Zabou the terrible

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La vraie vie d’un prof de lycée en éducation prioritaire par temps troublés de réforme

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Attention, il ne s’agit pas ici d’un n-ième récit plaintif de prof pour dire que c’était mieux avant : j’aime profondément enseigner et accompagner les élèves au quotidien dans leur croissance. Néanmoins, la tournure actuelle des événements m’énerve : je ne revendique rien mais je vois les annonces concernant le métier de prof s’alourdir, bien au-delà de la réforme des retraites, et de trop nombreuses personnes extérieures à notre métier, y compris parmi mes proches, expliquer que les profs doivent arrêter de râler et que cela commence à bien faire. Seulement, outre ces annonces qui risquent vraiment de continuer à diluer le sens de notre profession, ceux-ci ne connaissent pas l’état actuel survolté des lycées, en cette période où les réformes du nouveau bac commencent – ou pas – à s’appliquer et chez les lycéens, et chez leurs professeurs. Cette journée écoulée étant particulièrement paradigmatique d’une journée de prof en lycée général d’éducation prioritaire en cette période, je vous la raconte, plutôt sous la forme d’une suite d’instantanés car, mine de rien, j’ai du travail, en bonne feignasse de prof. Commençons donc, aujourd’hui, je devais assurer 4h de cours, de 11h à 13h, puis de 14h à 16h…  

 

7h, le réveil sonne. Trop tôt par rapport aux lundis ordinaires mais je dois me rendre au lycée pour 9h, rendez-vous avec plusieurs professionnels, de l’éducation et de la santé, pour une élève déscolarisée, en grande détresse, qui doit retrouver le chemin de l’école. 

 

Laudes, à moitié endormie. Je confie ce premier rdv, épineux, au Seigneur et je me dis qu’aujourd’hui, ça risque d’être la loose : les fameuses « E3C », épreuves du « nouveau bac », sont prévues chez nous mardi et mercredi et, vu les messages des collègues hier soir et les réactions des élèves la semaine dernière, ça ne devrait pas être serein. Petit-déj rapide et départ, mal au ventre car angoissée par la situation. 

 

Grrrrr des bouchons ! 

 

9h, j’arrive tout juste, je demande au secrétariat où va être la réunion. On m’indique la salle mais en m’informant d’un changement de dernière minute : la réunion ne sera qu’à 9h30. Joie. 

 

Qu’à cela ne tienne, je vais corriger quelques copies dans la « salle de collection » : ah ben tiens, comme la semaine dernière, il n’y a pas de chauffage. De toute façon, je suis vite dérangée par les hurlements dans le couloir qui me font aller voir pour renforcer la présence d’adultes : les élèves s’énervent et mettent en place un blocus progressif pour protester contre les E3C. 

 

9h30 : on se retrouve en salle de réunion, il manque encore l’élève concernée avec sa mère. On prend un café, j’en profite pour échanger sur le cas de certains de mes élèves avec l’infirmière présente, ne perdons pas un instant. On convient de se retrouver à 16h pour parler d’une élève qui nous semble en danger. 

 

Réunion : je ne rentrerai pas dans les détails mais c’est une élève que j’ai eue au collège, qui avait été déscolarisée, rescolarisée puis à nouveau déscolarisée. Des problèmes immenses : la Providence a bien fait les choses pour la rassurer puisque c’est moi, prof qu’elle connaît, qui serai sa prof principale. On convient, avec le corps médical présent et les divers dispositifs d’aide, d’un emploi du temps très light, plus qu’aménagé. Une autre prof et moi allons lui donner – de manière rémunérée – quelques séances. Mais il faut une tutrice dans l’établissement, mission bénévole… forcément, c’est à moi que revient cette mission pourtant pas vraiment dans le cadre de ma mission de prof principale. En même temps, il faut convenir que j’ai un passé et du passif avec cette élève. 

 

Oh tiens, soudain de la fumée par la fenêtre ! La CPE quitte en courant la réunion : les élèves sont en train de faire cramer les poubelles devant le lycée. De quoi rassurer notre élève inquiète… Ca fait du bruit et c’est le bazar.

 

J’ai néanmoins été heureuse de voir mon élève sourire en voyant que je serai sa prof principale ; mais elle a aussi pleuré, plusieurs fois… Et moi qui la connais, j’ai dû plusieurs fois me retenir d’écraser une larme. En sortant, c’est la mère qui pleure de reconnaissance envers les quelques profs présents. Et, moi, quoique faisant mine de rien, je suis encore émue. Je confie ce projet dans mon cœur au Seigneur, vite fait, mais forcément bien fait, avec Lui. Mais croyez-vous vraiment que nous soyons formés à tous ces accompagnements que nous faisons ? Cette élève, d’ailleurs, est la seule pour laquelle j’ai dû jadis faire jouer ma formation aux premiers secours, même pas obligatoire pour les profs : ne serait-ce pas cela une réforme intéressante ? 

 

Visite pour elle de quelques coins stratégiques du lycée jusqu’à retrouver la CPE. La police est dehors, des gardes privés également : c’est chaud, ça remue. 

