Paul
Claudel, ce fut d’abord l’éblouissement d’un poème-prière à l’issue d’une messe
familiale, alors que j’avais 14-15 ans.
L’éblouissement
d’une parole tellement belle, sonnant si juste, qui me disait l’importance du
regard, qui me disait Marie, qui me disait l’importance de se tenir là, même à
n’en savoir bafouiller qu’un merci :
« Je
n’ai rien à offrir et rien à demander.
Je
viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Ne rien
dire, regarder votre visage,
Laisser
le cœur chanter dans son propre langage ! »
Après
quelques extraits poétiques lus de-ci de-là, ce fut ensuite le dramaturge que
je découvris au fil des ans : cette Annonce
faite à Marie tout d’abord, qui me marqua sans me rester impérissable et surtout
ces œuvres qui me bouleversèrent que sont Tête
d’or et Le Soulier de satin. Je
ne pense d’ailleurs toujours pas maîtriser la dernière, après l’avoir lue,
après l’avoir étudiée, après l’avoir relue, encore et encore… C’est un peu, selon moi, l’un
des mystères de Claudel.
Œuvres dont le
désir ardent qui les habite venait si souvent rejoindre les questions brûlantes
de mon âme encore adolescente.
Œuvres qui
m’ouvraient si curieusement à l’autre, à Dieu, par des chemins de traverse. Je
ne suis jamais sortie tout à fait indemne de leur lecture. Et, bien souvent,
aujourd’hui encore, ces « vers » si particuliers me montent à la
bouche et au cœur.
Pourtant,
Claudel sort souvent les machines bien lourdes, bien pesantes : on sait ce
qui va se passer. Et je craignais en rouvrant l’autre soir L’Annonce faite à Marie de n’y voir plus qu’un mystère sordide, une
première pièce jouée d’un auteur, vidée de toute sa grâce adolescente.
En
relisant L’Annonce faite à Marie,
j’ai redécouvert cette pesanteur terrestre, oui, ces ressorts bien visibles, a fortiori pour un lecteur familier de
la Bible… Mais j’y ai aussi lu la
grâce ; Et je me suis laissée portée par ces « versets », ces
mots libres courant au fil de la plume… Et je me suis laissée touchée par ces
phrases qui m’accrochaient parfois au détour d’une motte de terre ; joyeusement
ou inconfortablement. Tiens, comme celles-ci :
Pierre de Craon :
« La sainteté n’est pas d’aller se faire lapider chez les Turcs ou de
baiser un lépreux sur la bouche,
Mais de faire le commandement de Dieu aussitôt,
Qu’il soit,
De rester à notre place ou de monter plus haut. »
Anne Vercors :
« […] Et non point de charpenter la croix, mais d’y monter et de donner ce
que nous avons en riant !
Là est la joie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle ! »
Ou d’autres, de
nombreuses autres encore, que ma pudeur de lectrice m’interdit de recopier car
elles me parlent à moi comme elles vous parleraient autrement.
Et je me suis
rappelée à cet instant que l’écriture poétique de Claudel était tout entière
fondée sur une musicalité particulière : celle de la respiration, celle du
souffle.
Et je me suis dit
qu’il était bon de lire, mais peut-être surtout de relire Claudel, à différents
moments de nos vies : pour confronter son souffle à celui qui nous habite à ce
moment-là, notre respiration pesamment humaine, et, écouter aussi, dans
l’interstice des mots, au gré de ceux-ci, résonner cet autre Souffle, virevoltant,
allant et nous menant là où on ne l’attendait pas.