Zabou the terrible

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Des trous dans la fraternité

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         Cela aurait pu être ironique si c’était un récit et non pas le monde réel. 

 

Ce matin, je suis partie faire passer le bac, cet examen républicain par excellence, et en plus en Lettres, cette matière qui oriente si bien chacun vers le haut, vers ce qu’il y a de bon et de beau dans la vie. Contrairement à mes habitudes, ce n’était pas vers ma banlieue ordinaire d’enseignement que je me rendais, celle où la misère est trop souvent la compagne des jours, mais vers un établissement privé d’une banlieue chic : mystère des affectations pour les examens. 

 

         Pour m’y rendre, il fallait que je passe par des banlieues moins riches, moins calmes ce matin : et d’ailleurs, j’avais entendu une bonne partie de la nuit depuis ma fenêtre des tirs de mortiers, à quelques centaines de mètres de chez moi. Je ne savais que trop pourquoi. 

 

         Ce matin, je suis partie faire passer le bac et il y avait des bouchons là où, habituellement, ça roule. Connaissant le quartier, je pris des petites routes pour finalement me retrouver face au carrefour où cela bloquait : on ôtait une carcasse de voiture et les dégâts des bris de la nuit. Cherchant une autre route, je me dis dépasser par une voiture de pompiers : c’était qu’il y avait encore un feu par-là, une voiture en flammes. C’était impressionnant. Il fallut faire encore un détour... et un peu plus loin, c’est simplement le bitume que je vis qui était tout noir, comme s’il avait eu trop chaud et qui formait comme un trou : comme une brûlure sur celui-ci, et plus profondément, sans doute, comme le signe d’un trou dans notre fraternité. Cela m’a saisie d’un coup aux entrailles, comme si c’était bien cela qui éclatait aujourd’hui au grand jour : cette histoire, c’est la mort d’un homme mais c’est aussi la marque de notre société qui manque de commun. 

 

         Et puis, Nahel, ça aurait pu être un de mes élèves ou de mes anciens élèves, et je ne peux pas m’empêcher de me sentir concernée par ce qui est arrivé : quand on ne réussit plus qu’à tuer un autre ; quand on n’a plus les mots ; quand on n’a plus que les armes, d’un côté et de l’autre, que la violence pour dire, pour hurler, qui notre peur, qui notre haine. Et certains témoins des médias en rajoutent « ils sont comme ceci, ils sont comme cela ! » : vraiment, peut-on avoir un discours si péremptoire et si excluant ? 

 

         Si les actes de violence qui se déroulent sont inadmissibles, il ne suffit pas de les condamner. Il est urgent de rebâtir quelque chose de l’ordre d’une fraternité : Nahel, comme le policier qui a tiré, comme les jeunes qui cassent, comme ceux qui passent leur bac tranquillement sans s’en apercevoir sont frères et sœurs. Comment saurons-nous à nouveau tendre des mains de part et d’autre ? 

 

         Je n’ai que ma prière, je n’ai que mes mains et mon service de prof, rien de bien fort ou de bien triomphal. Du minuscule puissance grâce de Dieu. Mais peut-être que, si chacun s’active là où il est pour sortir de sa bulle, de son ghetto renfermé, peut-être que ces trous de la fraternité se combleront et germeront un peu mieux, un peu moins mal, en autant de bosses, voire de ponts. Avoir la bosse de la fraternité, voilà qui serait pas mal, non ?

 

 

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