La seule vraie insolence
Par Zabou le mercredi, avril 29 2015, 07:29 - Lien permanent
– Où est la solution ?"
Je ne m'attendais pas à cette phrase de cette inconnue, ma voisine de métro.
Comme souvent, un type un peu sale, puant, à moitié la gueule en biais venait de faire une annonce pour obtenir des passagers une aide financière.
Comme souvent, j'étais partagée entre donner ou pas... Ce qui se résout souvent par une donnée pratique : y a-t-il quelque monnaie sonnante dans la poche de mon jean que je puisse donner sans avoir à sortir mon portefeuille ?
Au lieu de se contenter d'un passage parmi nous, l'homme est sorti du "comme souvent", n'obtenant rien de notre rame et s'est alors mis à haranguer chacun individuellement, se moquant de la calvitie de l'un, du teint rubicond d'un autre et même des notes que j'étais en train de prendre sur un livre : "et vous la d'moiselle ! Vous lisez et vous écrivez ! Truc de riche !".
Sincèrement, ce n'était pas agréable à entendre mais il n'avait pas tort... La lecture "critique", réflexive, méditative, n'est-ce pas une occupation de gens suffisamment aisés pour dégager du temps pour cela ? Quand le "pauvre" nous renvoie à nos essentiels.
Il descendit à l'arrêt suivant, toujours fulminant. Ma voisine avait gardé la tête baissée et avait été du coup épargnée par la salve. Et c'est là qu'elle se tourna vers moi, regardant d'abord le livre on ne peut plus chrétien que je tenais en main puis relevant ses yeux vers moi, au lieu des habituels "c'est lamentable" ou "pauvre homme", elle demanda avec douceur : "où est la solution ?".
Je lui montrai ce fameux livre entre tous : "peut-être ici, sans doute en chacun de nous... Je ne sais pas. Mais je cherche comme vous."
Elle est descendue à son tour à la station suivante.
Elle avait esquivé la violence mais avait su porter un regard in-habitué sur la pauvreté ;
Ce n'était pas la solution mais c'était déjà un solide point de départ, celui du regard toujours à conserver en éveil attentif, sans "comme souvent" déshumanisant.
Commentaires
"Mais je cherche comme vous" : moi aussi avec vous ! Et on est pleins à chercher, et disons-le nous, partageons nos idées, et continuons à chercher pour agir aussi bien que nous pouvons.
Bon concrètement en tous les cas, je me suis reconnue dans ta réaction, les arguments du type "oui mais ça entretient la mendicité" ne me convainquent plus, (car le filet social est trop plein de trous, etc.). Cela dit ce geste me met surtout face aux questions sur les formes d'engagements ou d'actions qui seraient pertinentes, dans lesquelles j'essaie de piocher au jour le jour, sans avoir de vue d'ensemble cohérente.
En tous les cas merci de parler de cette expérience qui nous prend aux tripes tout le temps. Bises
L.
Cherchons ! :)
Bises !
C'était qwaaaa le livre ?
Hummm.
Donc si je comprends bien, tu arrives à lire un bouquin tout en prenant des notes, le tout dans le métro, et avec une voisine à côté de toi ? Hmmm... Et tu le vis bien d'avoir trois bras ?
Au-delà de la plaisanterie (enfin, je veux bien savoir comment tu t'y prends, hein), reste... la question, la grande question !
J'habite sur une ligne particulièrement fréquentée, et fréquentée par de "vrais" mendiants, si l'on peut dire - pas des gamines de seize ans qui sont envoyées par le réseau mafioso qui les a arrachées à leur Roumanie ou Bulgarie natale et qui se font piquer le pognon le soir, avec la danse s'il n'y a pas assez. On finit par les reconnaître, savoir leur prénom, leur âge, savoir aussi depuis combien de temps ils sont là.
Les années passent. Ils sont toujours là, tous les matins. Ou pas. Et en fait quand ils disparaissent on ne s'en aperçoit pas : peut-être ils sont morts, mais ils ne comptent pas.
Au fond, peut-être la première chose à faire c'est de les regarder comme des hommes, vraiment. Mais ça demande une bonne dose de courage - surtout quand on est une fille.
@Jeune imbécile : A ton avis ? Ca commence par Bi et ça finit par ble.
@ Edel : avec un sac à dos posé sur les genoux comme support, ça passe tout seul
Et je suis d'accord sur ce que tu dis à propos du regard : les regarder comme des hommes. Et les regarder aussi peut-être en priant et en demandant à Dieu d'apprendre à les regarder comme Lui les voit.
Merci Zabou
Cela me rappelle un texte écrit au début de l'année "Qui voyez-vous ?"
et quelques semaines plus tard, des avancées : "Des hommes sont remis debout" & "Qu'as-tu fait de ton frère?"
avant une vraie injustice
et de nouvelles avancées ...
Restons dans la foi, l'espérance et la charité !
A suivre
@ OJ+ : Et il faut visiblement continuer à se battre et à prier...