Zabou the terrible

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mardi, mai 26 2015

Parce qu'un puits porte loin

"Et cependant, nous avons aimé le désert. S'il n'est d'abord que vide et silence, c'est qu'il ne s'offre point aux amants d'un jour. [...] 

Si nous ne renonçons pas, pour lui, au reste du monde, si nous ne rentrons pas dans ses traditions, dans ses coutumes, dans ses rivalités, nous ignorons tout de la patrie qu'il compose pour quelques-uns. Mieux encore, à deux pas de nous, l'homme qui s'est muré dans son cloître, et vit selon des règles qui nous sont inconnues, celui-là émerge véritablement dans des solitudes tibétaines, dans un éloignement où nul avion ne nous déposera jamais. Qu'allons-nous visiter sa cellule ? Elle est vide. L'empire de l'homme est intérieur. [...] 

Mais voici qu'aujoud'hui nous avons éprouvé la soif. Et ce puits que nous connaissons, nous découvrons, aujourd'hui seulement, qu'il rayonne sur l'étendue. Une femme invisible peut enchanter ainsi toute une maison. Un puits porte loin, comme l'amour. [...] 

Nous avons accepté la règle du jeu, le jeu nous forme à son image. Le Sahara, c'est en nous qu'il se montre. L'aborder, ce n'est point visiter l'oasis, c'est faire notre religion d'une fontaine." 

in Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes 

https://lh5.googleusercontent.com/-qeWAdQB6kTY/SJHSmlQH5VI/AAAAAAAAKsU/vkPXtc-IC6s/w609-h457-no/DSCN4527.JPG

vendredi, décembre 23 2011

Réveiller le puits


Ce matin, j’ai fini mes courses de Noël.

 

Rien que du très ordinaire pour un 23 décembre : de la foule, du monde ; des gens pressés, des gens qui mendient dans une indifférence presque générale, des gens qui se font la gueule et qui se castagnent, des gens qui attendent le train en se bousculant, des gens avec des paquets dans tous leurs bras… Veille de fête.

 

La tête dans la lune ou peut-être quelque peu au ciel, je songeais à Noël, au p’tit Jésus qui se faisait homme, et ça me rendait profondément joyeuse ; et ça me faisait sourire.

 

Une personne croisée toute tristoune a pensé que c’était à elle que je souriais et les commissures de ses lèvres se sont élargies : elle m’a rendu mon sourire, ce qui a eu pour simple effet de me faire sourire encore plus.

 

La joie, la fête, Noël : quel sens ?

 

Je n’aime pas crier haro sur mes frères les hommes, m’indigner trop parce qu’un de mes professeurs m’a fait découvrir l’expression « vacances de fin d’année » pour parler de celles de Noël…

 

Mais ce simple sourire soudain dessiné dans la foule aussi compacte qu’opaque illumina ma matinée.

 

Et, plutôt que de râler sur la perte de sens, sur le mercantilisme d’une fête si intensément chrétienne, j’ai songé à un épisode du Petit Prince pas si naïf qu'il le semble : un passage qui nous engage tous profondément à veiller, à éveiller, à réveiller :

 

- Les hommes, dit le petit prince, ils s’enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu’ils cherchent. Alors ils s’agitent et tournent en rond…

Et il ajouta :

- Ce n’est pas la peine…

 

Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creusés dans le sable. Celui-là ressemblait à un puits de village. Mais il n’y avait là aucun village et je croyais rêver.

 

- C’est étrange, dis-je au petit prince, tout est prêt : la poulie, le seau et la corde…

 

Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gémit comme gémit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi.

- Tu entends, dit le petit prince, nous réveillons ce puits et il chante »

 

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince