Hello ! Une page, « Deux étrangers »
Par Zabou le dimanche, février 28 2010, 14:27 - Lien permanent
L’homme ignore ce qui peut se passer en lui, à l’instant où certaines choses qu’il a en puissance viennent en acte. Plongeant au fond de lui-même, le Prêtre y saisit subitement d’une main sûre toutes les forces qu’il avait ramassées et préparées depuis longtemps, et les présentant ensemble à Celui qui voit tout, il restant sans parole, comme s’il eût été vide, et dit enfin :
- Seigneur, je ne vois, ni ne sais,
ni ne puis. Mais ayez pitié de ces deux hommes entre qui vous m’avez placé :
car vous êtes leur Dieu et ils sont vos créatures. La terre est trop petite
pour eux : ne les repoussez pas de vous ; ne les éloignez pas de la
fête éternelle, car vraiment ils ont besoin de joie, et la joie est un de vos
dons. Ils ont épuisé les choses de ce monde ; ils étouffent ; ils ont
besoin de franchir les bornes de notre atmosphère. Ô Dieu de délivrance, qu’ils
saisissent enfin de leurs mains vivifiées la jeunesse et la résurrection.
J’attends, Seigneur, j’attends :
faites, faites. Amen aux explosions de la lumière qui va venir. Ne la ménagez
pas, Seigneur ; faites-la couler sur nos fronts, sous nos pas ; car
on ne sait où poser le pied, nous sommes encombrés de ténèbres. Amen aux
splendeurs matinales de l’horizon qui s’allume, et que ces deux âmes soient
délivrées !
Faites éclater votre voix qui soulage en parlant ! Esprit de paix, Esprit de joie, ô langues de feu, douces et dévorantes, souffle qui enflammes et qui rafraîchis, sérénité translumineuse, vivifiante, embrasante, devant laquelle meurt ma parole, j’ai prié, et j’attends. Du fond de l’abîme, Dieu de gloire, je vous parle pour eux dans toute la faiblesse, dans toute la terreur, dans toute l’impuissance, dans toute la solennité dont mon âme est capable. Ô lumière adorée, pour leur apprendre à dire : Amen ! ravissez-les jusqu’aux régions de la joie et de la foudre. Qu’ils disent Amen de plus près, Amen sur la montagne, Amen dans leur langue, dans la langue de leur patrie, dans la langue dont l’harmonie fait oublier, se souvenir, se reconnaître et pleurer ! Que leur Amen éclate enfin dans les cieux.
Ernest Hello, « Deux étrangers », Contes extraordinaires