 

Zut, il est 11h05, je cours retrouver mes élèves. Ils hurlent dans les couloirs avec d’autres, profitant de l’état du lycée. Je dois les calmer, je dois leur expliquer, j’y perds un peu de temps. En faisant l’appel, je m’aperçois que nous avons un message de la direction nous informant d’une réunion type gestion de crise à 12h45. Je les mets au travail en autonomie mais c’est compliqué vu leur état d’excitation et je constate un autre message annonçant que les E3C sont reportées dans notre établissement. 

 

Je récupère mon ½ groupe de 1ère à 12h, très heureux du report, je leur dis que je dois les lâcher à 12h45 pour la réunion. Certains me font rire de leur côté mini-syndicalistes en herbe. Je fais cours sur l'argumentation, on fait le lien avec la situation actuelle, on s'enflamme… zut, il est 12h46 : je les mets dehors, je sors et cours vers la réunion. 

 

Réunion : récapitulatif des événements de la matinée, de l’état concernant les E3C, des perspectives. Les cours des deux prochains jours reprennent finalement leur état habituel – zut, j’avais prévu de faire autrement et aujourd’hui, et les prochains jours, pas grave, il faut défaire et refaire – ça parle, ça commence à aborder des sujets épineux, ça conteste, les profs sont échaudés, mais il est déjà 13h20 et ça sonne à 13h55, je vais avoir à peine le temps de manger.  

 

Je quitte la réunion pour rejoindre le micro-ondes de notre salle de collection… des élèves hurlent dans les couloirs, profitant de l’absence pour réunion des profs et de la situation présente, j’essaye de calmer le jeu avec une surveillante. Succès mitigé – heureusement, ma lunch box est prête, juste à réchauffer – j’avale tout avec un lance-pierre, ça sonne, mais, entre un café et un dessert puisque je n’ai pas le temps des deux, je choisis le café pour tenir. 

 

L’autre ½ groupe de 1ère est plein de questions mais on arrive quand même à faire cours. Tiens, le chauffage s’est lancé : jusqu’à quand ? 

 

15h,  les 1ères techno. Mais, en ½ groupe ? C’est simple, la moitié de la classe a profité de la situation et n’est pas venue en cours. Je grogne de leur inconséquence mais, enfin les présents n'ont pas à subir mon ire. Moi qui avais prévu un exercice et un sujet sympa pour ne pas les accabler la veille des E3C (à base de « Twitwi » des chats comme manière décalée de parler de Voltaire, si, si !), eh bien, c’est raté pour avancer convenablement puisque la moitié de la classe n’est pas là. Et la moitié de la moitié présente – bref un quart de classe – n’est pas vraiment super chaude pour travailler. J’adopte une situation médiane : de toute façon, je dois changer mes cours pour demain. Dans le fond, chacun sait bien que les profs ne font rien et j’ai toute ma soirée : ce n'est pas comme si le planning des prochains jours avait été donné uniquement vendredi soir dernier. 

 

16h, je file à l’infirmerie comme convenu pour parler d’une de mes élèves dont la situation est vraiment préoccupante. L’infirmière n’est pas là, je la cherche sans succès dans l’établissement. Tant pis, il faudra renouveler cela, si possible assez vite. 

Du coup, j’en profite pour passer au secrétariat afin de fixer – à nouveau sur mon temps libre – un rdv avec la direction afin de préparer le loto de financement du voyage scolaire que nous organisons (aussi sur notre temps libre). 

 

Je suis claquée et j’ai faim mais je peux enfin rentrer chez moi : ouf. 

Demain, le lycée fonctionnera-t-il ou sera-t-il bloqué ? Demain, y aura-t-il du chauffage dès le matin ? 

En attendant, le soir, pour un prof chrétien, il y a quand même toujours de très larges intentions de prières à Lui remettre ! 

 

 

Une journée peut-être spécialement pénible, certes, mais qui, comme pour mes collègues, ne me sera payée que 4h de cours pour ceux qui ne pensent qu’en termes de compensation financière. Pourtant, demain, comme tous mes collègues, je serai à nouveau devant mes élèves, parce que la mission du professeur est magnifique et simplement parce que j’y crois, à fond… mais le cœur chaque jour un peu plus écorché vif du traitement qui est fait dans les médias de la situation des professeurs. Alors, n’oubliez pas la réalité avant de parler de nous, amis lecteurs ! J

 

Commentaires

1. Le lundi, janvier 27 2020, 21:34 par Eliette

Merci Zabou.
Je te fais mille fois confiance, merci pour tes élèves.
Et méga pensées pour les profs et ces élèves dont tu parles dans ton billet.
Ici aussi au port, c'est compliqué, certes de façon plus momentanée avec la grève mais en lisant la tension dans vos couloirs, j'y retrouve quelque chose de la tension que génèrent les blocages dans les équipes ici, ou même au-delà de la grève, la tension sur tel ou tel projet, dans telle ou telle équipe...
Tu parles d'un défi la paix dans toussa.
En tout cas re des tonnes de courage pour toi. Merci de nous avoir couché ta journée sur le papier.

2. Le mercredi, janvier 29 2020, 22:23 par Zabou

Oh oui je me doute que ce n'est pas simple non plus par chez toi... Il y a tant et tant de conflits sociaux en ce moment et l'on a l'impression souvent que l'écoute se réduit à portion ténue. A nous de continuer, malgré les tempêtes, à chercher à être ferments de paix ! 

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