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En reposant les choses : un synode sur la synodalité ? – 1

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         Voilà bien longtemps que je voulais écrire quelques mots au sujet du synode sur la synodalité. A vrai dire, j’aurais même beaucoup de choses à dire mais le temps me manque (ou en tout cas me manquera probablement) pour écrire toute la série d’articles que j’aimerais écrire sur le sujet tant il me semble qu’il y a de confusions. Il n’empêche que la parution successive d’un certain nombre d’articles récents attaquant pour certains non pas tant tel ou tel sujet évoqué par l’Instrumentum laboris que le principe même du synode me donne envie d’écrire au moins un billet (et plus si j’en ai l’occasion). 

 

         De fait, à en croire les internets catholiques, il faudrait être contre cet horrible synode ! J’exagère mais, en réalité, je ne crois pas qu’il s’agisse vraiment d’être pour ou contre : il s’agit d’un processus entrepris dans toute l’Église qui nous concerne, tous. Si l’on en est encore à se demander quel est notre avis à ce sujet, c’est peut-être que nous n’avons pas vu que nous étions concernés, en marche ensemble (sans mauvais jeu de mots car il s’agit bien de marcher ensemble), impliqués dans cette même démarche, occasion pour l’Église de se mettre à nouveaux frais à l’écoute de l’Esprit Saint pour réfléchir à sa manière d’être et de vivre l’annonce de l’évangile. 

 

         Parfois, sans doute à cause de l’influence de synodes d’autres pays ou plus locaux qui ont des implications peut-être davantage directement politiques, certains pensent qu’il s’agit pour l’Église d’être comme une girouette désignant simplement le sens du vent de notre monde contemporain : que nenni ! S’il y a bien un seul souffle, c’est celui de l’Esprit et une seule base bien ancrée, c’est le Christ ! 

 

         D’autres critiquent le principe même d’Église synodale, oubliant que la synodalité ne date pas d’hier et se vit d’ailleurs de manière bien plus importante et régulière chez nos frères chrétiens, protestants comme orthodoxes. En revanche, il est vrai que nous, catholiques, l’avons probablement davantage oubliée au fil des siècles – il est vrai que le synode des évêques a été établi en tant que tel lors du concile Vatican ii par Paul vi[1] mais il ne s’appuyait pas sur rien ! Il est donc particulièrement bon d’aller lire les pères de l’Église, de voir leur écoute régulière du monde dans lequel leur cœur vibrait, dans lequel leur mission s’exerçait, avec passion. Il est ressourçant et très rassurant de lire les débats des synodes / conciles des premiers siècles et de constater qu’ils n’étaient pas exempts de discordes, plus vigoureuses qu’aujourd’hui très certainement où, souvent, on préfère les taire, ne pas aborder les sujets qui fâchent ou demander à ce qu’ils ne soient surtout pas traités (n’est-ce pas non plus une partie des oppositions que l’on voit poindre aujourd’hui à ce sujet ? Pourquoi avons-nous peur à ce point ?).  

 

         Si l’on en reste là, il est vrai qu’on pourrait accuser un synode de ne faire que le jeu de telle ou telle tendance : ce serait oublier qu’il s’agit avant tout d’une démarche spirituelle vécue dans la prière, qui s’ouvre toujours par demander l’assistance de l’Esprit Saint, esprit de conseil, de sagesse et de discernement. Bien plus encore, toute démarche synodale s’appuie sur une notion on ne peut plus traditionnelle : celle du sensus fidei, ce « sens de la foi » que le pape François aime tant appeler le « flair du troupeau ». Chaque baptisé en est doté ! Cela ne veut pas dire que chaque baptisé a raison sur tout et qu’un seul doit être déterminant mais cela signifie que chacun a quelque chose à dire sur le Christ et cela, c’est essentiel ! Cela signifie qu’il est sain d’entrer dans une démarche d’écoute spirituelle de ce que mon frère, même le plus pauvre, même celui qui me semble le plus « mal croyant » (mais croit-il vraiment plus mal que moi ?) dit du Christ. Voici d’ailleurs ce qu’en disait le pape François dans son discours à l’occasion du 50ème anniversaire du synode des évêques : 

« Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, j’ai souligné que «le Peuple de Dieu est saint à cause de cette onction que le rend infaillible “in credendo”», ajoutant que « chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions ». Le sensus fidei empêche une séparation rigide entre Ecclesia docens et Ecclesia discens, puisque le Troupeau possède aussi son propre ‘‘flair’’ pour discerner les nouvelles routes que le Seigneur ouvre à l’Église[2]. » 

En revanche, cela signifie aussi que je dois perdre toute prétention à exprimer moi-même et moi tout seul toute la foi de l’Église et que j’ai besoin de l’autre. Cela nous incite à nous découvrir toujours mieux membres d’une même Église, même si nous sommes différents. Le pape l’exprime encore : 

La synodalité, comme dimension constitutive de l’Église, nous offre le cadre d’interprétation le plus adapté pour comprendre le ministère hiérarchique lui-même. Si nous comprenons que, comme dit Saint Jean Chrysostome, « Église et Synode sont synonymes » – parce que l’Église n’est autre que le « marcher ensemble » du troupeau de Dieu sur les sentiers de l’histoire à la rencontre du Christ Seigneur – nous comprenons aussi qu’en son sein personne ne peut être « élevé » au-dessus des autres. Au contraire, il est nécessaire dans l’Église que chacun s’« abaisse » pour se mettre au service des frères tout au long du chemin[3]

 

Ainsi, les sessions du synode des évêques seront au service du discernement de ce sensus fidei, pour discerner et décider. Que peut-il y avoir de mal à cela sinon nous aider à être plus fidèles à l'annonce de l'évangile (a fortiori un 22 juillet, fête de sainte Marie-Madeleine !) ? 

 

 

A suivre sur d’autres points précis, 

si Dieu – et surtout mon agenda – le veulent. 

 

 

 

[1] « En observant attentivement les signes des temps, Nous Nous efforçons d'adapter les voies et les moyens de l'apostolat aux besoins pressants de nos jours et aux nouvelles conditions de la vie sociale. Notre sollicitude apostolique Nous presse de renforcer par des liens toujours plus étroits Notre union avec les évêques «que l'Esprit Saint a établis [...] pour régir l'Église de Dieu» (Ac 20,28). Nous sommes incités à cela, non seulement par le respect, l'estime et la reconnaissance que Nous avons pour tous Nos vénérables frères dans l'épiscopat, mais aussi par Notre très lourde charge de Pasteur universel, qui Nous impose le devoir de conduire le Peuple de Dieu vers les pâturages éternels », Motu proprio ‘Apostolica sollicitudo’, 15 septembre 1965. 

 

[2] Pape François, discours à l’occasion du 50ème anniversaire de l’institution du synode des évêques, 17 octobre 2015. 

[3] Idem.

Commentaires

1. Le samedi, juillet 22 2023, 14:36 par Pascal

oui il y a des réticences concernant ce synode et précisément ce processus du "marcher ensemble". Trop de personnes lui préfèrent un rassurant repli sur soi, sur l'air du "Continuons comme on a toujours fait", avec une bonne dose de cléricalisme.
C'est l'Esprit qui nous mènera là et comme nous devons aller… sinon nous risquerions de fermer la boutique d'ici peu.

2. Le mardi, juillet 25 2023, 17:23 par Michel MICHEL

1
Ah ! Si j’étais Pape !
Contribution au Synode d’un sociologue plutôt « tradi »

Sur l’air de "Ah ! si j'étais riche"

En Janvier 2022, une curieuse feuille paroissiale nous était distribuée pour
préparer un « synode sur la synodalité » ; un ordre du jour qui a fait rire pas mal
de paroissiens ; ce tract leur posait des questions très « ouvertes » : « Si j’étais le
curé (ou l’évêque ou le pape) »…, « L’Eglise devrait… ». Si j’étais Pape, (ce
qu’à Dieu ne plaise, l’idée me terrifie) ; mais puisque la feuille paroissiale m’y
incite, puisqu’il est question de consulter les laïcs je me suis pris à ce jeu un peu
paranoïaque. Mon point de vue est évidemment partiel et, j’espère, pas trop
partial.

Questions de méthode
Je suis psycho-sociologue de profession et familier des réunions consacrées au
fonctionnement de l’organisation. Une structure doit se consacrer à son objet ;
quand elle passe trop de temps à réfléchir sur son fonctionnement, je sais qu’elle
est en crise et que tous les appels à la spontanéité et à la créativité sont le plus
souvent des façons de camoufler des actions « manœuvrières » pour construire
une « opinion publique » de circonstance (cf. Les Assemblées générales
étudiantes, les soviets, les « sociétés de pensée », etc.). Ces assemblées assez
peu représentatives (parce que les « majorités silencieuses » ne viennent pas à ce
2
type de consultation) sont faites pour faire accepter des orientations globalement
prédéfinies (Cf. Les travaux d’Augustin Cochin sur les sociétés de pensée).
Les « gentils-animateurs » qui se déplacent à chaque réunion, définissent les
règles du jeu, et font respecter (ou pas) le « droit à la parole », sont les véritables
acteurs du pouvoir dans ce type d’assemblée.
Aussi après avoir ri d’un «synode sur la synodalité»
1
, je me suis inquiété : on
ressortait les vieilles recettes spontanéistes de la fin du XXe siècle pour mettre
en agitation le peuple de Dieu et faire croire que l’Esprit Saint s’exprimait à
travers la dynamique de groupe la plus évidemment manipulatrice (évidence qui
vient de ce que les animateurs un peu néophytes font trop confiance à la
méthode). Je me souviens par exemple de cette « assemblée des jeunes » censée
dégager le point de vue des jeunes du diocèse. Deux de mes enfants y sont allés
et nous avons écouté le texte qui en résultait et qui était présenté aux paroisses
comme les orientations que désiraient les jeunes. Mes enfants témoignèrent que
ce texte ne reflétait pas les propos des participants et eurent le courage de le
dénoncer lors de la messe paroissiale.
A court terme, ce type de manœuvres permet d’imposer une décision en donnant
une vague impression d’unanimité mais à long terme, ça ressemble plus à des
propos convenus et stéréotypés (ici en « langue du buis »). Les jeux
« oulipiens » de créativité montrent que c’est en imposant des règles arbitraires
(écrire un texte sans la lettre R, acrostiche, « cadavres exquis »,…) qu’on obtient
les résultats les plus créatifs et non pas une liberté informelle..
Par ces rencontres, on ne peut faire émerger que les clichés (reflet du discours
des médias plus ou moins bien reformulés en « langue de buis ») ; si on voulait
vraiment obtenir le sentiment profond des paroissiens on ferait une série
d’entretiens approfondis et on obtiendrait alors un tout autre matériau..
Quoiqu’il en soit, il est bien évident que dans le cadre du processus de
« consultation du peuple de Dieu » mis en place par l’appareil ecclésiastique, je
ne pense pas que j’aurais pu exprimer mon rapport à l’Eglise.

Je me suis ensuite interrogé sur ce mot de « synodalité ». Je sais que les
orthodoxes sont très attachés à ce mode de gouvernement qui permet aux
différents patriarcats de plus ou moins se supporter et qui est probablement un
des points faibles de ces Eglises. Mais il est trop évident que pour l’Eglise
romaine, l’effort d’œcuménisme est essentiellement orienté vers les confessions
issues de la réforme, voire le judaïsme ; elle a souvent abandonné les Eglises
1 C’est extraordinaire comme on a recours au Grec depuis qu’on a banni le Latin…
3
catholiques d’Orient qui sont en concurrence parfois directe avec les
communautés schismatiques « orthodoxes ».
J’ai lu dans un journal que l’objectif était de développer la « démocratie » au
sein de l’Eglise, ce qui ne m’a pas rassuré car « démocratie » est un « motvalise », une notion fourre-tout dans laquelle on peut mettre n’importe quoi
(Thatcher, Robespierre, l’Etat-Providence Suédois, les Soviets ou le
gouvernement des juges). S’agirait-il d’un nouveau ralliement à la langue de
bois occidentale ? En tout cas dès sa fondation au sein des disciples du Christ,
l’Eglise n’a jamais été une démocratie (même si en France, à la fin des guerres
de religion, des théologiens de la Ligue catholique défendirent la prééminence
du peuple sur le Roi soupçonné de pactiser avec les Huguenots.

J’ai du mal à voir dans la synodalité un rejet du cléricalisme : même dans les
années 70 où l’on jetait les soutanes par-dessus les orties, celui qui avait le droit
de prêcher, profitait de son état de clerc et de l’argument d’autorité (« Le
Concile »), pour imposer aux fidèles le rejet des usages et traditions séculaires.
Je me souviens de ce jésuite en charge de la mise en place d’une table
eucharistique centrée au milieu des fidèles à la place de l’autel ; je lui proposais
de faire une consultation des fidèles dans la paroisse. Le jésuite me répondit :
« vous êtes fou ! Si on les écoutait, ils nous renverraient tous dans nos
sacristies ». La révolution liturgique ne s’est jamais faite à partir de la demande
des fidèles, c’est un pur produit de la société cléricale. Le cléricalisme est le seul
travers dont les clercs ne sauraient se défaire : c’est comme si on demandait aux
bureaucrates d’abandonner l’impératif du règlement ou aux militaires de se
désarmer… Ce ne sont pas les laïcs qui ont imposé « l’ouverture au monde » et
la révolution liturgique, ce sont les clercs2
.
Cléricalisme pour cléricalisme, je trouve plus loyal l’argument d’autorité du
Magistère hiérarchique que les manœuvres pour faire dire au « peuple de Dieu »
ce qu’on attend de lui, car dans un certain dispositif les gens ne peuvent que
produire les stéréotypes que leur suggère leur environnement médiatique (le
mariage des prêtres, le sacerdoce ouvert aux femmes, etc.). Lorsque la
2 Déjà dans Dieu change en Bretagne, le sociologue Yves Lambert montrait que la réforme liturgique n'avait pas
répondu à une demande des paroissiens (p. 247 Sq). De fait, après le concile, bien des paroissiens n'avaient pas
d'opinion sur la liturgie mais ils avaient une expérience à laquelle ils étaient attachés parce qu'elle était la
condition de leur autonomie spirituelle.
4
manœuvre cléricale coïncide plus ou moins avec celle des médias, on sait
d’avance ce qu’il en sortira.

Admettons que la Hiérarchie veuille vraiment prendre en considération ces
« Etats Généraux » des fidèles qui fréquentent les paroisses, ceux-ci ne sont pas
représentatifs de la population générale. La majorité des paroissiens (en dehors
des familles « tradis » au sens large) sont des personnes âgées qui ont adhéré à la
révolution ecclésiale de la fin du XXe siècle. Et même si certains l’ont subie, ils
s’y sont conformés. On sait bien que les personnes âgées sont conservatrices et
seront réticentes à tout changement de leurs habitudes. Or ces paroissiens ne
sont pas représentatifs de tous ceux qui sont partis (à la louche les 9/10e de la
population catholique) et encore moins des jeunes générations à qui la Foi n’a
pas été transmise.
Le Bon Berger quitte son troupeau pour porter secours à la brebis perdue.
L’appareil ecclésiastique, lui, consulte les quelques brebis conformistes restées
au bercail au lieu de celles qui se sont fait la malle (on ferait mieux par exemple
de faire des entretiens systématiques avec les convertis). Ces braves paroissiens
ne peuvent que proposer de poursuivre la ligne pastorale à laquelle ils se sont
habitués depuis les années 60) même si pour les autres elle s’est révélée
ruineuse.

