Zabou the terrible

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Bernanos, l'enfance et la poésie

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    En guise d'au revoir, je vous livre un texte retrouvé il y a quelques semaines tandis que je fouillais un grenier familial poussiéreux. Il apparaissait sur une antique coupure de journal, reproduisant quelques mots de Bernanos écrits sur l'album d'une jeune demoiselle. Leçon d'un aîné, cri d'un coeur brûlant.   
 
Mademoiselle,
 
        Il y a cinq minutes, je me demandais ce que j'allais écrire sur votre album parce que je suis naturellement paresseux. Et puis, j'ai pensé tout à coup que cette idée d'avoir un album était, au fond, bien touchante, bien émouvante -que c'était une idée d'enfant. Et comme toutes les idées d'enfant, elle est généralement bafouée, parce que le monde ne comprend rien à l'enfance. Je ne dis pas que le monde hait l'enfance, mais elle l'embête, et le monde, qui tolère tout, ne supporte pas qu'on l'embête.
 
        Bref, les jeunes filles tendent leur album aux "grandes personnes" comme les pauvres tendent la main. Et ils sont généralement déçus l'un etutre, car il n'y a jamais eu de réellement déçus dans l'univers que les privilégiés des béatitudes, c'est-à-dire les pauvres et les enfants.
 
        La plupart de ces grandes personnes auxquelles vous avez tendu la main -cardinaux, théologiens, historiens, essayistes, romanciers- vous ont donné tout juste une signature. La signature est ici l'équivalent du petit sou qu'on donne aux pauvres. Entre parenthèses, si le régime totalitaire triomphe, ils n'auront même plus besoin d'écrire leur nom, ils inscriront seulement leur numéro matricule comme les militaires ou les forçats.
 
        Mais vous n'avez pas tendu la main qu'aux grandes personnes, vous l'avez aussi tendue aux poètes. Et je crois que les poètes -ô miracle !- vous ont donné sans compter, parce que les poètes sont par nature libéraux et magnifiques. N'oubliez pas désormais que ce monde hideux ne se soutient encore que par la doce complicité -toujours combattue, toujours renaissante- des poètes et des enfants.
 
        Soyez fidèle aux poètes, restez fidèle à l'enfance ! Ne devenez jamais une grande personne ! Il y a un complot des grandes personnes contre l'enfance, et il suffit de lire l'Evangile pour s'en rendre compte. Le Bon Dieu a dit aux cardinaux, théologiens, essayistes, romanciers, à tous enfin : "Devenez semblables aux enfants." Et les cardinaux, théologiens, historiens, essayistes, romanciers, répètent de siècle en siècle à l'enfance trahie : "Devenez semblable à nous."
 
       Lorsque vous relirez ces lignes, dans bien des années, donnez un souvenir au vieil écrivain qui croit de plus en plus à l'impuissance des Puissants, à l'ignorance des Docteurs, à la niaiserie des Machiavels, à l'incurable frivolité des gens sérieux. Tout ce qu'il y a de beau dans l'histoire du monde s'est fait à l'insu de nous par le mystérieux accord de l'humble et ardente patience de l'homme avec la douce Pitié de Dieu.
 
       Bon courage et bonne chance ! Il nous faut tous surmonter la vie. Mais la seule manière de supporter la vie, c'est de l'aimer. Tous les péchés capitaux damnent moins d'hommes que l'Avarice et l'Ennui.
 
G. BERNANOS
 

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