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Ceux qui brûlent les livres, G. Steiner

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Histoire de casser mes stats, je vous présente le compte-rendu de lecture que j'ai remis mardi dernier dans le cadre du cours de tronc commun sur "Le Roman au XXème siècle". Il est court car nous étions limités par le nombre de signes mais sachez que ce livre, s'il est peu facile au premier abord, est vraiment bien.
 
 

George steiner, Ceux qui brûlent les livres, trad. Pierre-Emmanuel dauzat, Paris, L’Herne, coll. Carnets, 2008, 85 p.

            Ceux qui brûlent les livres : le titre du dernier ouvrage traduit en français du renommé George Steiner n’est pas de ceux qui laissent indifférent tant, convoquant l’histoire la plus sombre, il en appelle à la fibre la plus intérieure du lecteur. Composé de trois courts essais, l’auteur va y développer dans une érudition remarquable ce qui constitue l’essence de son rapport aux livres et les liens de ce rapport avec les religions du Livre.  

            Le premier essai, qui donne son titre à l’ouvrage, fut écrit à l’occasion d’une Fiera du livre et ouvre la réflexion sur le « pouvoir indéterminé du livre », source des attaques dont celui-ci est l’objet dès que l’autorité d’une puissance est en jeu. En effet, la rencontre entre livre et lecteur possède un caractère d’unicité performative, libre, imprévisible, magique et donc inquiétante. Elle est dialogue entre un auteur-démiurge et un lecteur pouvant devenir acteur par l’entremise de persona-personnages, énigmes qui se prêtent au jeu d’un déchiffrement jamais terminé. Cette conversation qui lie êtres de chair et de papier ne peut exister selon l’auteur sans une « lecture sérieuse », faite de concentration solitaire afin d’amener à une réelle intimité. C’est cette lecture menacée aujourd’hui par le bruit et la dispersion, aggravée encore par internet, qu’encense l’auteur, craignant pour l’avenir : universitaire renommé, il se pose en humble serviteur du livre et avoue ne pas voir de tâche plus belle.

            « Peuple du Livre », désignation du peuple juif et nom de ce deuxième essai : c’est dans un discours de circonstance, prononcé à Tel-Aviv, que George Steiner va interroger les enjeux de cette expression. Pour lui, elle est avant tout identité profonde, « patrie » à l’origine d’une certaine « non créativité juive » en littérature : comment concilier en effet transmission orale d’une parole transcendante,  commentaire de celle-ci et nouveauté dans un contexte sacré ? Ce peuple se situe ainsi au cœur du problème entre « Λόγος et sens », complexifié encore par les mutations de notre société contemporaine. En effet, si une première évolution avait eu lieu avec l’imprimerie, celle-ci est dépassée par les possibilités innombrables de la technologie informatique : les valeurs textuelles changent et, avec elles, celles du judaïsme qui lui étaient intrinsèquement liées. Qu’en est-il donc de ce patrimoine du Livre ? L’auteur demeure circonspect devant l’assimilation de ce peuple à une norme, castratrice quand il considère le caractère salvateur des échanges sur le savoir qui prévalaient jusque là.

            Et l’auteur de partir de cette universalisation, non-applicable au livre, pour son troisième essai, consacré à l’étrange engeance des « dissidents du livre ». Utilisant deux figures fondatrices du livre n’ayant jamais rien écrit, Socrate et Jésus, il montre combien ce passage à l’écrit confère à l’oral de l’autorité tout en le déparant de la mémoire, véritable mise en vie du texte. Cette « tension » caractérise d’ailleurs les premiers siècles du christianisme, et même bien au-delà, tant les écrits théologiques que le livre par excellence qu’est la Bible.

            C’est par une conclusion générale de l’ouvrage que se clôt ce troisième essai, conclusion que l’auteur veut « personnelle » et qui est en réalité interrogation métaphysique : comment, nous qui nous targuons d’apprécier les « humanités », concilions-nous leur étude et notre engagement au sein de l’humanité ? La question reste ouverte et laisse libre chacun d’y apporter son propre chemin de réponse. C’est là sans doute que réside la plus grande force de cet ouvrage : proposer à son lecteur plus de questions qu’il n’offre de réponses.

 
Isapdlg
 

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