(Mosaïque de Rupnik)
Dans le secret d’une petite chapelle, un jour chaud d’été, j’ai enfin rendu les armes face à toutes mes arguties pour écouter une sorte de grand amour qui était en moi qui m’appelait, qui me dépasse et dont je percevais qu’il était porteur de la plus grande joie ; dans le secret d’une chapelle, et j’ai dit un oui libre complètement balbutiant mais aussi complètement plein de joie pour vivre un temps privé d’engagement au célibat.
On peut dire plein de choses sur le célibat consacré, en négatif comme en positif, y voir un aspect très pratique de disponibilité, en rechercher mille raisons psychologiques cachées ou explicites et soit mais il ne faut pas oublier l’essentiel : il s’agit avant tout d’un « oui » à une grande histoire d’amour, à un « veux-tu ? » qui bouleverse et qui donne le désir de dire « oui » avec tout son être. Les raisons, les explications autres peuvent être nécessaires mais elles n’en sont pas moins accessoires face à ce oui primordial d’un amour qui s’engage en réponse à un autre amour. Quand on me pose plein de questions sur mon célibat consacré, quand on le remet même parfois en cause, je m’arrête souvent au bout d’un moment, ne pouvant plus dire autre chose que « histoire d’amour », aussi simple et naïf que cela puisse-t-il être.
Pour autant, je ne suis pas non plus à l’aise avec ceux qui idéalisent ce célibat et le peignent en rose bonbon sucré formidable. L’amour ne veut pas dire que c’est simple tous les jours : les jours creusent leurs crevasses dans nos vies et le « oui » est à redire tous les jours, comme dans un couple qui s’aime et avance tendrement jour après jour malgré les lourdeurs et les crises du quotidien. Je dois avouer d’ailleurs que j’ai une grande tendresse pour les Anciens, quel que soit leur état de vie, qui sont restés fidèles : ils sont souvent des yeux simples, comme lavés par les larmes et leurs rides sont comme les sillons burinés des joies et peines de la vie sur leur corps. Ils disent quelque chose du réalisme de l’amour, qui ne s’écrit pas que dans les volutes légères des jours d’allégresse mais aussi dans la pesanteur des jours graves : calligraphie amoureuse, très certainement un brin divine. Mais ils ne se sont jamais arrêtés, ils ont avancé, ils ont dit oui, un jour, et ils l’ont redit aussi souvent que nécessaire : ils sont un véritable exemple de la réalité de la vie, tout simplement.
Je n’ai pas leur recul mais je ne peux m’empêcher de rester fascinée, émue, de ce Dieu qui m’appelle, d’une manière qui me dépasse de très loin. Même quand les jours sont plus lourds, il est une joie en mon cœur qui est donnée et il est clair que mon « oui » participe à cette joie. J’aime ce célibat consacré où je me suis engagée tout entière, corps et âme. Il n’est certes pas une carapace face au monde où je suis plongée, il est plutôt comme une brèche : un lieu d’inconfort, d’humanité, de pauvreté et de vulnérabilité, mais qui me pousse à redire « oui » à Dieu, chaque matin, pour redire « oui » à mes frères et sœurs et être parmi et avec eux ce signe très simple de la vie consacrée au travers de mes péchés et de mes ratés. Brèche de Dieu dans ma vie ; brèche divine dans la vie des autres, aussi.
Dans le secret d’une petite chapelle, c’était un 24 juin que j’ai dit ce « oui » privé voici 12 ans déjà, renouvelé d’année en année jusqu’à ma consécration et au « oui » pour toujours : ce n’est pas tant un anniversaire, ce n’est ni ma naissance, ni mon baptême, ni ma consécration, c’est une pierre blanche sur mon chemin à laquelle je reviens souvent, à l’école de st Jean-Baptiste, le Précurseur, qui ne fait que désigner le Christ. Un oui comme une pierre que j’ai un jour librement posée pour essayer à mon tour, comme consacrée dans le monde, de témoigner d’un grand Amour et de L’annoncer par tout mon être.