Zabou the terrible

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"Ca signifie créer des liens"

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C’était encore un soir dans ma rue sans histoire. Devant l’ordinateur, bien au chaud, je sirotais un mug de chocolat devant l’écran en me disant qu’il faudrait tout de même me remettre au travail quand un coup de sonnette vint interrompre ma torpeur procrastinatrice. Je me précipitai : c’était l’une d’elles.

 

Elles, ce sont ces filles que je croise de temps à autre dans la rue depuis six bons mois. Elles traînent là, sans but, discutent, interpellent les passants – parfois pas vraiment gentiment –, pépient, se chamaillent. Assez souvent, leurs sarcasmes pleuvent et je les entends, drôles ou vraiment méchants… mes voisins ne les aiment pas mais se sont habitués à leur présence lancinante. Deux filles visiblement paumées, venues d’on ne sait où et venant on ne sait jamais trop quand.

 


Comme tous les gens de ma rue, j’ai fait leur connaissance parce qu’elles m’ont « attaquée » verbalement, pour me tester. Ce furent d’abord des remarques aux heures où je rentrais et sortais de chez moi, en fin d’après-midi leur heure de présence la plus fréquente : à force de leur répondre sur le ton de la plaisanterie, d’entrées en sorties, elles m’ont construit tout un personnage, imaginant que j’allais rendre visite à mon amant quand je partais à vélo (c’était peut-être bien vu : j’allais souvent… à la paroisse en réalité !). Bien sûr, mes réponses évasives les firent rire et devinrent comme un rituel.

 

Je ne connais même pas leurs prénoms mais, contrairement à la plupart des personnes de ma rue, l’on se vouvoie. Elles s’amusent et  m’amusent à me donner du « madame » ; alors je leur donne du « mesdemoiselles » respectueux : ça les fait rire… et moi aussi. Elles n’oseront jamais me donner un « ta gueule » ou me crier dessus maintenant, je le sais bien, et nos échanges de quelques instants gagnèrent avec le temps en sourire, en légèreté. En août, alors qu’il faisait très chaud, je me suis même assise quelques minutes avec elles sur le trottoir en apportant une bouteille de jus d’orange.

 

Il paraît qu’une de mes voisines les a traitées à plusieurs reprises de prostituées. En fait, c’est possible. Ou peut-être pas. Ce n’est même pas impossible non plus qu’elles se droguent d’ailleurs. Je n’en sais rien. Dans le fond, ce n’est pas mon rôle de le savoir : je crois qu’elles aiment que je les salue en personne, que je les fasse rire et je continue, simplement.

 

Ce soir, l’une des deux a sonné, c’était urgent : vite, il fallait que je vienne, l’autre avait fait une crise. Du coup, elle venait chercher de l’aide, naturellement.

 

Je dois avouer que je n’avais jamais pris conscience jusque-là du lien qui s’était créé entre nous, à notre insu. Je n’ai pas fait grand-chose : je vins, rassurai, encourageai, apportai un sac en carton, proposai d’appeler les secours – non, elles ne voulaient pas. Vraiment rien mais cela alla heureusement vite mieux. Je leur donnai ensuite quelques gâteaux, histoire que la machine reparte (et parce que je ne sais même pas si elles ont de quoi se payer un vrai dîner…). En les saluant et en refermant ma porte, j’ai pensé rêveusement au Petit Prince.

 

Elles, elles partiront certainement un jour comme elles sont venues, sans prévenir, pour d’autres horizons... je les leur souhaite plus riants et, surtout, heureux. En attendant, elles, ce sont mes roses, à peine apprivoisées, sur lesquelles on se pique souvent les doigts mais sur lesquelles je veille, un peu, mais bien mal alors je les confie au Patron là-haut, régulièrement, parce que je sais bien qu’elles portent autre chose que des épines mais les bourgeons de belles fleurs. Et, seule, je ne saurais jardiner.

 

Et puis je rends grâce aussi : je suis peut-être naïve mais, que voulez-vous, tout le monde n’a pas la chance d’avoir des roses devant sa porte.

 

Commentaires

1. Le jeudi, novembre 25 2010, 23:36 par Elsa

Tendre message !
En les considérant ainsi comme des personnes à part entière, peut-être contribueras-tu à faire évoluer leur image d'elles-mêmes...

2. Le vendredi, novembre 26 2010, 08:20 par Tigreek

"C'est le temps que tu as perdu pour elle qui fait ta rose si importante."

Je l'ai également lu, relu et médité, le Petit Prince... Mais je n'aurais jamais imaginé ce genre de rencontre. Je crois que j'ai encore trop souvent peur des épines pour ne pas voir les bourgeons... Merci Zabou !

3. Le vendredi, novembre 26 2010, 10:39 par Koz

Je n'ai pas grand-chose à ajouter à un tel billet, sinon que j'aimerais suivre ton exemple.

4. Le vendredi, novembre 26 2010, 10:43 par Henri

Ce post me rapelle , d'autres post aussi beaux , l'un dur pour toi "l'inconnu des Lilas et le "Gentilhomme de Dieu" ces personnes qui trouvèrent en Toi une oreille attentive et un coeur ouvert par la Foi. Merci Isabelle.

5. Le vendredi, novembre 26 2010, 20:53 par Corine

Je viens juste cet après-midi d'étudier, en classe, avec mes élèves ce "Petit Prince" et en rentrant, je lis votre billet si touchant. Soudain, le texte que pourtant je connais par coeur s'éclaire d'un nouveau sens.
"On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître".
C'est ce temps que vous avez pris. Merci.

6. Le lundi, novembre 29 2010, 09:12 par JJn

Quand ces roses qui se croient des ronces auront quitté leur jardin de misère, peut-être liront-elles ton petit mot qui parlent d'elles...et d'un regard différent.
Quand ces mots auront quitté le jardin carré d'un écran d'ordinateur pour se poser sur les lèvres d'internautes et faire de leur coeur un vase pour roses sauvages, ... alors les jours d'Avent auront déjà de beaux apprêts.

7. Le mardi, novembre 30 2010, 17:00 par Sophie

Zabou, merci d'être comme tu es.

8. Le mardi, novembre 30 2010, 22:55 par Zabou

Je suis touchée, marquée - dérangée aussi un peu, parfois - par les nombreuses réactions qu'a suscité ce billet, ici, ou par mail... et il m'est difficile de trouver des mots pour vous répondre avec justesse tant il me semble que l'essentiel est simplement, les uns comme les autres, de laisser le fleurissement s'effectuer devant notre regard, bien au-delà de tous nos pauvres mots... 

Quant à ces deux demoiselles, je ne les ai pas recroisées depuis jeudi : j'espère simplement qu'elles sont au chaud. 

Et 2 messages particuliers : 

@ Corinne : bienvenue ici et bravo de faire étudier à vos élèves Le Petit Prince :-) 

@ JJn : ... j'ignorais que tu me lisais ! Touchée... merci de ce que tu écris, si vrai !

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