On voudra bien me pardonner le ton parfois impertinent de mes propos ; mais
j‘ai le sentiment qu’un caractériel comme Léon Bloy a souvent été un meilleur
canal de conversion que tant « d’onction ecclésiastique ». «Quel malheur pour
vous, lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que
leurs pères traitaient les faux prophètes. » (St. Luc 16.17)
Alors qu’importe le captatio benevoluntiae.
PREMIERE PARTIE : ETAT DES LIEUX
L’Eglise catholique en Occident et singulièrement en France, est dans une
situation désastreuse.
5
La France des Pères blancs, premier pays de mission est devenue une terre de
mission où les Pères noirs sont appelés pour contenir l’hémorragie cléricale.
Tous les indicateurs sont au feu rouge et rien n’indique que cette chute
s’arrêtera ; vocations et entrées dans les séminaires, pratique dominicale,
baptêmes, tout s’effondre. Parmi ceux qui restent, bien peu pratiquent le
sacrement de pénitence. Les parents qui réclament encore le baptême pour leur
bébé ne savent plus vraiment ce qu’ils demandent et les curés affolés cherchent
à rattraper en quelques séances ce que deux générations n’ont pu acquérir au
catéchisme à coup de gommettes, de découpages de Paris-Match, et de « Pierres
vivantes ». Parmi ces pratiquants, quels sont ceux qui croient à la « présence
réelle » du Christ dans le pain consacré ?
La croyance en un au-delà de la mort disparaît (d’ailleurs la réalité de la mort est
si peu prêchée) ; comme ironise Régis Debray : « L’espérance de vie s’est
fortement réduite en Occident. On est passé de l’éternité à environ 78 ans pour
les hommes et 83 ans pour les femmes ».
C’est en vain que l’on prétend parfois que les actuels « pratiquants » seraient
plus sincères que ceux des générations précédentes parce qu’aucune pression
sociale ne les pousse à la pratique. Je soupçonnerais au contraire que ce sont les
plus conformistes, les plus soumis au clergé qui sont restés.
Les autres, ceux qui sont partis3
, ont suivi le modèle des curés défroqués et les
plus généreux se sont pour un temps, consacrés au syndicalisme, au Tiersmondisme, à la « deuxième gauche », aux Maisons des jeunes et de la culture ou
aux ONG, puis, l’illusion idéologique s’estompant, ils ont fini par devenir des
consommateurs assoupis.

Les différentes tentatives de l’Eglise pour remplacer sa mission propre (« Allez
enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du SaintEsprit » Mt. 18, 19) ont fait long feu. Adieu les structures d’Action catholique
des années cinquante ! La JOC n’a pas suivi les ouvriers qui votent pour le Front
National… Adieu le Tiers-Mondisme (« Croissance des Jeunes Nations »
« Informations Catholiques Internationales »), quand le développement de la
Chine doit plus aux délocalisations capitalistes qu’aux « volontaires » lycéens
qui passaient une semaine pour construire un puits au Sahel. Et je pense que les
« engagements » auxquels les clercs les plus actifs nous poussent (écologisme,
féminisme, « accueil » des LGBT…) se dégonfleront de la même façon.
3 Dans les pays de l’Est, on disait de ceux qui passaient à l’Ouest qu’ils « votaient avec leur pieds ».
6
Même les « communautés nouvelles » ou « charismatiques » qui avaient suscité
bien des espoirs se retrouvent (pas toutes) frappées par l’inconduite de leur
fondateur.4
Ce bref état des lieux est ce que les sociologues appellent depuis Max Weber, un
« idéal-type » ; « L’idéal type » est bien entendu une sorte de caricature qui
sélectionne certains traits pour en négliger d’autres ; mais constatez combien
souvent on reconnaît mieux un personnage par sa caricature que par ses photos.
Je crois en l’Eglise « une, sainte, catholique et apostolique », corps mystique de
Jésus le Christ. Mais je sais que l’Eglise présente un autre aspect. Ce « peuple de
Dieu » succède aux Hébreux, « un peuple à la nuque raide » (Deutéronome 9.6)
qui, comme les vignerons infidèles qui persécutent les envoyés du Maître et
tuent son Fils (St. Matthieu 21.33-46). La prostituée que le prophète Osée doit
épouser est aussi la figure de l’Eglise, et ce n’est pas sans raison que le seul
homme que le Christ ait traité de Satan (St. Marc 8.33) est ce même Pierre qu’il
a institué chef des Apôtres et dont le Pape est le successeur. C’est plutôt de ce
second visage que je suis amené ici à décrire. Il ne tient pas assez compte des
structures encore vivantes et mes enfants par exemple, me disent qu’à Paris, ils
parviennent à trouver des paroisses qui soutiennent leur Foi. Mais pour un
Evêché florissant comme celui de Toulon, combien de déserts spirituels ?
D’autre part, il me faut convenir qu’assez souvent, irriguant les structures
ecclésiales, venant d’horizons les plus improbables, des convertis trouvent
encore la grâce du Christ dans nos pauvres messes.
Je suis bien obligé de raisonner sur les réalités les plus massives : mais je
comprends quand même que pour m’attacher aux indicateurs quantitatifs je ne
nie pas l’action du Saint Esprit dans son Eglise, suscitant des saints dont la
présence n’est pas forcément bien visible.
Je sais bien que « là où le péché abonde, la grâce surabonde » (St. Paul épître
aux Romains 5.20) ; mais je n’en apprécie pas pour autant les boîtes à partouze
ou les camps de concentration.
D’ailleurs un chrétien ne devrait pas s’affoler devant ce tableau « pessimiste » ;
certes le Christ nous a promis : « je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin
du monde » (St. Matthieu. 28 : 20). Mais l’Eglise d’Occident peut disparaître
4 Cf. Céline Hoyeau, La trahison des Pères (Ed. Bayard 2021) ; Ces « communautés nouvelles » ont porté
beaucoup de fruits, mais peut-être se croyaient-elles déjà dans la Jérusalem Céleste, oubliant le péché originel
qui pèse sur ce monde et la prudence nécessaire dans le domaine sexuel (séparation des branches masculines
et féminines, des enfants et des adultes, des laïcs et des clercs).
7
comme a disparu la florissante Eglise d’Afrique du Nord. Ou encore, se
transformer en une église assoupie comme le luthérianisme en Europe du Nord
ou l’Eglise « catholique » d’Angleterre…
Comme dans la plupart des Traditions religieuses l’Histoire Sainte, du péché
originel jusqu’aux Noces de Cana où il n’y a même plus de piquette pour
célébrer les noces du Ciel et de la Terre5
est une chute qui nous éloigne des
origines (de « l’âge d’or à l’âge de fer), mais la manifestation du Verbe de Dieu
« à la fin des temps »
6
et les prophéties nous assurent que dans « l’économie
providentielle » la catastrophe nous rapproche de la Révélation (sens du mot
Apocalypse) comme la Passion et la Croix sont le chemin de la Résurrection.
« Quand le Fils de l’Homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la
terre ? » interroge le Christ (Luc 18 : 8).

Avant toute prescription, les médecins savent qu’il faut faire le diagnostic.
1. La genèse d’une hérésie chrétienne : l’Humanisme prométhéen
Dans la deuxième partie du XXe siècle, la plupart des analyses reconnaissent
(pour s’en féliciter comme pour le déplorer) que l’Eglise a subi une révolution
consistant à passer du théocentrisme à un anthropocentrisme. Certes
l’incarnation du Verbe a permis ce qu’on pourrait appeler un
antropothéocentrisme ; mais dans un second temps, surtout à la fin du XXe
siècle le culte du Dieu fait homme s’est transformé en culte de l’homme qui se
fait Dieu.
Depuis la Renaissance (époque dite « humaniste »), l’antrhopothéocentrisme de
l’Eglise se transforme en hérésie anthropocentrique ; le Fils Verbe de Dieu est
de plus en plus réduit à l’homme Jésus. La Chrétienté a accouché du monde
moderne (« libre-examen » du protestantisme individualiste, rationalisme
postcartésien et « désenchantement du monde » ou mythe du Progrès).
En France tout particulièrement, le Concordat que Napoléon imposa au Pape
laissait les évêchés aux Evêques « jureurs » (ceux qui s’étaient ralliés à la
constitution civile du clergé pendant la révolution) aux dépens des Evêques
réfractaires. L’Eglise a été forcée de favoriser les plus accommodants avec la
5 Cf. le chapitre ii de mon ouvrage Le recours à la Tradition – La modernité : des idées chrétiennes devenues
folles (L’Harmattan 2021) sur « les noces de Cana et le sens de l’Histoire ».
6
Le nécessaire passage par la décadence ne dispense pas, au cours de la chute, de bâtir des cathédrales…
8
Révolution, aux dépens de ceux qui avaient été persécutés comme martyrs de la
foi.
Parce qu’il croyait naïvement que la démocratie c’était la volonté de la majorité,
le Pape Léon XIII demande aux catholiques de France de se rallier à la
république sans savoir qu’en France, la république est plus une para-religion
concurrente, qu’une procédure pour désigner les dirigeants. L’Eglise se divisa
encore entre les contre-révolutionnaires et les ralliés.
Au début du XXe siècle, les « républicains » édictent des lois pour séparer
l’Eglise de l’Etat 7
, retirer l’école de l’influence « cléricale » et chasser les
ordres monastiques (« les moines ligueurs et les moines commerçants »). Cette
évolution a suscité quelques « résistances » dans l’Eglise se traduisant par des
structures « Peppone/Don Camillo » ; pendant deux siècles en France les
institutions souvent d’origine cléricale (école, hôpitaux, loisirs), étaient
devenues « laïques » cependant que les catholiques avaient reconstitué des
doublons de ces mêmes institutions.
Dans les années d’après la première guerre mondiale, Pie XI obtint de l’Etat un
certain répit au prix de la condamnation de l’Action Française 8
(en 1926) ce qui
se traduisit non seulement par la persécution de ses membres, mais ce qui a eu
des effets à long terme, par l’épuration des séminaires qui se mirent à produire
des bataillons d’abbés « démocrates chrétiens ».
A partir de la deuxième moitié du XXe siècle, l’Eglise se rallie à la modernité,
croyant pouvoir l’influencer, comme Léon XIII l’espérait avec le
« Ralliement ». La CFTC devient la CFDT (la référence « chrétienne » devient
une référence « démocratique », Avec la JOC, le « mission de France » ou la
« théologie de la libération », une part de l’Eglise parie sur le triomphe du
communisme9
. Puis, on se mit à espérer dans la « deuxième gauche » de quelque
«gouvernement Roccard ». C’est depuis cette époque que la Bretagne la plus
7 Curieuse « séparation » où l’Etat ne dépend en rien de l’Eglise mais où tout Evêque doit, avant de prendre ses
fonctions, être agréé par le Président de la République et le « ministre des cultes », c’est-à-dire le ministre de
l’intérieur. On pourrait aussi se poser des questions sur le mariage : un prêtre qui marierait « à l’Eglise » un
couple préalablement non marié « à la mairie » est passible de graves sanctions. Pourtant dans certaines
situations il peut être intéressant, par exemple, pour des raisons fiscales de rester civilement célibataire.
Faudrait-il dans ces cas s’interdire de s’engager devant Dieu ?
Cette séparation dissymétrique servit de modèle à tous les Etats totalitaires : Etat maçonnique au Mexique,
Etats communistes des pays de l’Est, jusqu’à la Chine contemporaine qui suit le modèle « français »
8
La condamnation n’était pas argumentée et fut levée en 1939 par Pie XII.
9 Quand les évêques à la fin de l’Empire romain, « allaient aux barbares », c’était pour les convertir. Mais aller
prêcher l’Evangile aux païens n’est pas la même démarche que « d’aller aux hérétiques » pour retrouver dans
les idéologies des traces de « valeurs » déformées empruntées au Christianisme.
9
conservatrice vote sagement socialiste pour suivre, comme toujours, les
orientations de « Monsieur le Recteur ».
Il ne faut donc pas s’étonner que le Magistère de l’Eglise soit si proche de celui
qui gouverne l’opinion : ‘’Vous savez, l’Eglise de France est un peu gouvernée
par les médias.’, reconnaissait Mgr Michel Aupetit (Interrogé par KTO sur son
entretien du 2 février 2022 avec le pape).
Et même parfois les responsables ecclésiastiques devancent les positions des
autorités civiles : ainsi, avant la construction de la « ville neuve » à Grenoble,
les architectes et les urbanistes en quête de signes distinctifs, avaient prévu un
terrain pour y bâtir une église. C’est l’Evêché, empêtré dans la « théologie de
l’enfouissement », qui déclina la proposition et préféra faire célébrer la messe
dans une salle banalisée. Conclusion : il n’y a plus de messe à la « Ville Neuve »
et probablement plus grand chose de la communauté catholique.

La religion catholique s’est rabattue sur l’humanisme mondain. Paul VI, (le
même Pape qui finira par reconnaître plus tard que « les fumées de Satan étaient
entrées dans le Temple de Dieu »), s’exaltait en conclusion du Concile de
Vatican II : « La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la
religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé ? Un
choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n'a pas eu lieu…
Une sympathie sans bornes pour les hommes l'a envahi tout entier. La
découverte et l'étude des besoins humains (et ils sont d'autant plus grands que le
fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l'attention de notre Synode ». Et,
tel un Dalaï Lama en exil, il quémandait auprès des incroyants, en guise de
« captatio benevolentiae » : « Reconnaissez-lui (à l’Eglise) au moins ce mérite,
vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses
suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus
que quiconque, nous avons le culte de l'homme ». (Discours du 08 décembre
1965 de Paul VI lors de la clôture du Concile Vatican II)
Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aurait été converti par
ce « Nouvel Humanisme » et toute l’argumentation qui l’accompagne.

La sagesse antique distinguait bien les mortels des immortels et Ulysse refuse la
proposition qui lui est faite de devenir un dieu ; il ne cède pas à « l’hubris », la
démesure. Or, comme l’écrivait Maurice Clavel, « l’Eglise s’est rendue au
monde » (cf. Dieu est Dieu, nom de Dieu), elle a cru que le culte de l’homme
était la même chose que le culte de Dieu. Remarquez combien la liturgie –
quand elle n’a pas trop été déformée par la « créativité »- proclame encore, avec
10
les anges la gloire de Dieu et l’état de « pêcheur » des hommes à sauver - alors
que, dans la « libre paraliturgie », les cantiques chantent la gloire du « Peuple de
Dieu » (que j’ai du mal à ne pas entendre comme « peuple de dieux »).
Le pape avait probablement conscience de la tension, mais par une confusion
(entretenue par toutes les théologies inspirées par l’hégélianisme et la croyance
au mythe du Progrès), confusion entre l’Histoire de ce monde et l’annonce
eschatologique du Royaume : (cf. le discours à l’ONU du 4 octobre 1965)
« C'est comme « expert en humanité » que Nous apportons à cette Organisation
le suffrage de Nos derniers prédécesseurs, celui de tout l'Episcopat Catholique
obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale »… « jamais, jamais
plus la guerre ! »… « Mais il ne suffit pas de nourrir les affamés : encore faut-il
assurer à chaque homme une vie conforme à sa dignité. Et c'est ce que vous
vous efforcez de faire. N'est-ce pas l'accomplissement, sous nos yeux, et grâce à
vous, de l'annonce prophétique qui s'applique si bien à votre Institution : « Ils
fondront leurs épées pour en faire des charrues et leurs lances pour en faire des
faux » (Isaie 2, 4) ». Si comme ce texte le laisse entendre, l’essentiel est dans
une meilleure organisation du monde, on comprend que les vocations religieuses
se fassent rares car, dans ce domaine, les autres « expertises » sont vraiment plus
crédibles.
En tout cas, la stratégie de communication « humaniste » instituée depuis trop
longtemps est mise en échec, et par exemple en 2022, la candidate Anne
Hidalgo, interrogée sur l’idée qu’elle se fait de Jésus Christ répond : « Je suis
une femme humaniste mais je me retrouve dans la figure de Jésus de
Nazareth ». L’aplatissement de l’Eglise devant le monde n’a probablement
jamais amené un « humaniste » à la conversion, alors que l’humble pratique de
« l’extrême onction » amenait un Edouard Herriot à mourir dans la Foi.

