le village – à l’exception de la si belle église du XIIIème
siècle ! – semblait endormi avec tous les volets fermés. Que faire ?
Notules
à partir mon carnet de notes perso du 4 septembre
Arrivée
à Dax, après la messe paroissiale de ce matin qui fut suivie de la bénédiction des pèlerins reçue entourée de quelques amis : cela était bien doux.
Pour
la 1ère fois depuis que j’ai commencé le Camino, je marcherai seule… mais pas vraiment, en réalité.
Je sais que nombreux
sont les pèlerins dans le sud de la France, que j’en rencontrerai plusieurs et, surtout, je
sais que ce chemin est vraiment un chemin où l’on ne se sent pas, où l’on n’est
pas, seule mais où l’on a au contraire la fabuleuse sensation d’être partie
prenante de la foule de pèlerins à l’avoir parcouru depuis des siècles et de
celle qui le parcourra encore ensuite.
Nous sommes membres d’une histoire de
foi où chacun effectue pourtant son propre chemin, dans celui façonné par les
autres et par Dieu.
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Installée,
je ressors chercher de quoi dîner dans un kebab
repéré en arrivant. Je ne vous dis pas le kebab :
dans une galette pas industrielle, avec de la viande qui n’était pas
l’ordinaire toute grasse non plus et, outre le classique « salade-tomate-oignon »[1],
avec des olives et du piment ! Un kebab
méridional quoi… Mais ce qui était encore plus remarquable, ce fut cet échange inattendu avec le tenancier, pourtant aussi clairement musulman que j'étais visiblement catholique :
- Je
vous ai vue tout à l’heure avec votre sac : vous êtes pèlerine. Vous
êtes la bienvenue, venez prendre le thé avec nous.
Hospitalité
offerte, fraternité toute simple du pèlerin.
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Chapelle
de la maison dio. Tabernacle illuminé d’une bien curieuse façon mais, dans le
silence de la nuit qui tombe doucement, c’est très beau…
Comme
une lueur brûlante d’amour, comme un cœur, seul éclairé, seul battant dans
cette vaste maison qui s’endort.
Te rendre grâce et Te confier ce pèlerinage,
Tous ceux que je porte dans ma prière,
Ainsi que moi-même, humble pèlerine sur le Chemin.
Paix du cœur profond, Joie du Christ :
Que je sache Le vivre pour Le transmettre,
Amen, e
ultreïa !
[1] Que celui
qui pense qu’un autre ordre est possible soit déclaré anathème !
Que Jésus et Marie n'ont pas de pieds : le must pour éviter les ampoules !!!!
que, si Jésus est en pantalon, Marie est en jupe... Et on s'identifie spirituellement à qui quand on marche en short, hein, je vous le demande ?
Que Marie ne porte pas de sac (l'avantage d'être conçue sans péchés : trop forte !) mais que Jésus porte quant à lui un bon gros sac de pèlerin (tout le poids de nos péchés ?)
Que marcher est une attitude spirituelle cautionnée par la plus haute sphère : bref, on peut continuer... et on a même le droit de s'en amuser !
On notera...
euh...
hum... les vaches...
les oiseaux qui font cui cui cui, l'Amour tout ça...
Il est 6h45.
Je traverse les ruelles d’une ville encore tout ensommeillée que je connais seulement
de l’avant-veille.
Le cœur léger
et joyeux de cette escapade matinale, je monte peu à peu les degrés qui me séparent
de cet édifice qui m’a tant impressionnée. Un escalier gigantesque vers cette
cathédrale que les siècles ont façonnée par l’intermédiaire de milliers et de
milliers de pèlerins…
Je pousse une
porte, doucement : l’intérieur est illuminé, mais calme et silencieux. Au
fond du chœur, une vierge noire. Dans la nef, déjà, des fidèles : des personnes
assises curieusement, avec un gros sac à dos et un look à frémir. Ils sont une
bonne quarantaine et, entre deux dos, l’on aperçoit quelques coquilles saint
Jacques... j’en souris.
Je n’ai pas
vraiment l’habitude de faire ici des « chroniques » de ma grande petite
vie mais puisque, comme le dit le poète « on n’a pas tous les jours 25 ans »
(oui, je sais, ce n’est pas tout à fait cela, mais c’est l’idée) et que je
rentre du Camino (j’y reviendrai
prochainement ici), qu’on n’a pas arrêté de me le souhaiter toute la journée et
qu’après tout, cet espace est mien, hop, zou, tant pis.
11 septembre
2010 : la date est synonyme d’un anniversaire catastrophe pour beaucoup,
elle est aussi pour moi celle qui marque le passage d’un quart de siècle à un
autre. Oh, ce n’est certes qu’un jour parmi d’autres, mais il n’empêche qu’il
est doté d’une sonorité, d’une saveur toute particulière, ne serait ce que dans
les réactions qu’il suscite : « oh là, ça ne te fait pas peur ? ».
