Zabou the terrible

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Mot-clé - Paul Claudel

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mardi, mai 22 2012

Gardez mon pauvre petit soulier !

 

C’est le mois de mai, le mois de Marie…

En son honneur, l’une des prières les plus sublimes à la Vierge que je connaisse en littérature : à la fois si enfantine de confiance, à la fois si humaine dans son élan de « j’irai contre quand même, je vous préviens ! »… Elle respire le cœur humain dans tout ce qu’il a d’élan gracieux au sein même de sa plus lourde pesanteur et réciproquement. 

Cette prière, si l’on ne peut pas vraiment prier directement avec, elle est tout simplement belle et sa beauté peut, je crois, nous porter. 

  


 

Doña Prouhèze monte debout sur la selle

et se déchaussant elle met son soulier de satin

entre les mains de la Vierge.

 

Vierge, patronne et mère de cette maison,

Répondante et protectrice de cet homme dont le cœur vous est pénétrable plus qu’à moi et compagne de sa longue solitude,

Alors si ce n’est pas pour moi, que ce soit à cause de lui,

Puisque ce lien entre lui et moi n’a pas été mon fait, mais votre volonté intervenante :

Empêchez que je sois à cette maison dont vous gardez la porte, auguste tourière, une cause de corruption !

Que je manque à ce nom que vous m’avez donné à porter, et que je cesse d’être honorable aux yeux de ceux qui m’aiment.

Je ne puis dire que je comprends cet homme que vous m’avez choisi, mais vous, je comprends, qui êtes sa mère comme la mienne.

Alors, pendant qu’il est encore temps, tenant mon cœur dans une main et mon soulier dans l’autre,

Je me remets à vous ! Vierge mère, je vous donne mon soulier ! Vierge mère, gardez dans votre main mon malheureux petit pied !

Je vous préviens que tout à l’heure je ne vous verrai plus et que je vais tout mettre en œuvre contre vous !

Mais quand j’essayerai de m’élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux ! La barrière que vous avez mise,

Quand je voudrai la franchir, que ce soit avec une aile rognée !

J’ai fini ce que je pouvais faire, et vous, gardez mon pauvre petit soulier,

Gardez-le contre votre cœur, ô grande Maman effrayante !

 

in Paul Claudel, Le Soulier de Satin, Première journée, sc. 5

 

jeudi, janvier 26 2012

Lire, relire Claudel

Paul Claudel, ce fut d’abord l’éblouissement d’un poème-prière à l’issue d’une messe familiale, alors que j’avais 14-15 ans.

 

L’éblouissement d’une parole tellement belle, sonnant si juste, qui me disait l’importance du regard, qui me disait Marie, qui me disait l’importance de se tenir là, même à n’en savoir bafouiller qu’un merci :

 

« Je n’ai rien à offrir et rien à demander.

Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.

 

Ne rien dire, regarder votre visage,

Laisser le cœur chanter dans son propre langage ! »

 

Après quelques extraits poétiques lus de-ci de-là, ce fut ensuite le dramaturge que je découvris au fil des ans : cette Annonce faite à Marie tout d’abord, qui me marqua sans me rester impérissable et surtout ces œuvres qui me bouleversèrent que sont Tête d’or et Le Soulier de satin. Je ne pense d’ailleurs toujours pas maîtriser la dernière, après l’avoir lue, après l’avoir étudiée, après l’avoir relue, encore et encore… C’est un peu, selon moi, l’un des mystères de Claudel.

 

Œuvres dont le désir ardent qui les habite venait si souvent rejoindre les questions brûlantes de mon âme encore adolescente.

Œuvres qui m’ouvraient si curieusement à l’autre, à Dieu, par des chemins de traverse. Je ne suis jamais sortie tout à fait indemne de leur lecture. Et, bien souvent, aujourd’hui encore, ces « vers » si particuliers me montent à la bouche et au cœur.

 

Pourtant, Claudel sort souvent les machines bien lourdes, bien pesantes : on sait ce qui va se passer. Et je craignais en rouvrant l’autre soir L’Annonce faite à Marie de n’y voir plus qu’un mystère sordide, une première pièce jouée d’un auteur, vidée de toute sa grâce adolescente.

 

En relisant L’Annonce faite à Marie, j’ai redécouvert cette pesanteur terrestre, oui, ces ressorts bien visibles, a fortiori pour un lecteur familier de la Bible… Mais j’y ai aussi lu la grâce ; Et je me suis laissée portée par ces « versets », ces mots libres courant au fil de la plume… Et je me suis laissée touchée par ces phrases qui m’accrochaient parfois au détour d’une motte de terre ; joyeusement ou inconfortablement. Tiens, comme celles-ci :

 

Pierre de Craon : « La sainteté n’est pas d’aller se faire lapider chez les Turcs ou de baiser un lépreux sur la bouche,

Mais de faire le commandement de Dieu aussitôt,

Qu’il soit,

De rester à notre place ou de monter plus haut. »

 

Anne Vercors : « […] Et non point de charpenter la croix, mais d’y monter et de donner ce que nous avons en riant !

Là est la joie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle ! »

 

 

Ou d’autres, de nombreuses autres encore, que ma pudeur de lectrice m’interdit de recopier car elles me parlent à moi comme elles vous parleraient autrement.

 

Et je me suis rappelée à cet instant que l’écriture poétique de Claudel était tout entière fondée sur une musicalité particulière : celle de la respiration, celle du souffle.

 

Et je me suis dit qu’il était bon de lire, mais peut-être surtout de relire Claudel, à différents moments de nos vies : pour confronter son souffle à celui qui nous habite à ce moment-là, notre respiration pesamment humaine, et, écouter aussi, dans l’interstice des mots, au gré de ceux-ci, résonner cet autre Souffle, virevoltant, allant et nous menant là où on ne l’attendait pas.