Dans l’antropothéocentrisme chrétien, la part de Dieu et celle de l’Homme ne
sont pas équilibrées. Dieu ne se limite pas à accompagner l’homme dans ses
souffrances comme le serine mon curé. Il le sauve.
Le Dieu fait homme répond à la soif des hommes en faisant jaillir dans le désert,
des sources, en transformant l’eau en vin lors des noces de Cana ou le maître du
banquet interroge : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les
gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin
jusqu’à maintenant. » (Saint Jean 2.10). Enfin, il transforme le vin en son sang,
sang qu’il verse en sacrifice pour le salut des hommes au calvaire.
En réponse, l’homme qui voudrait se faire Dieu (cf. la Genèse), offre du vinaigre
pour apaiser la soif du Christ (Saint Marc 15.36). Voilà la valeur de
l’humanisme.
11
2. Deux générations après, le temps de l’inventaire est venu.
N’étant pas théologien, je n’ai pas la compétence pour juger de la validité du
Concile Vatican II. Cependant, alors même, que par exemple les Pères
conciliaires n’ont jamais décidé de la nouvelle liturgie, c’est au nom du Concile,
sur son autorité que les réformes ont été imposées dans l’Eglise.
Lorsque l'on évoque Vatican II pour s'y référer ou pour le dénoncer, ce n'est pas
tant des textes sur lesquels les Evêques ont voté, mais c'est la pastorale qui a été
mise en place depuis cette époque qu'on évoque.
Il est normal que les théologiens surestiment l’influence des textes, mais pour le
sociologue que je suis, en dehors de ceux qui les ont lus et relus, un demi-siècle
après, qui se souvient du contenu de ces textes ? Les polémiques sur le Concile
sont un peu vaines car le Concile sert surtout de symbole temporel pour parler
d’une époque depuis laquelle l’Eglise a perdu neuf fidèles sur dix ; un peu
comme on dit « depuis Pâques »
10
. D’ailleurs, c’est bien à partir de cette époque
conciliaire que les historiens comme Guillaume Cuchet (Comment notre monde
a cessé d’être chrétien ?) situent le décrochage de l’Eglise catholique non
seulement en France mais en Italie, en Espagne, en Irlande et même au
Québec…
Je sais, en revanche que le Concile s’est proclamé « pastoral » et le sociologue
que je suis peut constater qu’à vue humaine, cette pastorale aboutit depuis plus
d’un demi-siècle à un échec retentissant : échec pas seulement des « curés
défroqués » des années 70 et 80 pour lesquels les expériences les plus farfelues
étaient la manifestation de la « Nouvelle Pentecôte », mais (dans une moindre
mesure), échec aussi de deux générations de jeunes prêtres « à col romain » qui
ont tenté de colmater les brèches, souvent sans le soutien de leurs aînés devenus
leurs supérieurs. Eux aussi ont dû ajuster leur apostolat dans le moule
« humaniste » de la pastorale « post-conciliaire ». Sans doute aujourd’hui, Il ne
faut pas réduire cette « pastorale » désastreuse aux folies des années 70 où la
liturgie était livrée à la « créativité » de clercs énivrés par la croyance à une
« nouvelle Pentecôte » où les idéologies du monde étaient confondues avec les
signes du Saint Esprit.
Aujourd’hui, les « excès » sont devenus plus rares qu’à la fin du XXe siècle,
mais la chute des indicateurs se poursuit et le redressement de l’Eglise se fait
10 Les gens du Nord penseront qu’à partir de Valence c’est le midi, tandis que les méridionaux diront qu’audessus d’Avignon, c’est le Nord.
12
attendre. Il faut donc accepter de faire l’inventaire de cette pastorale sans se
laisser censurer par l’argument d’autorité du « Concile »
11
3. Comment expliquer cet échec pastoral ?
a) L’escroquerie de la « sécularisation »
Quand on interroge les clercs sur les causes de cet effondrement une grande
partie du clergé « savant » évoque la « sécularisation » ce qui n’est pas une
explication mais une tautologie, c’est-à-dire une façon différente de dire la
même chose. Pas tout-à-fait car cela laisse sous-entendre qu’un phénomène
social lié au développement de l’Histoire imposerait sa loi sans qu’on en soit
responsable. Souvent cette explication est teintée d’allusions hégéliennes ou
marxistes au Progrès de l’Humanité passant « à l’âge adulte ». Cela évite de se
poser la question des causes endogènes de la crise.
En tant qu’explication, la « sécularisation » est une escroquerie intellectuelle.
Une vraie question à poser serait de s’interroger sur les raisons pour lesquelles
cette sécularisation ne touche que la part occidentale de ce qui reste de la
chrétienté.
Partout ailleurs - mettons à part la Chine où le parti communiste a bien du mal
malgré de puissantes persécutions, à contenir les chrétiens, les Ouïgours, et les
résurgences du Taoïsme (Falun Gong) – partout ailleurs, les religions se portent
bien. Aux Indes, c’est l’Indouisme qui dirige, en Israël qui avait été fondée par
les athées du « Bund », les partis religieux font et défont les gouvernements.
Dans tous les pays musulmans, on sait bien qu’en se « délivrant » des dictateurs
plus ou moins occidentalisés (sur le modèle d’Atatürk) par des révolutions
11 Le Pape François aurait fustigé «la tentation du formalisme liturgique », mettant en cause ceux qui seraient en
train de «rechercher les formes, les formalités plutôt que la réalité, comme nous le voyons aujourd’hui dans ces
mouvements qui tentent de revenir en arrière et de nier le Concile Vatican II». (Riposte Catholique 7/5/2022). Il
ne s’agit pas de « revenir en arrière » (ce qui n’a de sens que pour les adulateurs du Progrès) ni de nier Vatican
II ; en revanche, on peut « relativiser », contextualiser ce concile comme on l’a fait avec tous les conciles qui l’ont
précédé et ne plus sacraliser des réformes qui ont été faites « au nom de l’esprit du Concile », alors même que
les Pères du concile ne l’avaient pas décidé.
13
« démocratiques » de type « printemps arabe » on ouvre partout la porte au
fondamentalisme le plus fanatique12
.
Des pays à l’avant-garde de la technique comme le Japon n’ont pas vu de baisse
significative de la pratique religieuse. En Russie, après 80 années de
persécution, l’orthodoxie est devenue quasiment religion d’Etat. Aux USA la
multiplicité des confessions n’exclut pas qu’elles jouent un rôle social et
politique fondamental.
Dans l’Eglise catholique, les indicateurs en Afrique noire ou en Asie sont bons,
moins en Amérique latine où les évangélistes lui font une rude concurrence.
Après la chute de l’URSS, l’orthodoxie est redevenue la religion quasi-officielle
au côté du gouvernement russe. La renaissance de l’Eglise dans les pays de l’Est
et particulièrement de l’Eglise gréco-catholique en Ukraine est tout-à-fait
significative : celle-ci avait subi des persécutions particulières car tous les
prêtres avaient été déportés et les fidèles avaient été obligés de se joindre à
l’Eglise orthodoxe, elle-même persécutée. Si bien que jusqu’à la destruction de
l’URSS, l’ostpolitik vaticane avait mis cette Eglise « uniate » à « profits et
pertes ».

C’est seulement en Europe occidentale que l’effondrement est manifeste.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les catholiques prenaient de haut les pays
luthériens de l’Europe du Nord13 : on soulignait leur faible pratique religieuse,
leur taux de suicide ou la faiblesse de leur démographie. Aujourd’hui,
l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie (le pays des « mamas ») ne parviennent plus à
renouveler leur population. Quant au Québec (naguère le pays de la « révolution
des berceaux ») et à la France14 l’immigration, de masse masque (de moins en
moins) le problème.
Au sein de ce catholicisme occidental, c’est dans sa périphérie que se
manifestent les courants encore vifs (« tradis » au sens large, « chachas » et
quelques pans de religion populaire comme les pèlerinages ou les « confréries de
12 Cette croyance en l’automaticité universelle de la sécularisation explique en grande partie les politiques
d’immigration en Europe occidentale : les musulmans immigrés éblouis par le modèle consumériste de
l’Occident oublieraient vite leurs particularités et s’assimileraient tôt ou tard… C’est de moins en moins
évident.
13 Les « latins » depuis la Réforme ont tendance à percevoir le protestantisme comme une religion
« concurrente », mais les chrétiens d’Orient le perçoivent plutôt comme la fille plus ou moins légitime de
l’Eglise latine, son hérésie spécifique qui met à jour ses tendance propres.
14 Qui bat tous les records de psychotropes… Il y a certainement un rapport entre le sain et le saint…
14
pénitents »). Comme pour les arbres, c’est par l’écorce que monte la sève, mais
le tronc institutionnel semble bien vermoulu.
b) L’effet mai 68
Une variante de cette explication par le contexte de sécularisation a été apportée
lors de la sortie du livre de Guillaume Cuchet (Comment notre monde a cessé
d’être chrétien 2020) qui pouvait mettre en évidence la concomitance entre
Vatican II et la dégringolade de l’Eglise. Certains ont adopté alors, « en
défense », une « pieuse interprétation » : ce serait l’esprit de « mai 68 » qui
aurait corrompu l’Eglise d’Occident. C’est évidemment une vision « par le petit
bout de la lorgnette », et si les mœurs libertaires de l’époque (« jouir sans
entrave ») ont dû influencer le monde catholique, c’est surtout par le laxisme
(pardon « l’ouverture ») des séminaires que cet esprit du monde a pénétré les
structures cléricales. Sans qu’il me soit possible d’en faire la démonstration, une
telle recherche serait certainement frappée de la censure réservée au
« politiquement incorrect » ; je peux faire l’hypothèse que la multiplication des
actes de pédophilie par des clercs est probablement l’effet de « l’accueil
tolérant » à l’homosexualité15
.
c) La marche vers l’Apocalypse
Cette explication est presque purement métaphysique, mais au moins sort-elle
du pur déni.
Dans les milieux attachés à la lettre de la Révélation (et donc chez beaucoup de
traditionalistes) les « mystiques » expliquent la dégénérescence de l’Eglise par
la nécessité de passer par la Passion et par la Croix pour aboutir à la
Résurrection. Dieu joue à qui perd gagne avec le diable. Il en serait de l’Eglise
(son « corps mystique ») comme de la vie du Christ ; avant le retour glorieux, il
faudra connaître le règne presqu’absolu de l’antéchrist et il faudra même s’en
réjouir.

Certes, en s’appuyant sur les Prophètes (notamment Daniel), les Evangiles et
l’Apocalypse, les Pères de l’Eglise ont professé cette vision apparemment
décadentiste de l’histoire de l’Eglise et ce, dans la plus grande partie de son
15 Dans la société civile, les actes d’agression sexuelle des enfants sont abondants, mais ce sont surtout les
petites filles qui en sont l’objet. Dans l’univers clérical, ce sont plutôt les petits garçons…
15
histoire. Ce n’est qu’à partir de l’époque « moderne », celle des « grandes
découvertes, qu’au contraire, l’Eglise a mis l’accent sur l’extension de la Foi,
ouvrant la voie au culte du Progrès qui a caractérisé la Modernité.

Même si, dans une perspective providentialiste, il faut s’abandonner à la volonté
divine, ce n’est pas au prix de la passivité ; car notre action peut être aussi
l’instrument de la volonté divine, pour bâtir des cathédrales, accorder des
victoires à Jeanne d’Arc et « sauver des âmes ». C’est sombrer dans un méchant
« quiétisme » (les « émigrés de l’intérieur ») que de ne pas reconnaître que les
« devoirs d’état » nous obligent.

Mais c’est aussi une perversité de ne pas consentir à l’état dans lequel la
Providence nous a placés. On a beau mépriser le « mektoub » des musulmans, le
« karma » des Hindous ou le « Fatum » des Anciens, toute la sagesse universelle
s’oppose à la « libération », c’est-à-dire à la révolte contre les déterminismes
biologiques, historiques et culturels qui limitent la liberté humaine. Or pour se
défendre du soupçon d’aider à supporter son existence et d’empêcher ainsi « la
Révolution » émancipatrice, l’actuel discours de l’Eglise en vient à conforter
« l’hubris » (la démesure) de l’humanisme contemporain. Elle ajoute ainsi aux
malheurs de l’existence, le malheur du non-sens ; car ce sont justement les
déterminismes (qui ne sont pas « extérieurs » à nous-mêmes) qui sont les
sources du sens. Les modernes rêvent de faire ce qu’ils veulent, alors qu’en
réalité, (est-ce pour se le cacher ?) ils ne savent pas ce qu’ils veulent.
d) « Buvez toujours, il deviendra violet »
Répondait le médecin au patient qui se plaignait d’avoir le nez rouge.
Il y a encore (de moins en moins) des personnes qui soutiennent la thèse du
théologien Hans Kung qu’il n’y a pas eu « trop de Concile », mais trop peu : le
mal viendrait de ce qu’on n’est pas allé jusqu’au bout. Le sociologue
progressiste Jean-Louis Schlegel regrette la non réalisation de « ces réformes
correspondant à …une demande « démocratique » de notre temps. Mais il n’y a
pas eu ces suites pratiques. Au contraire, tout a été freiné. Sans compter
l’encyclique Humanae vitae , en 1968 : condamnant la contraception » (OuestFrance 28/03/2022).

16
Les réformes « demandées par notre temps », on les connaît : accepter comme
légitimes toutes les lois d’évolution «libertaires » (avortement, euthanasie),
accueil des déviants (LGBTetc.) non seulement des personnes mais aussi
reconnaître la légitimité de leurs déviances, ouverture du sacerdoce aux
femmes16, « démocratisation » des structures de l’Eglise, la fin de sa constitution
hiérarchique (pourtant explicitement voulue par le Christ), la réduction de la Foi
à une morale de tolérance généralisée, la réduction des symboles liturgiques à
des formes soumises à l’arbitraire de « l‘artiste » et visant à flatter son
originalité.

Proclamer un monde sans jugement dernier, sans Enfer et sans Purgatoire où
« tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » (Jean Yann), un monde
où le Salut est impensable sinon comme salut automatique (« j’y ai droit ») et la
Croix un incident insignifiant.
De telles réformes n’augmenteront en rien la Foi des Chrétiens, ni ne susciteront
la conversion des mécréants ; en revanche en devenant totalement conforme à
l’idéologie du monde, cette « église » sera certainement bien tolérée par la
sphère médiatique qui est la conscience de ce monde. La tiédeur ne choque pas
les indifférents, mais, comme l’Eglise de Laodicée, elle fait vomir Notre
Seigneur (Apocalypse 3-16).

Aux officiers anglais qui lui reprochaient de combattre pour de l’argent alors
qu’eux se battaient pour l’honneur, Surcouf répondait : « Messieurs, chacun se
bat pour ce qui lui manque ». On ne désire pas ce que l‘on a ; le désir est
toujours lié à l’Au-delà manquant. Si le monde a besoin de l’Eglise, c’est pour
autant qu’elle porte des valeurs différentes des siennes. Sinon mieux vaut
regarder la télé et faire son footing le dimanche matin. « Dans le monde mais
pas du monde… »
e) « Si tous les gars du monde voulaient se donner la main »
Malgré tant d’admonestation du Bon Dieu, l’Eglise reste pélagienne ; comme les
disciples en suivant le Christ se partageaient déjà les portefeuilles ministériels
du Royaume, nos contemporains pensent naïvement qu’il suffit de retrousser ses
16 Anthropologiquement, la femme donne la vie, l’homme donne la mort. C’est pourquoi seuls les hommes
peuvent être prêtres ou guerriers. Le prêtre n’est pas d’abord un guide-chant ou un prédicateur, c’est
essentiellement un sacrificateur. La messe est le comble du sacrifice puisqu’on y célèbre le mystère de la mise à
mort du Dieu fait Homme.
17
manches pour bâtir un Monde Nouveau, « plus juste et plus fraternel ». Aussi, la
tentation est grande d’envoyer les « militants » travailler dans ce monde, avec
leurs frères croyants et non-croyants, à édifier la Jérusalem Céleste.