Oh non pas du tout.
Ces
derniers jours, j’ai pris le temps de regarder les photos de mes précédents
tronçons du Camino. Des photos de
qualité inégale, des photos de lieux qui ne veulent pas dire grand-chose et
pourtant des photos qui me parlent, beaucoup. Elles font remonter à ma mémoire
des souvenirs, certes, des douleurs (… de pieds !), des anecdotes, des
prières… mais elles m’ont surtout permis de me replacer avec plus de précision
sur l’endroit où j’en étais, l’endroit d’où je partais VRAIMENT cette année,
dans le fond de mon cœur.
Il
n’y a guère de sens, me semble-t-il, à faire ce chemin par morceaux si l’on ne
prend pas le temps de les replacer dans leur continuité, en tenant compte de ces
bouts d’années qui s’intercalent entre chaque et qui ne sont pas sans me
changer, forcément, un peu. Chercher ce qui en fait la cohésion, au-delà des évolutions
et des choix désormais posés, avant ceux qui viendront plus tard. Marcher
ainsi, déjà, vers son unité propre, en enlevant chaque année un bout d’écorce
de superflu, cette écorce qui colle si bien à la peau qu'on ne la remarque même plus.
Demain,
je quitterai une fois de plus mon quotidien confortable, ma chambre toujours
pas vraiment rangée, les miens, les soucis administratifs et associatifs, pour
avancer vers Dax, dans la simplicité et la rencontre de l’Autre. Je ne sais pas
de quoi ce demain sera fait, je ne sais pas vraiment ce que je rencontrerai sur
ce chemin mais j’en sais la direction profonde et cela suffit.
Seigneur,
sur ce chemin que j’emprunterai à nouveau demain, je me confie à Toi. Et je ne
marche pas seule, loin de là, je marche avec la foule innombrable des pèlerins :
les jacquets, oui, mes deux compagnons de route, oui, mais aussi tous ces autres, en marche chaque jour sur ce
chemin si unique qu’est leur vie.
Dans
La Croix d’hier jeudi 12 août
figurait en dernière page un poème qui a attiré mon attention : il
s’intitulait « le square Saint-Jacques », square dans lequel se
trouve la tour de l’ancienne église Saint Jacques de la boucherie, point de
départ de la via Turonensis du Chemin
de St Jacques. C’est donc au pied de cette tour, alors en réfection, que je me
suis lancée un jour de 2006 dans cette aventure qui, tronçon après tronçon
m’amène toujours plus proche du tombeau de l’apôtre (cette année, départ début
septembre pour quelques jours qui devraient nous mener jusqu’à Dax).
Mais
elle n’est pas que lieu d’un départ cette tour, elle est aussi cette fière
architecture que j’aperçois dans mes nombreuses pérégrinations… parisiennes et
qui n’est pas, pour moi, un simple bel édifice parmi toutes les merveilles
qu’offre cette ville que j’aime. Car, au dessus de cette tour culmine une
statue de St Jacques pèlerin, seule partie de la tour qu’on aperçoive
d’ailleurs de loin. Elle me rappelle ma marche, elle me rappelle que je suis
toujours en pèlerinage, sur la route de cette vie, ma vie, que je construis
jour après jour, orientée vers Là-Haut ; et j’aime à croire que St
Jacques, là-haut, veille à ce que je ne m’égare pas trop en chemin malgré les
intempéries, avec l’aide et l’amitié de Celui qui fait route avec nous.
Paraît
soudain la tour Saint Jacques,
Bloc
de lumière taillée dans la pierre,
Son
éclat neuf, substantiel et glorieux,
Rayonne
de lui-même.
L’étoile
de midi sculpte les arbres,
Modèle
de clartés et d’ombres leur présence,
Et
peint de tous les verts de l’été leurs feuilles
« En fait, de
pèlerin de quelques jours, il nous faut (et j’insiste sur le verbe, c’est une
nécessité) devenir pèlerin universel. Comme Bloy qui se sentait « pèlerin
de l’Absolu » (titre d’un tome de son Journal), c’est cela mais il s’agit d’être pèlerin du quotidien, au travers
duquel nous parviennent les éclats d’Absolu. Non par les quelques-uns choisis
qu’il nous est facile d’aimer mais par TOUS.
C’est le rôle, c’est la vocation de celui qui marche.
C’est l’ambition, la douleur et pourtant le désir profond du Pèlerin. »
Aujourd’hui, j’ai eu cette sensation, intime, profonde, d’avoir
rencontré des frères et je pense que c’est ce mot que je garderai
principalement de ce Camino. Peut-être moins de rencontres sur la route d’autres
pèlerins mais que d’accueils !
