Certains liraient, parait-il, l’avenir dans les lignes du creux de la main. Même si l’on n’y croit pas, il est vrai que nos mains sont faites de creux, de bosses, et de lignes qui se resserrent ou qui s’ouvrent parfois en fossés. Nous présentons peu cette partie de notre corps : peut-être parce qu’elle est, à l’image de nos vies, vulnérable, variée, sans vraie coque protectrice.
C’est pourtant des paumes de mains qui ont été posées sur la tête de deux hommes, de deux diacres ce matin, les replaçant dans cette longue chaîne ininterrompue du sacrement de l’Ordre, comme si la grâce, Sa puissance « donnait toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12, 9). Et c’est pourtant aussi la paume de leurs mains que ces deux jeunes prêtres ont présentée ce matin devant leur évêque pour qu’il les oigne de Saint-Chrême. Cela n’est pas anodin : cette onction pénètre la peau au cœur même de toute leur vie, de tout ce qu’elle a de grand et de vulnérable ensemble, dans les belles hauteurs et dans les creux de leur vie. Par-là, elle imprègne leur existence tout entière.
Pourquoi s’arrêter sur ce qui ne pourrait être somme toute qu’un détail ? Parce que ce détail est particulièrement signifiant, il me semble, en un temps où l’on recommence beaucoup trop à jouer au « eux » versus « nous » entre prêtres et laïcs, dans des temps où, dans la suite du rapport de la CIASE, certains descendent les prêtres en flèche tandis que d’autres, par réaction, les encensent de plus belle : deux réactions qui ne sont pas ajustées, l’une comme l’autre et qui peuvent même, dans le premier cas, être violentes et douloureuses. Il devient alors difficile de chercher à poser une parole juste et elle est pourtant tellement nécessaire, a fortiori un jour d’ordination.
J’ai trop d’amis prêtres pour les encenser mais j’ai aussi bien trop d’amis prêtres pour ne pas les aimer d’une grande affection pour ce qu’ils sont avec des vies comme chacun de nous, avec des qualités et des défauts, avec des forces et des faiblesses, comme chacun de nous : bêtement mais joyeusement humains, tout simplement. Mais s’arrêter là serait lisser, voire gommer la spécificité de leur vie et cela ne serait pas juste non plus : ce sacrement reçu au cœur de toute leur vie même pleine de failles, cette onction reçue après celle du baptême qui est venue habiter toute leur vulnérabilité et qui les missionne et leur donne la force d’être prêtres au milieu et pour le peuple chrétien. Pourquoi nous opposer les uns les autres ? Tout change si l’on a conscience que l’on a besoin les uns des autres ! Nous avons besoin de prêtres, et ils ont besoin de l’ensemble du peuple de Dieu : les uns ne peuvent exister sans les autres et nous ne pouvons former le corps du Christ si nous nous excluons mutuellement. Alors, travaillons ensemble dans le respect de nos vocations propres et aimons-nous les uns les autres, sans naïveté certes, mais en vérité : il paraîtrait même que c’est chrétien !
Pour ma part, ce soir, je ne prétends pas lire pas l’avenir dans le creux de la paume des mains des deux nouveaux prêtres mais je sais que la grâce du Seigneur sera toujours présente pour les accompagner, les soutenir, les fortifier et pour les envoyer. Mais, pour être pleinement au service du Christ et de nos communautés, ils auront besoin de notre prière et de notre affection, alors n’hésitons pas : mains jointes et mains qui encouragent pour ces mains ointes !