Instaurer le Royaume, ce serait déjà une prétention incroyable dans une
Chrétienté structurée par l’Eglise ; certes on a pu construire des cathédrales et
des monastères, ériger la pauvreté en valeur sociale, inventer l’amour courtois et
pousser jusqu’aux extrêmes la spéculation métaphysique, mais la Chrétienté est
encore bien loin du « Royaume », et, même au Moyen-Age, le monde reste le
monde de la chute, de l’épreuve, du châtiment, de la rédemption et du Salut
possible, mais pas certain.
Mais qu’en est-il de notre monde qui s’est constitué contre l’Eglise ? On a vu
l’échec des structures « d’Action Catholique » alors même que les Chrétiens
étaient encore majoritaires. Or dans une société où 2 % de la population
seulement conserve une pratique dominicale, envoyer les plus fervents des
catholiques dans les mouvements écologistes, féministes ou dans quelques
ONG, n’est-ce pas les envoyer au « casse-pipe » ? Ou pire encore, dans une
sorte de suicide de leur conscience catholique ? Il y a tous les risques possibles,
qu’oubliant « le Royaume qui n’est pas de ce monde », ils finissent par penser
comme les 98 % autres…

Je ne propose pas que les Chrétiens s’abstiennent de leurs devoirs d’état au sein
de la société au contraire, mais qu’ils le fassent sans croire que c’est là l’œuvre
du Salut : dans ce monde, il y aura toujours des guerres, des injustices et de la
violence. « Des pauvres vous en aurez toujours avec vous » remarque Jésus
(Marc 15-7) alors qu’une femme lui versait un parfum de grand prix sur les
pieds et que Judas s’en indignait : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum
pour trois cents deniers que l’on aurait donné à des pauvres ? ». ll ne s’agit pas
d’opposer la solidarité que, dans toute morale sociale d’ailleurs, on doit aux
autres hommes, avec le culte porté à Dieu. Mais confondre les deux me semble
dangereux parce que le culte du Seigneur transcendant relève du Sacré, il est
absolu ; tandis que le devoir d’état est relatif.
Il est normal qu’Antigone désobéisse à Créon pour appliquer les « Lois nonécrites » concernant les rites funéraires ; mais pour les relations entre les
hommes, il faut garder le sens de la relativité de la condition humaine. Antigone
ne se révolte pas contre Créon pour contester par exemple la peine de mort,
même celle de son frère. Si Antigone met son amour des hommes au même
18
niveau que l’amour des dieux, elle risque fort de devenir une fanatique
totalitaire.
La Jérusalem Céleste « descend du Ciel » ; quand les hommes prétendent en être
les bâtisseurs, c’est la tour de Babel qu’ils construisent.
f) Les causes endogènes de la crise de l’Eglise
C’est devenu un lieu commun de dire que la modernité est fille de l’Eglise (cf.
par exemple Marcel Gauchet). C’est le plus souvent pour s’en féliciter ou pour
quémander, dans le partage des valeurs modernes, qu’une certaine part du
gâteau ne soit pas refusée aux chrétiens ou même à la Chrétienté à titre
posthume. J’ai connu dans les années cinquante, un ingénieur qui faisait de
l’apologétique chrétienne en démontrant la supériorité des techniques et des
organisations de l’Occident (c’était l’époque où l’on affirmait que les Chinois
n’étaient capables que d’imiter).
Mais, un demi-siècle plus tard, l’argument de la machine à vapeur (et de la
canonnière) a perdu de sa force et on perçoit plutôt la modernité comme un
destin malheureux. Parmi les précurseurs de ce renversement : les pérennialistes
(la Sagesse éternelle) comme René Guénon ou Simone Weil, les philosophies
critiques antihumanistes comme celles de Michel Foucault, les critiques de la
philosophie comme Heidegger, les critiques de la technique comme Jacques
Ellul, et depuis, les écologistes, les punks (no futur) ou tous ceux, de plus en
plus nombreux, qui pensent que leurs enfants auront des conditions de vie moins
bonnes que celle de leurs parents.
Dès lors, faire la liaison entre l’histoire du christianisme et l’apparition de la
modernité malheureuse change de sens : où situer la bifurcation à partir de
laquelle s’est développé l’hérésie moderne ? Depuis Adam et le péché originel ?
Depuis le refus des Juifs de reconnaître leur Messie ? Depuis les premières
hérésies comme les gnoses dualistes ?
Je ne tenterai pas ici de faire la généalogie des représentations dévoyées du
christianisme et en particulier de l’origine chrétienne de trois piliers
idéologiques de la modernité : le rationalisme c’est-à-dire le « désenchantement
19
du monde »
17, l’individualisme18, le mythe du Progrès nécessaire et
bienfaisant19
. La modernité c’est pour paraphraser Chesterton, des idées
chrétiennes devenues folles.
Pour rester fidèles à la Révélation, les Pères de l’Eglise, pendant des siècles,
passèrent leur vie à chasser les hérésies, bien plus qu’à lutter contre le
paganisme. Comme toute l’Histoire Sainte20, l’Histoire de l’Eglise est l’Histoire
de l’épuration au sein de l’Eglise : le vigneron taille sa vigne. Au contraire,
depuis un siècle, une grande part de l’Eglise, fascinée par ses propres déviations,
cherche à pactiser avec sa propre hérésie.
Ce « ralliement » de l’Eglise à la modernité est doublement dommageable car
d’une part elle compromet sa légitimité en prenant pas mal de libertés avec la
Révélation et sa Tradition, et d’autre part elle se ridiculise car tout ce qui est à la
mode se démode.

Lorsque dans le « Confiteor » on veut remplacer « et à vous mes frères de prier
pour moi le Seigneur notre Dieu » par « frères et sœurs », tout le monde
comprend qu’il s’agit d’une soumission un peu démagogique aux lobbys
féministes aux dépens de l’usages de la langue française dans laquelle le
« cheval » comprend à la fois les juments et les étalons. C’est d’autant plus
ridicule que, à l’heure des revendications LGBT etc., qui dénoncent le
conformisme « binaire », faudra-t-il que dans la liturgie on introduise des
« ielles » pour mieux accueillir les « trans » et innombrables genres. A vouloir
courir après la mode l’Eglise sera toujours en décalage et donc ringarde.

L’Eglise (je parle ici de la prostituée qu’avait épousé le prophète Osée, du chef
des apôtres qui renie trois fois son Maître), l’Eglise s’est ouverte au monde
moderne au moment-même où ce monde moderne est en train de « passer ».
Après le triomphe des « Lumières » au XVIIIe, au XXe, les valeurs de la
Modernité sont de moins en moins partagées : après la physique quantique, le
17 Pour se défendre contre les paganismes, l’Eglise a sous-estimé la présence des esprits (ou des anges) dans
l’Univers créé et donc facilité la réduction du monde à des mécanismes matériels ce qui provoqua une
conception de Dieu comme grand horloger dont on pouvait finalement se passer. Se détourner de l’immanence
finit par se retourner contre la transcendance ?
18 Depuis la « devotio moderna », la vie spirituelle tend à se concentrer sur la conscience aux dépens du corps,
du corps social et du corps mystique du Christ…La « liberté » de chaque individu est devenue un absolu.
19 Dès lors que l’Histoire est coupée en périodes qualitativement différentes depuis l’avènement de « l’Homme
Nouveau », le Progrès devenait pensable.
20 Que reste-t-il de l’humanité, après le déluge ? Noé et sa famille…Des douze tribus d’Israël, douze sont
perdues…
20
rationalisme est abandonné par les savants eux-mêmes et laisse la place aux
subjectivités des phénoménologies ; l’individualisme du « self made man » est
de plus en plus contrebalancé par les communautarismes21. Quant à
l’Humanisme et le culte du Progrès, ils ne sont plus que des éléments de langage
de la langue de bois électorale ou quelque référence surannée de quelque loge
maçonnique de province.

Au lieu de s’appuyer sur les penseurs « antimodernes »
22 comme elle le faisait
encore jusque dans le milieu du XXe siècle (Joseph de Maistre, Baudelaire,
Léon Bloy, Barrès, Péguy, Bernanos, Thibon…), les maîtres à penser dans
l’Eglise (jésuites et dominicains par exemple) se sont presque exclusivement
attachés à « dialoguer » avec les « maîtres du soupçon » (Hegel, Marx, Freud,
etc.). Or nous traversons une évidente rupture épistémologique, d’où le déclin de
ces penseurs de la Modernité. Par son tardif ralliement, l’Eglise se trouve
comme le joueur de tennis, prise à contre-pied.

« L’ouverture au monde » opérée par l’Eglise est un échec patent. Comme on
l’a dit, en « ouvrant les portes » de l’Eglise, ce ne sont pas les incroyants qui
sont rentrés, mais ce sont les fidèles qui se sont échappés.
4. Une Religion de l’optimisme, de la Liberté et du bonheur
Il faut m’expliquer sur ce que je dénonce dans l’actuelle pastorale dominante :
encore une fois, je sais que nous n’en sommes plus aux délires des années 70 où
la liturgie était livrée à la « créativité » des clercs énivrés par la croyance à une
« Nouvelle Pentecôte ». Mais malgré l’évidente bonne volonté des jeunes prêtres
à col romain, la pastorale, en apparence plus sage, est toujours largement
structurée par le mode de pensée de la fin du XXe siècle.
21 Cf. Michel MAFFESOLI : Le temps des tribus (La Table Ronde), ou Michel MICHEL et al. : Les Communautés
une question posée à la France ( L’Age d’Homme)
22 Cf. Antoine Compagnon pour lequel « Les antimodernes, ce sont des modernes en liberté ».( Les
antimodernes - De Joseph de Maistre à Roland Barthes – Gallimard - 2005).,
21
a. Sur le caractère euphorique à donner aux cérémonies
Je n’ai pas particulièrement de goût pour le dolorisme qui triompha au XIXe
siècle comme au XIVe. Des ordres furent créés pour méditer sur les douleurs de
Notre-Dame ou du Christ23
. Cette tonalité tend à se résorber au milieu du XXe
siècle24 au profit de ce que Nietzsche appelait la « moraline », mélange
d’idéalisme, de bons sentiments et de mauvaise conscience ; au XXIe siècle elle
devient une religion latitudinaire où ceux qui restent dans l’Eglise se servent « à
la carte ».
On est ainsi passé des flagellants et des danses macabres du XIVe et XVe siècle
à une « religion sucre d’orge ». C’est en tout cas une image gentille mais
mièvre qui domine chez les pratiquants occasionnels et largement le grand
public déchristianisé. La parodie ne s’y trompe pas du film de Jean Yann « tout
le monde il est beau, tout le monde il est gentil » (1972) à la figure un peu sucrée
du jeune prêtre de la famille Le Quesnoy qui chante à la guitare « Jésus revient »
dans « la vie est un long fleuve tranquille » (1988).
Les paroisses qui appliquent cette pastorale à la guimauve finissent par
ressembler à des séries comme « la petite maison dans la prairie », limite
« Martine à l’école » ou « la mélodie du bonheur ».

Une des modalités de cette « religion du bonheur », c’est l’infantilisation de la
pastorale. Je ne fais pas ici allusion au « laissez venir à moi les petits enfants »
ou au « redevenir comme un petit enfant » que demande le Christ ; et d’ailleurs,
vers 7-10 ans les enfants sont spontanément métaphysiciens… Non il s’agit d’un
renoncement à développer une annonce du salut parce qu’on pense que les
fidèles en sont incapables. On ne croit plus que les hommes soient « capax Dei »
alors on leur sert de la « moraline ».
Cette infantilisation du religieux semble assez ancienne, peut être remonte-t-elle
aux poupards potelés et joufflus de la peinture rococo du XVIIIe siècle, et on
23 Un exemple parmi d’autres, en 1823 est fondé l’Ordre « des Victimes Du Sacré Cœur de Jésus voué « à la
consolation du Cœur de Jésus, à la prière de réparation pour le salut des âmes ». Ce qui permettait de
plaisanter : « encore une victime du Sacré Cœur ! ».
24 Au profit d’un « misérabilisme » local d’abord (les mendiants) puis Tiers-Mondiste ; il ne s’agit plus de
méditer sur la misère de ce monde mais de l’abolir (« Croissance des Jeunes Nations » CCFD –
« Développement »). Au XXIe siècle je verrai plutôt un investissement des gens d’Eglise vers la promotion des
« victimes » de l’institution ecclésiastique (enfants abusés, femmes insuffisamment valorisées, reconnaissance
de la normalité des LGBT etc).
22
pourra même soupçonner le plaisir à rassembler de tous petits servants de messe
dans le chœur, au lieu de jeunes gens qui puissent effectivement rendre service
dans le culte.
Dans ce contexte on comprend la position des parents qui admettent que leurs
enfants aillent au catéchisme ou à la messe « jusqu’à la communion solennelle »
mais qu’après la puberté ou l’adolescence25, ils renoncent à cette culture
infantile. Comme dans certaines provinces les hommes arrêtent leur repas au
fromage et laissent les sucreries aux enfants, aux vieillards et aux femmes, on
comprend pourquoi au XIXe et XXe siècle les hommes délaissaient le culte des
douceurs religieuses. (Au XXIe siècle où les femmes en ressentiment de virilité,
fument et boivent autant que les hommes, la parité est rétablie).
Cet « adoucissement » de la religion a parfois été justifié par le souci
psychologique de ne pas inquiéter les personnes fragiles26 (la vie s’en charge
bien) ; devrait-on pour autant priver les autres du sel, du poivre, du piment et des
condiments ?

Plus globalement, le catholicisme contemporain en Occident ne promet plus le
Salut mais le Bonheur et le bonheur dès à présent27. « Se sauver » implique dans
les deux sens du terme de sortir d’un état d’exil, d’emprisonnement ou de
damnation pour se retrouver dans un état distinct. La distinction entre « le Ciel »
(à venir et d’une certaine façon le Ciel déjà présent car éternel) et « la Terre »
(qui passe), pour simplificatrice qu’elle fut, permettait cette « économie »
symbolique du Salut.

On ne prêche plus souvent les fins dernières, en tout cas sous la forme que
prenaient les mystères du Moyen-Age ou les porches des cathédrales : le Ciel et
l’Enfer. Encore moins le Purgatoire. Qui, si ce n’est les « tradis » marginalisés,
parle encore des trois états de l’Eglise « l’Eglise militante, l’Eglise souffrante et
l’Eglise triomphante » ?
25 Pour les adolescents, et « l’Homo festivus festivus » (cf. Philippe Muray) on a tenté les « messes-laser » avec
batteries et guitares électriques. Sans grand succès car dans ce domaine la moindre boite de nuit peut faire
mieux qu’une paroisse pour suivre les variations des modes de la culture-pop. La démagogie est toujours le
signe du mépris du peuple.
26 « Je vous ai donné du lait à boire, non de la nourriture solide, car vous n’en étiez pas capables, et vous ne
l’êtes pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels » (St. Paul, 1ère épitre aux Corinthiens 3.2)
27 « Nous voulons tout et tout de suite » exigeaient les utopistes de 1968.
23
D’abord, évoquer l’Eglise triomphante, ça fait un peu indécent lorsque l’on
vient à peine (avec de la peine ?) de quitter la pastorale de « l’enfouissement ».
L’Eglise militante ce n’est pas bien « politiquement correct » après le ralliement
à la république et finalement au monde (d’où la gêne du Clergé lors de la fête du
Christ-Roi). La France, qui fournissait la plus grande partie des missionnaires
est devenue pays de mission et les Pères Noirs remplacent les Pères Blancs…
Quant à l’Eglise souffrante, elle semble être passée à la trappe.
b. Le déni du tragique
Qui ose encore évoquer la fonction positive de la souffrance ? « Maintenant je
trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à
souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son
corps qui est l’Église. » (St. Paul épitre aux Colossiens I-24). Le châtiment nous
disait-on est la conséquence du péché originel (tiens on n’en parle plus non plus)
donnée comme punition qui est aussi comme un remède. « Moi, tous ceux que
j’aime, je leur montre leurs fautes, et je les corrige » (Apocalypse 3. 19).
Le tabou de la condition tragique de l’homme dans l’Eglise contemporaine fait
qu’elle ne parvient plus à donner du sens lorsque l’homme est confronté aux
inévitables épreuves de toute vie. Face à la souffrance, les chrétiens ne savent
plus dire que « Jésus souffre avec nous » ce qui n’est guère réconfortant ; je
préférerais qu’ils développent l’idée de St. Paul : « les souffrances du temps
présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. » (Epitre
aux Romains VIII 8).

La dernière fois que je suis allé à l’Office du mercredi des cendres dont, à
l’évidence, la liturgie est axée sur le caractère périssable et la condition
misérable des hommes ; mais la façon dont le prêtre « l’interprétait » était loin
de l’esprit de cette liturgie. Le chant d’entrée proclamait « je ne viens pas pour
condamner le monde … Je ne viens pas pour juger les personnes » et
contredisait frontalement le Credo (« Il reviendra pour juger les vivants et les
morts »), la Révélation évangélique et d’ailleurs, l’ensemble des religions
traditionnelles. Depuis de nombreuses années, lors de l’imposition des cendres,
la liturgie a abandonné la très réaliste formule « tu es poussière et tu retourneras
à la poussière » jugée probablement « traumatisante » pour la plus neutre
« convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». Le prêtre fit son homélie sur
la joie du Carême qu’il voulut comparer à « un voyage de noces ». C’était aussi
aberrant que les nombreux prêches sur la joie de Pâques proclamés lors du
24
vendredi saint28. Quitte à casser les rythmes du cycle liturgique, il n’est plus
possible d’évoquer la dimension tragique de la condition humaine.

