Zabou the terrible

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Oh ! Sérieux ?

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         Ce que je fais quand je vais en bibliothèque ? Eh bien, je travaille sur un auteur sérieux, très sérieux. Parce que c'est "mon" auteur sur lequel porte "mon" sujet (je deviens terriblement possessive depuis que je suis en master, moi : va falloir que je me calme). Et puis d'ailleurs, en littérature, nous sommes toujours très sérieux, c'est bien connu. Pardon, ô mes lecteurs, pour ce texte lu ce jour... mais le pire, c'est qu'il est intéressant même si pas en rapport direct avec mon sujet. Et je suis sérieuse. Comme toujours d'ailleurs.
 
Extrait de BUISINE Alain, Huysmans à fleur de peau, "water closet", p.27-29 :
 
J.-K. H.
 

           Lisant très attentivement le second carnet de voyage de Huysmans, Voyage aux cathédrales rouges, dans lequel il reprend, sous une forme plus élaborée et plus écrite, les notes de son premier carnet prises sur le vif au cours de son périple, je ne peux manquer de m’étonner de son obstination à scrupuleusement relever la présence ou l’absence de « pissotières » et de « chiottes » dans les différentes villes qu’il visite. En résulte une alternance apparemment saugrenue des musées et des water-closets, des églises anciennes et des lieux d’aisance, des élévations mystiques et des besoins naturels. A Strasbourg : « La ville n’abonde pas de pissotières, mais enfin il y en a –une chiotte- ». A Fribourg-en-Brisgau : « Pas un urinoir, dans cette ville ! ». A Mayence, par contre qui est l’une des cités allemandes les mieux pourvues en toilettes : « Chiottes et pissotières partout ici ». Il en va de même à Francfort-sur-le-Main : « Des chiottes et des pissotières par toute la ville ». Mais quel désastre urinaire à Cologne, plus riche en œuvres d’art qu’en vespasiennes ! « ah ! l’immonde ville ! pissotières si rares, qu’il faut revenir pour pisser à la gare ».

         A moins de supposer en toute gratuité que mon écrivain est victime de quelconques problèmes d’énurésie ou de colique, je suis bien obligé de m’interroger sur ces rapports inattendus de la miction et de la peinture, de la déjection et de l’esthétique. Il convient alors (même si c’est désastreusement inconvenant, mais pas plus après tout que les répétitives digressions sanitaires de H. lui-même) de souligner une triviale évidence physiologique, à savoir que « pisser » et « chier » consistent très matériellement à évacuer à l’extérieur ce qui est à l’intérieur, autrement dit à se libérer de ce qui encombre et obstrue le corps, le soumet lamentablement à la pesanteur et à l’horreur des matières. S’il se révèle indispensable qu’une vieille ville fort riche en églises romanes et gothiques, en pinacothèques abritant maints panneaux de peintres primitifs, soit également équipée de nombreux et commodes w.c. publics, c’est que dans l’un et l’autre cas il s’agit prioritairement de faire dégorger le corporel, par l’art ou, de façon plus prosaïque, dans les petits édicules prévus à cet effet. C’est aussi évident qu’indécent : la critique d’art huysmansienne fonctionne (sur un mode très littéral et non simplement métaphorique) sur le modèle même de la satisfaction des besoins naturels, quand le corps se vide, s’allège les entrailles. Car la peinture telle que l’analyse et surtout la fantasme l’auteur des Trois Primitifs n’aura d’autre fonction que de soulager le réel. Oserait-on la définir de façon très physiologique comme une défécation par le réel lui-même (dès l’instant où il entre en représentation) de sa propre charge référentielle ? Le réel (se) décharge pour n’être plus que surface peinte.

P.S : Les anciens jmjistes de 2005 noteront avec intérêt le problème déjà réel des pissotières à Cologne au XIXème siècle. (Ok, ok, je m'auto-sors du blog).

 

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