Derniers jours du Temps Pascal...
Je me demandais hier soir en publiant l'extrait de Sagesse d'un pauvre quelle était celle de mes lectures qui m'avait le plus marquée durant ce Temps.
Or, si je devais en choisir une, ce serait certainement Le Coeur du Monde d'Hans-Urs von Balthasar, lu grâce à mon tuteur d'études en théologie. Puisque j'ai réalisé une fiche de lecture sur ce livre, je me suis dit que j'allais vous en partager une version légèrement raccourcie : puisse-t-elle vous donner envie de découvrir ce très bel écrit !

Quand on a déjà lu un autre ouvrage de Balthasar, Le Cœur du monde déroute car, alors qu’on s’attend à un ouvrage théologique érudit sur la spiritualité du Cœur de Jésus, seul vrai cœur faisant battre le monde, il s’agit essentiellement d’un immense poème méditatif aux consonances lyriques.
Treize chapitres scandent cette longue méditation, organisée en trois parties : le Royaume – la Passion – la Victoire. Tantôt faisant parler Dieu, tantôt faisant parler le Christ, tantôt partageant l’expérience de l’homme croyant, Balthasar nous offre un véritable chemin pascal, commençant par le constat de notre misère humaine au sein de laquelle s’ouvre l’espérance à travers le soupirail de la prison ténébreuse où nous gisons : « Et dans tout cela une promesse : d’amour, de joie, une échappée sur des lointains indéfinis, éveillant un vertige. La délivrance du cachot insupportable de mon moi. L’aventure à laquelle j’ai toujours aspiré. Le risque total dans lequel je serai sûr de tout perdre et de tout gagner ». C’est le début d’une aventure dans laquelle Balthasar constate et rappelle, jouant de nombreuses fois sur l’ironie, combien Dieu est dangereux puisqu’Il nous laisse profondément libre, « incognito, au milieu de tout le tumulte de la foire terrestre. Il recherche la confiance, la confidence, il mendie votre amour ». C’est cette raison même qui fait que nous L’écartons alors même qu’il voudrait « transformer [s]on cœur sublime en bassin de décantation du monde ». Pourtant, tout prend sens dans le mystère de l’Incarnation : Dieu ne saurait se rendre impur en nous côtoyant, il prend tout de notre humanité pour en enlever le péché. Acte de folie divine ? Peut-être mais Balthasar poursuit : « juste à temps, je me souvins de ton cœur, Seigneur, et je me rappelai que tu as aimé les limites de tes créatures », louant, exaltant cet amour qui s’épanche infiniment. Si certaines paroles sur l’Église peuvent sembler cinglantes, il s’en dégage en réalité un grand amour, un désir de la voir pleinement vivre au rythme du cœur de Dieu, quoique constituée de pécheurs.
En lisant, j’ai souvent senti des échos de saint Jean de la Croix et je me suis souvent prise à prier : « combien je te remercie, Seigneur, de pouvoir couler sans être obligé de saisir, de pouvoir m’épanouir dans ton bienheureux et insondable mystère sans être obligé de me creuser l’esprit sur des signes et des écrits. Car tout est murmure, mais c’est ton nom que les choses murmurent ». Un livre qui ordonne foi, dogme et Église au seul amour, qui a vaincu le monde.
--> Hans-Urs von Balthasar, Le Cœur du monde [1956], éd. Saint-Paul, réédition 1997, 238 p.