En développant cette conception du « bonheur ici-bas » l’Eglise se rallie à une
tendance de fond de la société moderne : celle qui rend toute épreuve
insignifiante et par conséquent, invivable.
Sans doute se penche-t-on parfois sur les misères, mais de façon abstraite (les
malades, les chômeurs, la Paix dans le monde) et sur fond d’optimisme puisque
la Providence et la bonne volonté humaine (et de plus en plus l’organisation
technocratique) sont censées résoudre tout problème. Philippe Muray décrit bien
ce déni, on sait bien que le mal existe mais on fait en sorte qu’il ne puisse
apparaître : « Dans notre Pays des Merveilles, le Bien a non seulement recouvert
le Mal, mais plus encore il interdit que celui-ci soit décrit, c’est-à-dire ressenti »
ou vu ».
29 Régis Debray parle « d’un monde pasteurisé, sans risque, tout en
positif, où on ne veut plus voir le sang couler, le taureau dans l’arène, ni le
cercueil dans la rue. La vie sans la cruauté de la vie. Plus de contact avec le
Mal. » (Le Figaro 16 janvier 2020). Et c’est bien « ce nouvel ordre moral »
auquel la pastorale la plus dominante de l’Eglise s’est ralliée.

J’imagine que les clercs ont, à présent, honte des grandes mises en scène du
tragique telles qu’on les organise encore en Andalousie ou ailleurs, pendant la
semaine sainte. J’imagine qu’on raillera ce type de dévotion et qu’on voudra les
réduire à des attractions touristiques méprisables ; mais peut-être serait-il plus
pertinent de s’interroger sur les motivations qui poussent ces mêmes touristes à
se presser au spectacle du Dieu-Homme et de l’homme écrasés par le Destin,
alors qu’ils ont abandonné la messe de leur paroisse. Il est vrai que l’exaltation
cathartique du fatum semble assez contradictoire avec l’exaltation sans mesure
de la liberté.

Car ce qui est aboli, ce n’est pas le malheur, la violence et l’incomplétude, c’est
leur métamorphose esthétique et métaphysique en « tragique ». Reconnaître la
force inéluctable du fatum (« coquin de sort » dit-on dans le midi) est au fond
28 La joie de la Résurrection de Pâques peut-elle être aussi intense si l’on ne s’est pas attristé sur la Passion le
Vendredi Saint ?
29 Philippe Muray L’Empire du bien (Les belles lettres 2010)
25
assez proche de la confiance en la Providence… (Et moins dans le Libre arbitre
si illusoire).

Or, quand le tragique s’efface des représentations, le sentimentalisme se
développe indéfiniment.30
Le tragique donne son sens esthétique et sacrificiel au drame.31 Impertinence
d’une religion sans tragique qui ne rend plus compte de l’existence des hommes
qui elle, reste pourtant dramatique, et ne trouve son sens que par sa
transfiguration en tragique.
La vie est cruelle, c’est un fait32 et elle s’achève nécessairement par la mort. La
réalité est irrémédiable. L’utopie technologique voudrait nous faire croire qu’il
est possible de trouver une solution à tout mal. Le savoir tragique permet
d’assentir à la réalité. C’est en cela qu’il est une forme de sagesse.
c. Quel « bonheur » cette pastorale propose-telle ?
Chez certains la joie vient d’un sens trouvé dans les épreuves mêmes. Mais chez
beaucoup l’optimisme de rigueur n’est, au mieux, qu’une forme de politesse.
« ça va ? ça va ! ». Ces paroisses pratiquent un idéal « optimiste » qui ressemble
à ces vœux de mariage ou vœux de début d’année : c’est une formalité.

« Un saint triste est un triste saint » combien de fois n’ai-je pas entendu à satiété
cette citation (attribuée à St. François de Sales ou à Don Bosco) ? Je comprends
la Joie surnaturelle qui habite ceux qui connaissent le Ressuscité mais cet
impératif est le plus souvent compris comme gaîté dont le critère l’emporte sur
celui de sainteté. Que deviennent alors les bienheureux que sont les martyrs qui
ont souffert pour témoigner de leur Foi, ceux qui ont pleuré (comme sainte
Marie-Madeleine) ceux qui ont pratiqué la vertu de crainte de Dieu ?

*

30 « La passion fait tout passer, c’est le droit de l’homme le plus imprescriptible. Plus les affaires règnent, plus
le business tourne dans son propre vide, avec pour seul et unique projet son extension absolument sans fin, et
plus le lyrisme cordicole doit triompher à la surface, habiller la réalité, camoufler les pires trafics, ennuager
toutes les intrigues, faire passer l’Ordre Nouveau du monde pour une sorte d’ordre divin. » (Philippe
Muray L'Empire du bien Les belles lettres).
31 Par son étymologie grecque : « le chant du bouc » que l’on sacrifiait à Dionysos, la tragédie est
organiquement liée au Sacrifice où comme dans Œdipe, la victime est aussi le coupable.
32 (Cf. Clément Rosset : « Le principe de cruauté » Ed. de Minuit, 1988)
26
Je ne sais pas très bien ce qu’est ce bonheur. Je connais le plaisir, le désir,
l’allégresse voire la joie ; je connais surtout « le sens » que donne ce qui dépasse
l’Homme. Mais le bonheur comme satiété permanente (stable et durable) du
désir, je ne le connais pas… Car le désir est insatiable, il vise toujours « audelà », c’est-à-dire la transgression ou la transcendance. Seul Dieu est à la
mesure de notre désir… « l’abîme appelle l’abîme » (Psaumes 42.8).
Le bonheur comme plénitude : il n’y avait que la Foi pour y prétendre (« Je vous
salue Marie pleine (ou comblée) de Grâce » ou encore « celui qui boira de l’eau
que je lui donnerai, n’aura plus jamais soif, et l’eau que je lui donnerai
deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle » (St.
Jean chapitre IV). Prétention inouïe…

Si l’Homme est essentiellement un être de besoin, son bonheur est alors
possible, il suffit d’y répondre, par la consommation dans le libre marché
(Mandeville), par un plan social (« une piscine, une MJC pour tant
d’habitants ») ou par « l’augmentation » qu’est susceptible de nous apporter la
technique (transhumanisme). Toutes les philosophies optimistes supposent que
l’Homme se réduit à ses besoins.
Mais si le besoin est satiable, l’homme n’est pas seulement un être de besoin,
c’est aussi un être de désir et comme chacun a pu en faire l’expérience, le désir
est insatiable : par nature il vise « Au-Delà ». C’est pourquoi les espaces de
frontières (limites, plages, portes, orifices corporels…) et les êtres ambivalents
(loups-garous, vamps et vampires, transsexuels, contrebandiers, sirènes, dieux
incarnés…) suscitent effroi et fascination.
L’acquis peut donner du plaisir, tranquilliser, voire réjouir, mais pas satisfaire le
désir qui vise toujours au trans, la transgression ou la transcendance). Seul
l’inaccessible « Au-delà » peut être une réponse au désir, la moins impertinente
possible. C’est pourquoi « Il n’y a pas d’amour heureux » écrivait Louis Aragon
et proposer une religion tranquille, sans drame est un oxymore, presqu’une
obscénité. Surtout quand il s’agit d’une religion d’Amour. Dans l’Amour
mystique, l’homme ici-bas est forcément crucifié33
.

33 Tant de mythes de boiteux dans le monde tentent de rendre compte de cet inaccomplissement, d’Œdipe et
Laïos aux religions amérindiennes … (cf. : Claude Lévi-Strauss qui explique que l’homme boite parce qu’il est
tiraillé entre le Ciel et la Terre).
27
Je comprends que la Foi en la Résurrection du Christ puisse donner à ceux qui
forment « le corps mystique » du Verbe incarné l’Espérance présente du Salut ;
je veux bien qu’on appelle « bonheur » cette conscience (encore que je
préférerais la nommer « sens »), mais je me refuse de confondre cette
conscience en tension avec la béatitude d’un bonheur tranquille34 et encore
moins avec « la gaîté » d’un optimisme de « publicité »
35
.
Il me semble normal qu’au moindre revers de fortune, le fidèle reçoive cette
promesse du bonheur ici-bas comme un mensonge, s’il n’y a jamais cru, et qu’il
s’en détourne comme d’une fable qui oscille entre l’escroquerie et le « vœux
pieux » (« si tous les gars du monde voulaient se donner la main »).
d. Le sacré « fascinans » et « tremendum ».
Dans ses travaux sur « Le Sacré » (1917), le spécialiste des religions comparées
Rudolf Otto remarquait que toutes les religions étaient caractérisées par la
double polarité du fascinans et du tremendum. Le sacré se présente sous le
double aspect de la fascination et de l’effroi. C’est moins du diable et du bon
dieu dont il s’agit ici que de la Transcendance objet d’adoration et de crainte36
.
La crainte de Dieu est un des sept dons du Saint-Esprit ; qui la prêche encore
aujourd’hui ? «Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et
vivre. » dit l’Eternel » (Exode 33 :20).

Notre Dieu est un Dieu d’Amour protestera-on ; oui, d’Amour total mais aussi
de Justice totale. Dieu opère la « coincidentia oppositorum » de ces deux
exigences dans la Croix. Sinon comment comprendre la Passion et la Croix sans
prendre en compte l’Agneau (le « Bouc Emissaire ») qui se sacrifie pour
l’offense faite à Dieu par le péché de l’Homme déchu ?
De même, sauf dans le cas des saints pour lesquels l’Eglise s’est prononcée
(c’est le « pouvoir des clefs »), nul ne sait quel sera sa destinée après sa mort :
les pires des brigands se retrouvent les premiers accueillis en Paradis (le « bon »
larron) tandis que des saints patentés se sont vus rôtir en Enfer (Sainte Thérèse
d’Avila par exemple).
Cette tension d’une « âme à sauver », la pastorale contemporaine y a renoncé.

34 Je suppose que le quiétisme authentique n’exclut pas le tragique.
35 Au contraire, le tragique est au centre de la joie dionysiaque.
36 A l’époque des Hébreux, les « gentils » qui sacrifiaient au Temple de Jérusalem sans être devenus Juifs
étaient appelés « les Craignants Dieu »
28
Tout est rendu facile : la messe de minuit est à 18 heures, le jeûne
eucharistique réduit ou ignoré, l’abstinence de viande réduite aux vendredis de
Carême (si on y pense encore)... Guillaume Cuchet insiste beaucoup sur les
désertions qu’a suscité l’annonce que l’Eglise ne faisait même plus obligation à
ses fidèles d’aller à la messe dominicale.
Alors puisque la facilité est devenue valeur dominante (au nom de la tolérance,
de la « Liberté des enfants de Dieu », ou de l’amour bien sûr), il n’est pas si
paradoxal que les ex-fidèles préfèrent rester devant leur télévision ou aller au
supermarché plutôt qu’avoir à se rendre à la messe, ou faire la grasse matinée ;
c’est quand même encore plus cool !
Un prédicateur qui parlerait de mortifications ou de « la colère de l’Agneau »
(Apocalypse XVI 6) aurait probablement peur de se faire lyncher…

Sur ce point comme dans tant d’autres, l’Eglise s’aligne sur le monde moderne,
qui par ses législateurs ne supporte plus le principe de la peine de mort, les
humiliations du bizutage, les « excès » de la totémisation au sein du scoutisme.
Ces restes d’initiation qui ont enchanté des générations et ont armé les jeunes
pour leur passage à l’âge adulte sont abolis. Le service militaire, les examens (le
Bac, le BEPC) formes bureaucratiques des rites d’initiation sont même en passe
d’être supprimés. Tous ces « adoucissements » se traduisent par la fabrication
sociale d’une interminable adolescence.
Saint Nicolas était accompagné du Père Fouettard. Aujourd’hui nul
n’accompagne plus le Père Noël. Mais en voulant cacher ce qui attriste, on
cache aussi le consacré : quand le vendredi sentait le poisson, il était plus aisé de
se souvenir de la Passion du vendredi saint.

Comme par hasard c’est de cette Eglise « ouverte » aux valeurs du monde, si
« facile » dans ses exigences que les fidèles se détournent ; le catholicisme
« moderne » (je le soupçonne aussi dans le protestantisme des pays du Nord et
dans l’anglicanisme et dans toutes les pastorales latudinaires) a délaissé ce
caractère fondamental, cet « universel » de toute religion : le caractère tragique
de la destinée humaine. La citation attribuée à Camus : « un homme ça s’oblige
ou ça s’empêche » n’a plus de raison d’être, ni pour le Monde, ni pour l’Eglise
d’où l’inflation des techniques manipulatoires de persuasion pour obtenir des
comportements conformes.

29
{je ne parviens pas à supprimer la ligne pointillée ci-dessous]
C’est ainsi que la réalité de la tragédie humaine n’est plus « transfigurée ». La
liturgie et la symbolique, même les moins avenantes (les pratiques ascétiques,
les cœurs sanguinolents et bien évidemment le crucifix, …) transfiguraient le
drame de la destinée humaine en lui donnant une « représentation » signifiante.
Pour ne pas heurter la mentalité « moderne », l’Eglise ne joue plus les fonctions
mêmes les plus élémentaires qu’on peut attendre d’une religion.

Mais certains ne vantent-ils pas le Christianisme d’être « la religion de la sortie
de la religion »
37. Or il me semble que c’est en cela que l’Eglise est à la source
de sa propre crise. L’Eglise avait su garder au cours des siècles le substrat sacré
non seulement du Christianisme mais de toute religion ; aujourd’hui elle semble
vouloir l’abandonner et, par cet abandon, se perdre.
Ce que dit Aristote sur la fonction cathartique38 de la tragédie pourrait être
appliqué à ces « représentations » que sont les cultes religieux ; non que les
cultes ne soient que des représentations, c’est plutôt le théâtre qui serait une
forme inférieure, altérée et décadente du culte, comme le montre l’origine du
théâtre en Grèce, à Rome et dans les « mystères » du moyen-âge. Quoi qu’il en
soit, la fonction cathartique est gravement atteinte par la guimauve.
e. Ce bonheur, tiède comme l’Eglise de Laodicée39, découlerait de
l’Amour divin ?
C’est donc au nom de « l’Amour » que l’on nous sert ce si mièvre « bonheur ».
Je sais bien entendu le caractère central de l’Amour dans le Christianisme. Mais
37 Marcel Gaucher le désenchantement du monde Gallimard 1985by
38 Selon Aristote (« la poétique »), la tragédie susciterait chez le spectateur une « purgation » de ses passions,
la « représentation » permettant à la fois d’évoquer et de prendre ses distances, « d’externaliser » ces
passions.
39 Lettre à l’Eglise de Laodicée « Je connais tes œuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être
froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma
bouche. https://saintebible.com/revelation/... que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi, et je
n'ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, »
(Apocalypse III 15-17).
30
il n’excluait pas le Dieu Tout Puissant, le Dieu Juge et même le Dieu Jaloux et
Vengeur de l’Ancien Testament que le Nouveau n’a pas aboli (à moins de
s’abandonner à l’hérésie marcionite).

A présent on nous prêche comme un père Noël un peu gâteux, un Dieu qui
respecterait à un tel point la « Liberté » de l’homme qu’il en deviendrait
impuissant. Certains vont même jusqu’à affirmer que c’est par le sacrifice de sa
toute puissance, que Dieu manifeste son amour pour l’Homme40
.
Eh bien je ne crois pas que la « Liberté » humaine puisse imposer une
quelconque limite à la Providence ; au contraire je constate que la ruse divine se
sert du démon (pour éprouver Job), de Nabuchodonosor, ou de Judas Iscariote
pour accomplir son dessein. Comme le joueur de tour : « face je gagne, pile tu
perds », le « divin fripon »
41 atteint son objectif, que la réponse de l’homme ou
de l’ange soit oui ou soit non

Je ne prétends pas ici résoudre la vieille question de la théodicée42 ; mais je
constate que le discours dominant des ecclésiastiques est aujourd’hui, non pas le
juste châtiment du péché, non pas le monde comme épreuve mais sous prétexte
d’Amour, la mise en doute de la Toute Puissance.
Dimanche dernier, mon curé prêche sur la liberté qui serait à la source de la
Foi43, alors que je crois que c’est la Grâce divine qui est à la source de la Foi.
Assez curieusement la liberté qui était considérée comme la libération des
chaînes du péché, voire du « moi », devient le « libre-arbitre » qui nous permet
de refuser la Grâce, c’est-à-dire, à proprement parler le péché, ce qui coupe
notre conscience de l’influence divine. Décidément, « la liberté n’est pas à la
racine mais à la fleur ».