Le père T.D. notamment, ce soir, dans son presbytère, prévenu seulement
hier soir. J’étais un peu inquiète par ses questions : « Z’êtes bien
catholiques, hmm ? Z’êtes pas ensemble ? » au téléphone,
même si elles étaient dans le fond assez « normales » mais que de
bonne surprise.
Accueil qui commença par une messe. Y a pas à tergiverser et on aura
beau raconter toutes les carabistouilles que l’on voudra : la messe, c’est
quand même le cœur pour des croyants : Dieu se rend présent ! Et tout
prend ensuite une autre dimension, plus paisible, plus profonde, plus… plus
tout quoi ! Homélie sur… nous, les 2 pèlerins, les 2 jeunes à faire
baisser la moyenne d’âge de cette vénérable assemblée de semaine. « Qu’ils
se sentent ici chez eux ». Chaleur, regards, prières, poignées de main…
tout était là, condensé, dans ces 30 petites minutes si denses, si belles.
Simplicité.
Accueil au pied levé dans une famille chez laquelle devait dîner l’abbé.
Dans la diversité de nos façons de vivre l’Église – et même au travers de nos
micro-querelles à table – sentiment intense d’une Unité profonde : celle d’une même
joie, celle de se savoir enfants de Dieu.
Là encore, des regards, des attentions (un vin « cuvée saint
Jacques » !), des sourires provoqués par la fille aînée si pleine de
vie. J’ai passé un beau moment, complètement imprévu, sis entre vignes et
Dordogne. J’ai été accueillie en sœur, et en suis restée touchée.
Mais tout cela devrait se vivre pour nous tous au quotidien, et, aussi,
avec tous nos frères en humanité… Comment ?
Le vin conjugué à la fatigue fait son effet : je suis loquace d’un
coup, et fatiguée. Allons dormir.
Extraits divers harmonisés, du 15 septembre 2009 :
N.-D. des Douleurs…
( « … des pieds »)
Belle étape, d’environ 40 km. Mal partout, crevée, surtout qu’il a plu
une partie de la journée. Pourtant, un poil de fierté d’y être arrivée.
En ce « milieu » de Camino (tant de km derrière… mais tant de
km devant !), la tendance à se poser la question « mais pourquoi donc ? »
est forte. Pour m’y répondre, je tends à tracer des parallèles avec toutes ces
questions qui m’habitent, dont certaines sont sans doute aussi à leur milieu :
plus vraiment l’enthousiasme des débuts (même si… Dieu est là !), un
lendemain qui s’approche, incertain comme l’est tout lendemain, et sans doute
difficile.
Peu importe. Dans la marche se déploient nos blessures et nos
faiblesses. Souvent, on a envie de tout lâcher, de se poser et de rester là
comme un vulgaire rat crevé. Sed spiritus vivificat ! Il est un moment où la Volonté ne tient
même plus : c’est dans cette faiblesse que jaillit la δυναμις (dynamis),
cette Force qui habite dans la faiblesse et qui est Amour, qui n’est qu’Amour :
Dieu.
Alors, avancer quand même ? Que ce soit le Camino ou d’autres domaines, si Dieu n’était pas
là, ne travaillait pas dans les profondeurs et en profondeur, on en resterait
là, à cette question de sens, et tout finirait par claquer pire qu’une cuisse.
Mais on avance quand même, pas à pas… et « c’est là l’œuvre du
Seigneur, merveille devant nos yeux. »
Pour commencer nos petites caminoteries de l'année, le jour du départ !
Extrait du 14 septembre 2009
Etape : Pons - Mirambeau
« 1 jour de
marche, du beau temps, du vent, pas trop (quasiment pas en fait) de douleurs,
donc tout va !
Ce jour, Croix
glorieuse, je trouve que c’est un excellent jour pour commencer le Camino car…
n’est-ce pas, un peu (oh, un tout petit peu d'un petit peu) ce que nous expérimentons dessus, nous aussi ?
Ce matin, ai prié les Laudes tout en marchant.
Il y avait le Cantique des 3 enfants, celui où toute la Création loue le
Seigneur. D’habitude, oui, c’est beau, mais un peu « litanique »-gonflant.
Là, le prier en pleine nature lui fait prendre une autre dimension : c’est
la Création tout entière qui, au réveil, loue son Seigneur pour ses merveilles.
Dimension cosmique rappel d’une cosmogonie. Ce sont là tous les sens qui louent
le Seigneur, en humant l’air du vent, en admirant de tous ses yeux, en écoutant le silence des
champs, au rythme lent de la marche.
Bref, peut-être étaient-ce là de "vraies"
Laudes, enfin ? Dans toute leur plénitude ? Ou, plutôt, un avant-goût de celles-ci qui me disent : "En route" ? »
Puisque j'en suis dans les annonces, j'ai aussi décidé (je décide beaucoup ces jours-ci, vous aurez remarqué, mais je vais me calmer) de ne pas raconter mon Camino de cette année.
Non, non, ne pleurez pas, j'ai dit ne pas le raconter mais non "ne pas en parler" ! A la différence des autres années, je pense publier ici quelques notes de mon "journal" durant ces jours, un peu modifiées (ben, oui, bien sûr) avec les photos marquantes de la journée. Parce que ce n'est sans doute pas ce que j'ai fait qui compte.
Bref, ce seront quelques mots simples pour vous dire combien le Camino, c'est enivrant ! D'où la photo... prise de notre lieu de départ de l'année : PONS !
Écrire, il me faut écrire. Mais il
est des heures, des événements où écrire m’est difficile : par exemple, le
décrire, ce que j’ai vécu sur ce Chemin si particulier qu’est le camino. Le décrire en vérité, sans tomber
dans l’affreuse banalité, l’insupportable platitude ou encore l’impudique
déballage. Car si le chemin semble tracé (peut-être…), il ne peut être que mon
chemin. Les expériences de l’un rejoignent celles de l’Autre, forcément, mais
chacun, quand les pieds se font souffreteux, quand les courbatures
apparaissent, quand la pluie dégouline le long du poncho-sac poubelle ou quand
le soleil brille et que l’air respire la joie de vivre, chacun vit, je le
pense, une expérience unique : l’expérience spirituelle par ses pieds, par
son corps, indicible.
Cette année aura été similaire et différente
des autres. Vieille routarde maintenant, habituée des dix mille méfaits du trop
plein de marche, c’est sans grande illusion que je pars désormais, ne connaissant
pas mon état au retour sinon qu’il sera piteux avec un large sourire aux lèvres,
comme pour compenser par l’autre extrémité.
Partir,
encore, toujours. Quand j’ai bouclé mon sac cette année, c’est le chant gestué
pour les enfants de l’EdP que j’avais en tête « Allez, pars, pars, sur les
Chemins du monde », avec tous ces visages croisés et admirés depuis le
début de l’été… puis ceux que l’on m’a confiés : le sac était bien lourd !
Mais il était humain.
Humain. Ce
que j’ai vécu, découvert au plus profond de mes limites et de mon regard cette
année importe peu et m’est bien trop personnel. Mais ce que j’ai
particulièrement goûté, cette année, ça a été l’Humanité et la fraternité :
une vraie fête de l’Huma(in), pas en mono-tonie cinabre mais en symphonie d’une
multitude de couleurs. Rarement autant que durant ces cinq jours, j’ai vécu que
partout l’on peut trouver des frères, des sœurs. Confiance.
L’accueil
plein d’humanité d’un curé pour une soirée et d’une famille de sa paroisse pour
le dîner m’a touchée : jeune catho marcheuse venue de loin, je me suis
sentie curieusement chez moi, accueillie sans condition chez des frères. De
même ces deux paroissiennes qui, vendredi, m’ont prise en pitié vu mon état
(trempée et boiteuse : là, Zabou n’était pas terrible) dans l’église de
Gradignan et sont allées jusqu’à me déposer à un arrêt du tram bordelais pour
mon retour. Dans ces deux occasions, j’ai été reconnue comme une sœur en
Christ. Mais aussi en humanité, surtout, même si par l’opération du Saint Esprit
qui nous fait tout poser, ça se rapporte au même. M’enfin…
Car le Camino n’a sans doute de sens que s’il
est chemin d’une meilleure découverte de sa propre Humanité. En tant que
chrétienne, la tentation est toujours là, insidieuse, de se considérer sœur « en
Christ » de ceux qui se reconnaissent de la même Foi, de ceux que nous
croisons dans l’abri apaisant des églises. Et pourtant cette fraternité, ce
regard bienveillant posé sans a priori
sur l’autre, il est appelé à l’universel. Le Camino, c’est l’entreprise qui nous appelle à nous « filialiser »,
pour mieux regarder ; bref, pour mieux marcher.
« Même ici bas, au milieu des dangers, au milieu des tentations,
nous-mêmes et les autres, chantons Alléluia. […] Chantons donc maintenant, mes
frères, non pour agrémenter notre repos, mais pour alléger notre travail. C’est
ainsi que chantent les voyageurs : chante, mais marche. Soutiens ton
effort par le chant, n’aime pas la paresse ; chante et marche. Qu’est-ce
que cela veut dire : marche ? Progresse, progresse dans le bien. Car,
selon l’Apôtre, il en est qui progressent de mal en pis. Toi, si tu progresses,
c’est que tu marches ; mais progresse dans le bien, progresse dans la
vraie foi, progresse dans la bonne conduite. Chante et marche. »