« Aime et fais ce que tu veux », l’adage de saint Augustin est bien pratique pour
le clergé, il permet de répondre à presque toutes les questions dans une Eglise
devenue « adogmatique ». Mais est-ce une vraie réponse ou un « concept40 Curieuse transposition du « Tsimtsoum » (retrait par lequel Dieu se rétracte pour laisser place à la création)
car cette création est justement « ordonnée » au contraire de la « Liberté » erratique de l’homme.
41 L’archétype du « fripon divin » en anglais le « Trickster » qu’on retrouve dans la plupart des récits mythiques
du monde. Ainsi, Georges Dumézil qualifie le dieu scandinave Loki de « Trickster » mais il existe aussi des dieux
fripons africains, polynésiens (Maui) ou australiens (Bamapama).
42 Théodicée : comment le mal peut-il exister alors que Dieu est Bienveillant et Tout Puissant ?
43 Saint Paul converti après une chute de cheval et être devenu aveugle, aurait été surpris de tels propos.
31
valise » que chacun pourra remplir à sa guise en évitant de prendre conscience
du quiproquo ?
En français le terme « amour » est si ambigu, si polysémique. Le grec distingue
au moins, eros, philia et agapé44
. Mais en français ?
L’attraction sexuelle ressemble à l’attraction universelle, « l’amour qui meut le
soleil et les autres étoiles »
45
. L’attraction universelle certes mais l’amour
humain prend des formes si diverses et parfois si contradictoires.
Quel amour ? L’érotisme est un mélange bien variable de tendresse et de
violence. Le besoin de l’autre ? « Je suis perdu quand tu n’es pas là » ? Et le
sado-masochisme, la pédophilie, la zoophilie ? Même la recherche du bien de
l’autre peut se transformer en une attente et même une exigence
disproportionnée du Pygmalion amoureux. Et l’amour comme amour de soi
« idolâtre- moi et je ferai semblant de t’idolâtrer ». Et l’amour comme « amour
de l’amour » dont parle St. Augustin ? Recherche de l’alter ego ou au contraire
de ce qui me manque ? Bienveillance ou jalousie ? Et l’amour propre qui se tapit
derrière l’amour d’autrui ? Suis-je aimé comme un chrétien doit aimer son
ennemi ou comme une femme aime son homme ? « Se donner à l’autre », mais
si cet amour devient si pesant à l’autre ? J’aime mes parents ou mes enfants,
mais si mal car par cet amour, je peux leur faire tant de mal…
De toutes les facultés humaines, l’amour est la moins maîtrisable et la plus
réversible : « Je ne hais que ce que j’aime ou que j’ai aimé ».
J’ai la Foi en l’Amour divin mais je ne le comprends pas pour autant puisque
j’ai tant de doutes sur l’amour humain. Je veux bien que chaque forme d’amour
humain soit un reflet de l’Amour divin et que l’on puisse trouver des accents
mystiques aux plaintes d’une chanson d’Edith Piaf, mais l’amour est susceptible
de tant d’abominables corruptions que je pense qu’il ne faudrait en faire usage,
comme pour la nitroglycérine, qu’avec d’infinies précautions.
« Aimer Dieu et aimer les autres pour l’amour que Dieu a des hommes » (la
Charité), je comprends (un peu). « Aimer » tout court, je ne sais pas ce que je
comprends.

Sans doute, l’impérialisme de l’Amour est-il en grande partie l’héritage dévoyé
du Christianisme probablement via « l’amour courtois ». Mais son exaltation
44 Le terme de « Charité » semble être tombé en désuétude parce que d’Amour divin, il était devenu piécette
que l’on donne au mendiant.
45 Dante La Divine Comédie- Le Paradis chant XXXIII.
32
sans discernement au sein des « communautés nouvelles » plus ou moins sous
l’influence de la « libération sexuelle » des année 68 qui, oubliant les disciplines
prudentielles élaborées au cours des siècles, a joué bien des tours aux
congrégations qui mêlaient joyeusement laïcs et clercs, hommes femmes et
enfants comme si l’on était déjà parvenu dans la Jérusalem Céleste libéré
totalement de l’emprise du péché (point besoin d’illustrer ce propos les médias
s’en chargent).
Problème d’autant plus crucial que l’on tend à effacer l’idée-même de péché.

Que Dieu aime le pécheur, qu’il désire son retour comme le Père attend l’enfant
prodigue, j’y crois fermement ; mais qu’Il aime le péché, non ! Un père peut
continuer à aimer son fils drogué, il n’aime pas la drogue pour autant, au
contraire.46 Insensiblement on est passé de l’amour du pécheur malgré son péché
jusqu’à l’amour du pécheur dans son péché47. Pourtant, faut voir comme Il taille
sa vigne et traite Sodome et Gomorrhe…
f. La négation du péché
Je ne crois pas me tromper en disant que les curés ont abandonné le
confessionnal avant les fidèles.
Je me souviens de mon enfance, de ces longues files d’attente devant les
confessionnaux avant les grandes fêtes chrétiennes. Ce n’était pas rigolo, ni pour
le fidèle ni pour le prêtre48. Le pénitent dans le confessionnal était à genoux
devant une grille et le prêtre dans son humanité se faisait plus ou moins oublier
derrière celle-ci.
Les curés ont voulu rendre ce sacrement plus aimable le transformant en un
entretien amical à la sacristie où l’on ne s’agenouille plus et où le prêtre
46 Ce n’est pas pour rien que l’Eglise affirme la médiation non seulement du Christ mais de la Vierge Marie qui
par la Grâce de « l’immaculée conception » est née dans l’état où était Adam avant le Chute (à rapprocher de
l’Adam Kadmon des cabalistes). Dieu aime l’Homme tel qu’Il l’a voulu et c’est dans la mesure où nous pouvons
« participer » à cet état primordial que nous pouvons oser nous approcher de Dieu.
47 « Qui suis-je moi pour juger ? » Cette phrase prononcée par le pape François en réponse à un journaliste qui
l’interrogeait en juillet 2013 sur l’homosexualité d’un membre de la curie romaine ressemble à la négation du
discernement dont le Pape précisément devrait exercer la fonction.
48 Pourtant le saint curé d’Ars ou Padre Pio s’attelaient dans ce combat des journées entières, jusqu’à
épuisement
33
« oublie » de donner une « pénitence »
49 … « Sacrement de la réconciliation »,
ça sonne mieux que « sacrement de la pénitence » ; mais, à partir de ces
nouveaux rites, ils ont perdu leurs pénitents.

Ils ont tenté, sans grand succès de proposer des absolutions anonymes et
collectives. C’est comme s’il fallait dissoudre le caractère personnel du péché
dans le collectif ou dans « des structures de péché ». Encore ne va-t’on pas
jusqu’à parler de la chute ontologique du péché originel qui, pour le coup, n’est
en rien une faute « individuelle » de la personne. Pourquoi ? Peut-être parce que
ça contrarierait les croyances rousseauistes sur la bonté originelle de l’homme et
l’origine « extérieure » du mal. Dommage que l’Eglise contemporaine y
renonce, parce que les fidèles auraient ainsi une idée de ce dont ils seraient
« sauvés » par le Sauveur.

De même, jadis on initiait les fidèles à l’examen de conscience (pour certains
quotidien) ; certes, cela polarisait la pratique sur la morale plus que sur la
dimension métaphysique du Salut. Mais ces pratiques rendaient concret le fait
que nous étions pécheurs, c’est-à-dire prisonniers de la triple malédiction de la
concupiscence, du monde et du démon et que le combat intérieur était
permanent et trop souvent perdu.
A présent s’il n’y avait pas la liturgie de la messe (le confiteor par exemple) quel
fidèle (ou ce qu’il en reste) aurait encore conscience qu’il est pécheur et qu’il a
un besoin vital d’être sauvé ?

L’idée universelle qu’après notre mort50 nous serons jugés, est actuellement
« oublié » et souvent mise en cause par les discours cléricaux dominants. On en
vient à contredire dans les homélies et les discussions l’article du Credo « d’où il
reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts »
« C’est l’homme qui se jugera lui-même car le Dieu d’Amour ne peut juger »
affirment avec audace et contre l’avis des Pères de l’Eglise ceux qui ne peuvent
concevoir l’amour paternel autrement que comme celui d’un « papa-gâteau »
49 Loin des rudes pénitences de l’Antiquité ou du Moyen-Age (où l’on demandait au pénitent de faire le
pèlerinage de St. Jacques de Compostelle par exemple), J’ai l’impression que la pratique s’était singulièrement
adoucie à l’époque de St. François de Sales. A mon époque la pénitence se réduisait à quelques Pater et
quelques Ave Maria, puis plus rien…
50 Et même peut-être avant la mort : « Tu as été pesé dans la balance et as été trouvé trop léger » (livre de
Daniel 5.27)
34
« papa-gâteux » dans une perspective assez proche du rôle dévalué que notre
société laxiste voudrait attribuer aux pères.
Pour ma part, je ne ferais pas une grande confiance en un tribunal dont je serais
le juge suprême ; j’attends au contraire de connaître enfin le « fin mot de
l’histoire » après tant d’interprétations tordues. J’attends en outre avec curiosité
et sérénité l’arrêt du divin Juge car quoi qu’il en soit, il sera juste et sans appel.
Je n’ai pas à faire coïncider Dieu avec mon idée de l’Amour et de la Justice mais
au contraire à modifier ma conception en fonction de la Révélation de celui qui
est l’Amour et la Justice.

Paradoxalement, les mêmes qui hypertrophient la nature « libre, adulte et
responsable »
51 de l’homme, répugnent à l’idée qu’il faut « répondre » de sa
liberté devant un tribunal humain. La parole du Seigneur sur la croix, renvoie
l’homme à plus de modestie : « Père pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils
font » (Luc 13. 34). Le pardon de Dieu semble découler du caractère imparfait
de cette liberté humaine. Les anges révoltés, eux, seraient déjà condamnés car
c’est la rançon de leur parfaite liberté.

La conception du « péché », quand on en parle encore, est passée de celui d’un
état52 (« J'étais pécheur dès le sein de ma mère » Psaume 5) à des actes
(réduction à la morale53) et des actes à des intentions (que la subjectivité pourra
facilement déguiser).
51 La formule me fait penser à la réponse que faisait un homme compromis dans une situation délicate : « je
suis libre, adulte et républicain ».
52 Avant le péché originel nous avions les 4 dons préternaturels : l'immortalité, la science infuse, l'impassibilité
(ne pas souffrir), l'intégrité.
Le péché originel a fait perdre ces quatre dons, nous naissons tous avec ce péché originel transmis par la
nature, ce n’est pas une faute personnelle et même le baptême ne nous rend pas ces dons. Ivan KOLOGRIVOF
précise : « la sainteté chrétienne est premièrement et foncièrement un état de l’être, une manière d’être qui
relève de l’ordre ontologique lui-même, et en second lieu seulement, un résultat d’efforts, un comportement
d’ordre moral. »
53 Quand le péché est encore évoqué, c’est dans sa dimension morale (moralisante ?) qu’il est
reconnu et non dans sa dimension métaphysique. Dans « La Croix » (19/ 10/ 2019) le père Cédric Burgun,
directeur au séminaire des Carmes à Paris et vice-doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique
de Paris concède : « Si le Salut est considéré comme automatique, le sens de l’effort dans la pratique peut
s’amoindrir. »
35
Dès lors, l’idée de châtiment/remède est oubliée, l’épreuve, le malheur et la
souffrance deviennent insignifiants ou pire l’œuvre de quelque démiurge
malhabile ou sadique.

A une autre époque, la crise du SIDA (comme la pandémie du coronavirus)
aurait été interprétée comme un châtiment par la Providence pour la sexualité
débridée des années 60 et 70 ou pour l’homosexualité. Dans les années 80, tout
fut fait pour que la maladie ne soit pas une source de culpabilisation ou
d’ostracisme pour les invertis. Et pour ne pas prêter le flanc au soupçon
d’exploiter ces circonstances, l’Eglise abonda dans cette ligne générale, pour ne
conserver qu’un positionnement compassionnel.

Le Messie ne nous dit pas que tout homme est innocent, mais au contraire que
tout homme est coupable et que les malheurs du monde ne sont que justice54
.
Si l’idée de péché s’estompe, le péché originel a fortiori, est un thème qui n’est
plus enseigné ce qui repose aux ex-fidèles le problème de la théodicée55
.
Spontanément en l’absence d’un enseignement sur le démon et le péché originel,
les gens reprennent le raisonnement d’un Dieu qui est méchant ou qui est
impuissant pour justifier leur refus de croire56
.
A propos de la théodicée : pourquoi nous donne-t-on si peu l’explication que
donne le Christ au malheur : « Jésus vit, en passant, un homme aveugle de
naissance. Ses disciples lui firent cette question : Rabbi, qui a péché, cet homme
ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle? Jésus répondit : Ce n'est pas que lui
ou ses parents aient péché ; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient
manifestées en lui. Il faut que je fasse, tandis qu'il est jour, les œuvres de celui
qui m'a envoyé» (St. Jean IX -1-5). C’est que cela suppose de se mettre dans la
perspective de Dieu alors que la pastorale ne veut connaître que la perspective
de l’homme.
54
" En ce temps-là survinrent des gens qui informèrent Jésus que Pilate avait mêlé le sang de galiléens à celui de
leur sacrifice. Prenant la parole, il leur dit " Pensez-vous que pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de
plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ? Non, je vous le dis ; mais si vous ne vous repentez pas, vous
périrez tous pareillement. Ou ces dix-huit que la tour de Siloé a tués dans sa chute, pensez-vous que leur dette
fût plus grande que celle de tous les hommes qui habitent Jérusalem ? Non, je vous le dis, mais si vous ne voulez
pas vous repentir, vous périrez tous de même." (St. Luc chapitre 13.1-5)
55 Théodicée : tentatives pour répondre à la question « quelle est l’origine du mal et du malheur ? ».
56 Les exorcismes de l’ancien rituel du baptême ont été, dans le rituel de 1970, très expurgés ou sont devenus
fort allusifs.
36
g. « On ira tous au Paradis » (chanson de Michel Polnareff)
Le prêtre en visite dans ma paroisse affirme au cours de la messe que « Dieu
sauve tous les hommes ». Comment le sait-il ? En tout cas pas en s’appuyant sur
les Ecritures et la Tradition. A la rigueur il pourrait dire qu’il l’espère ou bien
que l’Homme (générique57) est sauvé depuis le Sacrifice de la Croix et la
Résurrection ; non il l’affirme, comme s’il connaissait le secret du Père.
On nous fait croire que puisque Dieu est pur Amour il ne pourrait juger,
condamner et damner aucun homme. C’est évidemment en contradiction avec
les Ecritures et la Tradition de l’Eglise. Le théologien Urs Von Balthazar était
allé jusqu’à la limite du tolérable en disant, avec précaution, qu’on pouvait
espérer le salut de chaque homme y compris de Judas58. Mais l’Espérance n’est
pas l’affirmation. Un évêque suisse renverse la position et proclame hérétique
celui qui affirmerait que Judas est en enfer.

Dans les pratiques pastorales, c’est bien la thèse de l’enfer vide qui est suggérée
puisque n’importe quel défunt est censé « avoir rejoint la maison du Père ».
Dans les « funérariums » il est rare que l’on prie pour le salut de l’âme du défunt
puisque celui-ci est assuré d’office. On se contente des éloges du disparu et de la
consolation de ses proches. « L’enfer vide » : chacun comprendra que l’enfer est
une fable des « temps obscurs » pour faire peur aux naïfs…
Quant au Purgatoire (qu’on appelait jadis « l’Eglise souffrante ») il n’est
pratiquement plus évoqué59. Puisque le péché n’existe plus, le Purgatoire n’a
plus de raison d’être.

Il n’est jusqu’à la traduction du « Notre Père » qui ne manifeste ce biais :
l’ancienne traduction de la sixième demande (« ne nous laisse pas succomber à
la tentation ») ne prétendait pas que les fidèles puissent éviter la tentation (le
Christ a été tenté, le disciple peut-il s’en abstenir ?). La nouvelle traduction, «ne
nous laisse pas entrer en tentation » aurait l’avantage de dédouaner le Bon Dieu
57 En un sens, tout l’Homme est sauvé dans le Christ ressuscité, ce n’est pas pareil que « tous les hommes sont
sauvés ». Cela ne rapprocherait-il pas de certaines perspectives bouddhistes pour lesquelles l’attachement à
« l’individualité » est la source de la souffrance ?
58 « Espérer pour tous », Éditions Desclée de Brouwer, 1988
59 Pourtant je souhaiterais bien me présenter au Père sans les manquements que j’ai accumulés, dans l’état où
il m’a insufflé ma vocation…
37
d’être directement l’auteur des tentations60 ce qu’induisait la précédente
traduction (« ne nous soumets pas à la tentation »), Cependant les deux
traductions laissent entendre qu’on pourrait traverser cette vie sans épreuve
morale.

Le « Salut » est devenu un « droit » analogue à celui qu’assure l’EtatProvidence ; « le droit à… » qu’il est tenu d’assurer à chaque citoyen. Un droit
qui d’ailleurs ne suscite pas plus de reconnaissance que ses filles n‘en ont pour
le Père Goriot.

« Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » (Matthieu 22.14). La thèse du Salut
donné à tous, et encore plus du Salut reçu par tous61, est intenable.
Les références sur la réalité de la damnation et de l’Enfer sont trop nombreuses
dans la Bible, si nombreuses que je me dispenserai de les énumérer ici.
Si les clercs ignorent superbement les Ecritures, c’est-à-dire la Révélation de la
Tradition préchrétienne et chrétienne comment peuvent-ils légitimer leur
influence sur les fidèles, et comment ceux-ci ne se détourneraient pas de tant
d’incohérences ?
h. L’Egalité contre l’Election divine
Naturellement puisque nos pasteurs ne font plus de différence entre les baptisés
et le reste des hommes, quel impératif y aurait-il de faire baptiser ses enfants ?
Pourquoi pratiquer un importun prosélytisme pour convertir les païens ?
(Matthieu 28.19).
Pourtant, le Christ semble bien établir une différence ontologique entre ceux qui
ont été baptisés et les autres : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne
ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans
le royaume des Cieux est plus grand que lui ». (St. Matthieu 11.11 ou encore St.
Luc 7.28)
60 Sans doute est-ce le démon qui est à la source des tentations ; mais comme le montre le livre de Job, c’est
avec la permission (la mission ?) de l’Eternel…
6161
61 La réfutation récente par le Vatican de la notion de « limbes » (Séjour des âmes des justes avant la
Rédemption, ou des enfants morts sans baptême) pousse encore à l’indistinction des destinées post-mortem.
38

D’ailleurs au sein de cette modernité finissante toute distinction, toute
discrimination sera dénoncée comme « raciste » ou « haineuse » alors que
l’Eternel ne cesse d’émonder sa vigne : Il détruit dans le déluge la plus grande
part de l’humanité ne sauvegardant que la famille de Noé parmi lesquels la
descendance de Cham est maudite. Il choisit un petit peuple du Moyen-Orient
(« le peuple élu » pour faire alliance avec eux de façon privilégiée). Deux tribus
subsisteront sur les douze qui accompagnèrent Moïse. Crucifié au milieu de
deux larrons, Jésus n’en sauve qu’un. Et Saint Jean annonce « la colère de
l’Agneau » (Apocalypse XVI 6) etc. etc.
L’intelligence discrimine62 et l’amour distingue : l’amoureux reconnaîtra les
paillètes dorées des yeux de celle qu’il aime là où le médecin de la sécurité
sociale ne verra qu’une « personne comme les autres ». S’il n’y a plus
«d’élection », il n’y a plus de relation avec un Dieu « personnel ».

Certes Dieu renverse les hiérarchies mondaines, ce n’est pas l’aîné mais David
le plus jeune des fils de Jessé qu’il choisit pour être roi d’Israël. Certes dans la
parabole des noces ce sont « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les
boiteux » (Luc 14.21) qui prennent la place des invités qui ne sont pas venus. »
Et « qui s'élève sera abaissé, qui s'abaisse sera élevé.» (Luc 14.11). Jacob par
ruse prend la place d’Esaü pour recevoir la bénédiction paternelle d’Isaac, mais
jamais quelqu’un n’a prétendu que c’était pour abolir la distinction entre celui
qui avait reçu la bénédiction et celui qui en avait été privé.
Car il s’agit là d’un renversement de la hiérarchie63 mondaine, et non d’une
abolition de la hiérarchie. Le Christ distingue les Apôtres de ses autres disciples
et il donne à Pierre à Jacques et à Jean les fils de Zébédée, des fonctions et des
destinées différentes64
.

62

« La discrimination, on rougit de le rappeler, est, littéralement, l'action de distinguer des objets de pensée,

ou de discerner les choses les unes des autres. Il n'y a donc pas un propos, dans quelque langue que ce soit, il n'y
a pas une phrase issue d'une pensée un peu construite, qui ne soit, en son essence, discriminatoire. La parole ne
s'énonce que pour distinguer ou différencier. Toute opinion est un tri. Toute remarque, même la plus évasive,
commence par écarter ce dont elle ne parle pas et que, par conséquent, elle "discrimine" ». Philippe Muray
Cause toujours)
63 Avec peut-être un sens anagogique : proclamer la Vierge Marie reine des anges, c’est renverser la hiérarchie
et peut-être la cause de la révolte de Lucifer. La Transcendance n’est pas prisonnière de l’ordre de la création.
64 Cf. La Transfiguration, (Mt 17,1-9, Mc 9,2-9, Lc 9,28-36)., L’agonie au jardin des Oliviers où il demande à trois
disciples de veiller avec lui (Matthieu 26, 36-44 - Marc 14, 32-40 - Luc 22, 39-46) Pierre institué chef de l’Eglise
(Matthieu XVI 18), etc.
39
Je veux bien qu’à chaque humain soit reconnu une éminente dignité (ne serait-ce
que par l’incarnation humaine du Verbe), mais cela ne veut pas dire une
indifférenciation, aussi bien dans ce monde (cf. la parabole des talents) que dans
l’autre (« il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » Jean 14.2)
Quant aux anges, ils ne forment pas un soviet mais une hiérarchie de neuf
chœurs, d’ailleurs il n’y aucun ange identique à l’autre nous disent les
théologiens…

On pourrait encore évoquer ici, avec Régis Debray (et bien d’autres), la
féminisation de notre société qu’il lie à l’écologisme : « nous quittons Dieu le
Père pour la Terre mère » ( Le siècle vert Gallimard 2020). On passe de
l’Ouranien (« notre Père qui êtes aux cieux ») au Chtonien (« la Raison tonne en
son cratère » de l’Internationale). De ce point de vue, l’Eglise aussi, en tout cas
des pans entiers de l’Eglise aux USA ou en Allemagne, semble traversée par
« l’hystérie » féministe65
.
Le ressentiment égalitaire (abusivement assimilé à la « justice ») est moralement
et esthétiquement laid ; pourquoi le cultiver dans l’Eglise ?
D’ailleurs partout où l’on proclame l’Egalité comme valeur on institue la
compétition : dans les sports, pour classer les coureurs, il faut qu’ils partent du
même point de départ avec la même distance à parcourir. On ne fait pas
combattre un poids coq avec un poids lourd. Pour Molière, « le Bourgeois
gentilhomme » se couvre de ridicule lorsqu’il veut entrer en compétition avec
les Messieurs de la Cour. La société démocratique et libérale plonge les hommes
contemporains dans une compétition généralisée et épuisante. Est-ce à l’Eglise
de conforter cette déviation66 ?
On ne peut instaurer la « symphonie » des complémentarités que par la
différentiation.
65 « Que la femme écoute l'instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme
d'enseigner, ni de prendre de l'autorité sur l'homme ; mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été
formé le premier, Eve ensuite ; et ce n'est pas Adam qui a été séduit, c'est la femme qui, séduite, s'est rendue
coupable de transgression." (Saint Paul épitre à Timothée II, 12-14). La citation est difficile à « avaler », mais
c’est quand même Saint Paul !
66 Mon curé le dimanche accueille les paroissiens par un « bienvenue à tous et à toutes » ; je lui explique qu’en
français le masculin est inclusif et implique le féminin et d’ailleurs que s’il veut expliciter le salut pour chaque
« genre », à l’heure du LGBT etc. Il ne s’en sortira jamais
40
i. Le tabou de la mort
Au XIXe siècle la mise en scène des funérailles et des tombeaux s’était
développée dans la plus grande pompe. Qu’on compare les sobres gisants
médiévaux aux grandiloquents spectacles en pierre du cimetière du Père
Lachaise. Dans mon enfance, on portait encore parfois des voilettes ou des
brassards noirs pour signifier son deuil. Aujourd’hui rien ne doit manifester la
réalité de la mort.
L’historien Philippe Ariès parlait de la mort dans notre société comme nouvelle
pornographie : on sait bien que cela existe mais il faut la cacher aux enfants,
conseiller aux proches de « penser à autre chose » et « rassurer » les vieux et
les malades en les assurant que leur vie se prolongera indéfiniment67
.
C’est là un comportement radicalement contraire aux universaux de
l’anthropologie68 : les paléontologues reconnaissent qu’il y a humanité dès lors
qu’ils trouvent des traces de rites funéraires ; Antigone se sacrifie pour que son
frère soit rituellement enseveli.
La vie est elle-même rythmée par la mort : tout rite initiatique comporte une part
de mise à mort et de résurrection ne serait-ce que dans le baptême où le disciple
est symboliquement noyé dans le Jourdain avant de ressusciter dans le corps du
Christ.
Les funérailles ont toujours été dans l’humanité un moment religieux
fondamental. Au cours de son histoire, l’humanité a remodelé la discipline de
l’Eglise pour que le Baptême soit proche de la naissance, la « communion
solennelle » (ou la « confirmation ») de la puberté, que le rite du mariage
coïncide (de moins en moins) avec le début des relations sexuelles69 et que
« l’extrême onction » soit donnée à l’agonie. Il y avait une sorte de coïncidence
entre l’horloge biologique, l’ordre social et la dispensation des sacrements.
Je sais bien que « le sacrement des malades » n’a pas vocation à se restreindre
au viatique des « trépassants » et qu’il n’y a pas de sacrement spécifique pour la
mort (Il est « le Dieu des vivants »). Mais les curés ont eu un grand tort pastoral
67 Cf. plus loin « retour sur la peine de mort »
68 On peut légitimement se demander si « l’homme moderne » est encore un homme. Si l’on répond
négativement à la question on ironisera sur une Eglise qui se voudrait « humaniste » quand elle se met à suivre
les « valeurs » contemporaines. Mais il faut répondre par l’affirmative car phénoménologiquement n’importe
quel joueur au loto croit à un sort dont il dépend. L’homme contemporain possède toujours une nature
« religieuse » mais il n’en a plus grande conscience parce que par le rationalisme, il s’est conditionné contre
cette nature.
69 Sauf en France où un « mariage civil » doit légalement précéder le mariage religieux rendant celui-ci
superfétatoire. On a essayé de réitérer le coup par le « baptême républicain », ça n’a pas l’air de marcher.
Quant aux funérailles républicaines elles sont réservées aux « grands hommes » qui ont mérité de l’idéologie
progressiste avec entrée au Panthéon, attribution du nom aux places et avenues et tout le tralala.
41
en abandonnant la conduite des funérailles70, un des rares moments où la famille
se retrouve, et où les participants s’interrogent sur le sens de l’existence.
Par cette absence, on prive les fidèles de l’Espérance de « mourir en bon
chrétien », même (et surtout) si, comme « le bon larron » on avait mené une vie
de patachon.
Les funérailles ne sont plus faites pour arracher dans les derniers combats, l’âme
du mort à la damnation éternelle mais pour consoler les vivants et leur assurer
que le défunt a rejoint la maison du Père.
Quelle tristesse que ces rencontres au « funérarium » où l’on remplace les
vérités graves du rituel (la splendeur du « Dies irae » par exemple) par des
éloges dignes du discours de l’oncle Marcel lors d’un banquet de noces trop
arrosé. Quel goût amer que ces statuettes de « footballeur » ou de « tennisman »
mises sur la tombe à la place d’une demande gravée de prières.
j. L’effacement du sacrifice
Plus spécifiquement encore l’Eglise semble effacer l’idée-même du Sacrifice,
pas seulement les « mérites » que donnerait le renoncement à quelque plaisir
mais le rituel universel du « faire sacré ». Dans toutes les religions (pas chez les
protestants bien sûr qui ont inauguré le passage à la « modernité ») le sacrifice
est au centre du culte71
.
Le sacrifice témoigne de la nature religieuse de l’humanité et même de la
Révélation primordiale qui lui a été faite. C'est en effet écrit Joseph de Maistre «
une opinion aussi ancienne que le monde, que le ciel irrité contre la chair et le
sang, ne pouvait être apaisé que par le sang ; et aucune nation n'a douté qu'il
n'y eût dans l'effusion du sang une vertu expiatoire. Or, ni la raison ni la folie
70 Y-a-t’il encore des diocèses où il est interdit aux prêtres de participer aux funérailles et d’y célébrer une
messe et ce « pour ne pas faire de jaloux » ? Ces variations pastorales ont laissé à beaucoup un profond
ressentiment contre l’Eglise.
71 Joseph de Maistre fait même du Sacrifice la dimension cachée de toute vie : « La terre entière,
continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans
mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la
mort » (« Soirées de Saint-Pétersbourg », 2e Entretien, t. I, p. 80; 8e Ent., t. II, p. 102; 7eEnt., p. 32 (« l'ange
exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe, et ne laisse respirer une nation que pour
en frapper d'autres »).
42
n'ont pu inventer cette idée, encore moins la faire adopter généralement. Elle a
sa racine dans les profondeurs de la nature humaine »
72
.
Or tout sacrifice porte une part de renoncement et de souffrance, une mise à
mort, au moins symbolique, qui vont à l’encontre du « bonheur tranquille »,
objectif que se donnent tant de paroisses. Pour nos contemporains, de tels
Sacrifices relèveraient plus de la boucherie que de la « civilisation des mœurs ».
Sans doute existe-il des cultes où l’on offre aux dieux les prémices des
récoltes73, mais le sacrifice « normal » doit comporter une victime animale ou
humaine ainsi que l’on peut le comprendre du premier meurtre de l’Histoire, dû
à l’agrément par Dieu du sacrifice sanglant des premiers-nés du troupeau d’Abel
et du dédain qu’il eut pour les offrandes agricoles de Caïn (chapitre IV de la
Genèse). On le sait chez les Hébreux le sang est à la fois tabou (les viandes
casher sont saignées) et ce qui sauve : « Le sang (de l’Agneau pascal) vous
servira de signe sur les maisons où vous serez ; je verrai le sang, et je passerai
par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je
frapperai le pays d’Égypte » (« Exode 12.13). C’est par le sang versé par le
Christ que vient notre salut : « En lui, par son sang, nous avons la rédemption,
le pardon de nos fautes. » (Epître aux Ephésiens I 7)
Du point de vue de la mentalité moderne le sacrifice est une barbarie
incompréhensible car le sang n’est qu’un ensemble de plaquettes rouges, de
plaquettes blanches et de plasma ; la mise à mort ne saurait être mise en scène
que par des psychopathes. Quant à l’introduire dans le domaine spirituel et en
faire le moyen fondamental du salut, c’est à proprement parler impensable74
.
Eh bien oui, les temples étaient des abattoirs… ou plutôt, en l’absence de
temple, il ne nous reste que des abattoirs bien cachés à notre regard si délicat, et
nous mangeons des viandes qui ne sont plus consacrées. Et en dégustant notre
steak nous protesterons contre la cruauté de la corrida, cette dernière cérémonie
païenne de mise à mort. La modernité ferme les yeux sur le fonctionnel
insignifiant des abattoirs, mais s’indigne du sacrifice qui anoblit la bête et sa
mort.
72 « L'Eclaircissement sur les sacrifices » est publié à la suite des Soirées de Saint Pétersbourg : voir éd. J.-B.
Pélagaud et Cie, Lyon, 1845, chap. 1, p. 339 sq.
73 Et même dans le culte des Hébreux on peut aussi offrir accessoirement des gâteaux, des pains azymes ou des
pains levés (Lévitique chapitre III)
74 Même Joseph de Maistre raisonnait-il encore en « humaniste » du XVIIIe siècle en récusant les sacrifices
humains comme les cultes à sacrifice de masse des société précolombiennes dans lesquels il voyait un
dévoiement du sacrifice. On sait que J. de Maistre loin de considérer les sociétés exotiques comme des
« sociétés primitives », y voyait plutôt des sociétés décadentes.
43
Pour ma part qui est celle d’un contemporain de l’âge moderne finissant et déjà
en crise, je subis les limites mentales de mon époque et j’ai aussi des difficultés
à saisir la nécessité du Sacrifice et j’ai conscience du choc que peuvent
provoquer mes propos sur l’universalité du Sacrifice sanglant. Choc peut-être
salvateur ?

Sacrifice ? La seule explication que j’ai su découvrir, c’est qu’il est la réponse
de la créature au Créateur qui permet à la création d’exister par un sacrifice de
Lui-même, la rétractation partielle de la Lumière divine que la cabale appelle le
Tsimtsoum (littéralement « contraction » comme pour l’accouchement). La
Création comme la Rédemption sont des sacrifices divins. Dès lors, le sacrifice
liturgique est la réponse de la création au sacrifice divin ? C’est seulement dans
le sacrifice de la créature que l’homme trouve le sens à donner à sa vie.
Quoi qu’il en soit, les longues descriptions bouchères du Lévitique sur la façon
de détailler et de répartir les viandes (« rognons « queue » poitrine et
« graisses ») entre la divinité, les prêtres et les donateurs sont mal supportables
pour la sensibilité de nos contemporains75
. Est-ce une raison pour en censurer la
prédication ?
De même les prêtres sont bien gênés d’expliquer la demande faite à Abraham
d’avoir à sacrifier son seul fils, même si le scandale est adouci par la substitution
tardive d’un bélier à Isaac. Tout cela fait bien penser à ce culte de Moloch que la
même Bible dénonce, au sacrifice d’Iphigénie par son père Agamemnon, voire à
la façon dont les parents vouaient leur enfant (parfois l’aîné, parfois le cadet) à
une vie consacrée…
Un temps, René Girard avait interprété la « ligature d’Isaac » comme une
pédagogie d’avoir à renoncer aux sacrifices humains76. La plus grande partie du
clergé s’est engouffrée dans cette explication si « humaniste » oubliant que le
sacrifice volontaire du Christ réalise parfaitement le programme prophétique
d’Abraham : Il est le « bouc émissaire », l’Agneau expiatoire se substituant à
l’Homme Isaac, l’Agnus Dei que nous célébrons à chaque messe.
75 En tout cas les juifs peuvent se féliciter de la destruction du Temple qui les dispense de cette boucherie.
76 R Girard, « Des choses cachées depuis la fondation du monde », Grasset, 1978. On me dit que ce grand
visionnaire avait renoncé à cette position anti-sacrificielle à la fin de son œuvre.
44
On sait que dans le culte, les seuls animaux qui peuvent dignement être sacrifiés
sont ceux qui sont sans taches77. Seul le Dieu-Homme est parfaitement saint
pour pouvoir se présenter au Père et (à quel prix !) racheter l’humanité déchue.
Bien loin d’abolir les sacrifices, la Passion et la Croix en sont le summum
indépassable (un sacrifice humain et divin) qui bien entendu rend largement
caducs les sacrifices d’animaux.
De plus, chaque messe renouvelle de façon « non sanglante » le sacrifice du
Seigneur et ce jusque dans la Jérusalem Céleste où l’Agneau de Dieu irrigue
perpétuellement tout l’Univers de son sang78. Le caractère violent du sacrifice
est explicitement évoqué dans le rite de plusieurs Eglises d’Orient où durant
l’Eucharistie, le prêtre perce le pain/corps du Christ avec une toute petite épée
ou une lancette79. Mais plus largement dans toutes les formes d’eucharistie le
fait de séparer le pain et le vin signifie la séparation du corps et du sang du
Christ, c’est-à-dire, comme pour tout être vivant, sa mise à mort, son sacrifice.
La vie intérieure du fidèle n’échappe même pas à la nécessité du sacrifice :
« vous circoncirez votre cœur, vous ne raidirez plus votre cou » (Deutéronome
10.16) et « le Juif, c'est celui qui l'est intérieurement ; et la circoncision, c'est
celle du cœur, selon l'esprit et non selon la lettre » (Romains II:28.). La
circoncision est bien une mutilation rituelle…80

Dans les religions du monde, le plus souvent, le sacrifice est à la fois mise à
mort et nourriture partagée. Comme dans le monde antique, juifs et musulmans
ne mangent que des viandes kasher ou Hallal c’est-à-dire sacrifiées. Dans le
judaïsme, le statut de boucher (le choketh) relève du sacerdoce ; le prêtre est
d’abord un sacrificateur qui prend sur lui le risque du « sacrilège »
81
.

La table eucharistique est aussi un tombeau : la messe est célébrée sur le cercueil
des martyrs et les reliques des saints (« je crois à la communion des saints »).
77 Lévitique III-1 : « il devra présenter une bête sans défaut devant le Seigneur » Qu’on rapprochera de Jean
XIX-8 : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; car moi, je ne trouve point de crime en lui. ».
78 « L’Agneau immolé » (Apocalypse V), « De son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jean VII 38). Le sang
est l’équivalent de « nephesh » l’âme comme principe vital.
79

Cf. Jean Hani « La divine liturgie » Ed de la Maisnie 1981

80 Il y a d’ailleurs d’autres conseils de préférer la mutilation au scandale du péché dans les Evangiles (Matthieu
5. 29-30 ou Marc 9. 43-48 par exemple)
81 Le sang versé est à la fois ce qui souille (l’interdit, le tabou), et ce qui sauve (sur le linteau des portes en
Egypte)
45
Aussi la séparation actuelle de la table du repas de l’autel du sacrifice (relégué
au fond du chœur, sur les Bas-côtés ou détruit82) est un contre-sens symbolique.
La Cène du jeudi saint ne peut être séparée de la passion du vendredi saint et St.
Grégoire de Nysse remarque : « Lorsqu’il a donné à ses disciples son corps à
manger et son sang à boire. Il est bien évident que personne n’aurait pu manger
de cet agneau, si celui-ci n’avait été immolé auparavant. Celui qui a donné à ses
disciples son corps à manger indique ainsi clairement que l’agneau a déjà été
sacrifié, car on ne pourrait jamais manger le corps de la victime si elle était
encore vivante, de la sorte, lorsqu’il a offert à ses disciples de manger de sa
chair et de boire son sang, déjà, sans que cela apparaisse, par le pouvoir de
celui qui dispense le mystère, son corps avait subi le sacrifice, indiciblement,
invisiblement. »
La messe traditionnelle de Pie V rappelait de façon équilibrée la scandaleuse et
fondamentale unité de la Cène et la Passion. Dans la messe dite de Paul VI 83, on
voit bien que la « mémoire » du Sacrifice du Christ est réduite à la portion
congrue : l’autel est remplacé par la table et le sacrifice de la Croix par la
manducation à la Cène. Comme si les offrandes des fidèles à « l’offertoire »
pouvaient se substituer au « Saint-Sacrifice » de la Croix.
L’adoration de l’hostie consacrée est souvent tombée en désuétude au profit de
l’exaltation des fidèles84 et la « participation active » de l’assemblée à la
consécration « présidée » par le prêtre. Les offrandes des fidèles de l’Offertoire
(le pain et le vin fruits de la création « et du travail des hommes » sont-elles
équivalentes avec l’immolation du Dieu fait homme ? Les offrandes des fidèles
ne sont présentables que si elles sont unies à celle du Christ comme à
l’offertoire, la goutte d’eau est versée par le prêtre dans la coupe de vin et s’y
perd.
k. Une Eglise biodégradable dans le monde ?
82 Ce qui n’a jamais été demandé par le Concile Vatican II (encore un produit de l’esprit médiaticoecclésiastique du Concile).
83 Encore avons-nous été préservés d’une totale absence d’allusion au sacrifice de Jésus par la menace de
démission des Cardinaux Ottaviani et Bacci de 1969 dont la supplique du « Bref examen critique de la nouvelle
messe » n’est pas resté sans effets sur les « éditions typiques » ultérieures de la nouvelle messe.
84 A la manière du sociologue Pitirim Sorokin, il serait révélateur de faire des « statistiques qualitatives » et
comparer la baisse du nombre des cantiques à la Gloire de Dieu (« à toi la Gloire… ») avec la multiplication des
cantiques à la gloire du « peuple de dieu ». Il n’y pas à opposer les deux puisque l’homme est aussi la gloire de
Dieu, mais cette évolution est bien paradoxale au moment où le « peuple de Dieu » se fait rare.
46
L’Eglise naît de l’Agneau immolé, à l’époque du régime vegan, c’est un
discours insupportable. Sous la 3e
république, la morale des élites laïques
n’étaient pas encore très différente (sauf sur le divorce) de celle prêchée par
l’Eglise. A l’heure où le président de la république veut faire inscrire le droit à
l’avortement dans la constitution, à l’heure où l’on dénonce la Hongrie ou la
Pologne de refuser les « valeurs » de l’Union Européenne parce que ces pays
refusent de légaliser le mariage des invertis, affirmer le lien entre la relation
sexuelle et la procréation est une offense intolérable faite aux droits de
l’Homme.
Mais, plus encore que sur les mœurs, le simple exposé de l’Histoire Sainte, des
fondements de la liturgie, des moyens du Salut que la Tradition de l’Eglise nous
propose, ne peut que scandaliser la mentalité « moderne ». Oui, pour cette
mentalité, l’Eglise catholique, encore plus peut-être, que toute autre religion,
apparaîtra nécessairement comme « barbare », « radicalisée », « inhumaine »,
« fanatique », « pas démocratique », « pas féministe », « dogmatique »,
contradictoire avec la « Libre pensée », « l’émancipation » et les « droits de
l’Homme ».
Jadis, l’Eglise luttait pour ne pas subir ces critères de jugement ; avec un peu de
mollesse peut-être, car elle pouvait parfois reconnaître dans ces critères,
quelques-unes de ses tendances. Ainsi, en cherchant bien, le dogme de
l’universelle tolérance pouvait ressembler à la bienveillance, le ressentiment
égalitaire à l’attention pour les plus pauvres, la Liberté comme absolu au respect
des personnes, etc.
L’institution ecclésiale a donc rogné les aspérités, arrondi les angles, contourné
les causes de conflits, pour éviter les soupçons et les persécutions et cela jusqu’à
masquer les fondements qui pouvaient « dissoner » avec les « valeurs »
dominantes dans les régimes libéraux, communistes ou sociaux-démocrates. Par
la pratique de la dissimulation des fondements du catholicisme, facilitée par
« l’onction ecclésiastique » ou la « langue de buis », nombre d’affrontements ont
pu être évités avec le « monde des affaires », l’Etat « laïque », ou l’hégémonie
idéologique du marxisme. Mais pas sans risquer de céder sur les principes ;
après tout, depuis le triple reniement de Pierre, (celui-là même que le Christ
avait placé à la tête des apôtres) jusqu’au désarmement et à l’abandon des
Cristeros du Mexique (1926-1929) on devrait s’habituer aux lâchetés et aux
trahisons de la hiérarchie.
Mais à partir de la deuxième partie du XXe siècle, l’Eglise, fascinée par sa
propre hérésie, s’est largement inclinée devant les critères de la Modernité qui
dominent l’Occident. Fatiguée peut-être d’une épuisante demi-résistance aux
47
modèles hégémoniques, elle a voulu « s’ouvrir au monde », espérant que ce
complet ralliement à l’humanisme, faciliterait peut-être la conversion des
« hommes de bonne volonté ».
Or en ouvrant grand ses portes, personne ne s’est précipité pour rentrer dans une
Eglise tolérante et latitudinaire, c’est au contraire les fidèles qui en sont partis.
Partis les clercs, probablement convaincus par l’idée que l’Eglise doit se joindre
aux forces de Progrès pour émanciper le monde (ainsi à la fin du XXe siècle, la
moitié des dominicains de la province de France ont-ils défroqué). Partis les
fidèles, pour les mêmes raisons
85 ? Pour les plus « engagés » sans doute, mais
pour le plus grand nombre parce qu’ils avaient perdu des repères qu’ils n’ont
jamais retrouvés (l’obligation de la messe du dimanche par exemple).
Si l’Eglise d’aujourd’hui semble renier ce qu’elle proclamait hier, pourquoi la
suivrait-on aujourd’hui ? L’autorité est toujours « hiérarchique », c’est-à-dire
fondée sur le sacré (hieros) et l’ancienneté (arche). Le théologien pourra
considérer que « la révolution » au sein de l’Eglise a été une trahison de sa
mission (encore une fois Judas et même Pierre, disciples choisis par le Christ,
trahirent dès le début). Le sociologue que je suis constatera que l’Eglise a scié la
branche sur laquelle elle s’appuyait.

Aussi le projet, même pastoral, de concilier l’Eglise avec l’humanisme moderne,
me semble voué à l’échec. Elle rêvait de se retrouver « comme un poisson dans
l’eau », mais le poisson se révèle soluble. Il faut donc la protéger en attendant
que les dissolvants de la modernité se dissipent.
Car on peut compter sur l’inévitable désagrégation de la modernité. Ce qui a été
à la mode se démode. L’échec des Lumières qui a produit les totalitarismes les
plus abominables, est patent ; comme les absurdités nihilistes suicidaires
auxquelles aboutissent l’absolutisation de la liberté, c’est-à-dire l’émancipation
de toute « hétéronomie »
86
.
85 Ainsi, il y a une vingtaine d’années, quand je suis arrivé dans ma paroisse rurale, un journal rural catholique
était distribué dans les boîtes aux lettres. Je m’étais rapproché du groupe de rédaction et je leur faisais
observer que la tonalité d’auto-flagellation ne donnerait certainement pas envie aux habitants d’aller ou de
retourner à la messe. Ils me firent comprendre que ce n’était pas là leur objectif : ce qu’ils voulaient, c’était de
montrer à leurs copains communistes et syndicalistes, que les chrétiens avaient bien changé et qu’ils savaient
eux-aussi faire leur auto-critique. D’ailleurs, la majorité des rédacteurs n’allaient pas régulièrement à la messe
dominicale et j’ai eu le sentiment que ce n’est pas sur ce critère qu’ils fondaient leur identité chrétienne.
Depuis, faute de combattants, le bulletin a heureusement cessé de paraître.
86 Cf. : Cornélius Castoriadis. L’hétéronomie reconnaît que les hommes sont soumis à des lois qu’ils n’ont pas
choisies : lois divines, lois naturelles physiques, biologiques (on ne choisit pas son sexe), etc., lois sociales (le
Bien Commun s’impose aux intérêts individuels), langage, coutumes historiques et culturelles… L’individualisme
48

S’il faut absolument « dialoguer » avec le monde, il vaudrait mieux
« dialoguer » avec ce que l’expérience de la modernité a produit de meilleur : les
« antimodernes »
87 qui ont su réagir et dénoncer son caractère corrosif.
Les savants sont de moins en moins rationalistes et scientistes, la montée des
« communautarismes » démontre qu’on ne peut réduire l’homme à n’être qu’un
individu et bientôt, il n’y aura plus que les publicités pour articles ménagers qui
vanteront le « Progrès ».
Se référer aux « valeurs » finissantes de la Modernité condamne l’Eglise à une
double peine : se trahir et être perçue comme ringarde. Elle doit au contraire se
situer en relation avec ce qui émerge de la postmodernité, non pour tout
« avaler », mais pour y exercer son discernement. Voilà comment l’Eglise
pourrait jouer un rôle salutaire pour le monde.
+
oppose à l’hétéronomie, « l’autonomie » qui encourage l’esprit de révolte contre les « aliénations ». Mais
quand l’individu ne fait que ce qu’il veut, il ne sait que vouloir… A moins de vouloir ce qui providentiellement le
détermine, c’est-à-dire consentir à la volonté divine.
87 Cf. Antoine Compagnon les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes (Gallimard 2016)
49

DEUXIEME PARTIE : LES ORIENTATIONS POSSIBLES

1. C’EST LA LITURGIE QU’IL FAUT METTRE

AU CENTRE DE LA VIE CHRETIENNE

Le véritable pôle autour duquel se rassemblent les fidèles se sont les sacrements
et particulièrement la messe dominicale. Ce qui est normal puisque dans les
sacrements, les hommes ne sont que les « ministres » de l’action du Christ dans
l’Histoire. C’est l’essentiel et c’est effectivement le lien qui relie les chrétiens,
tout le reste est périphérique. Sans les sacrements à quoi se réduirait l‘Eglise ?
Une ONG doublée d’une chorale.
La liturgie est ce qui maintient la Foi des fidèles et le lien entre les membres de
l’Eglise et le Christ, mais il ne faut pas l’opposer à l’apostolat car c’est aussi à
l’occasion d’un mariage, d’un baptême ou de funérailles que beaucoup de
personnes trouvent ou retrouvent la Foi.

Il faut surtout que la liturgie manifeste et célèbre l’action du Sauveur : « En Lui,
par Lui et avec Lui ».
Si l’on s’adresse aux hommes, on peut s’adapter au niveau de l’auditoire ; si l’on
s’adresse à Dieu, une certaine médiocrité est insupportable. « L’à peu près »
dans la célébration de la messe ou des sacrements est le signe le plus aisément
perceptible de la perte de conscience de la Présence du Dieu transcendant.

Comment célébrer ? Les critères plus ou moins implicites actuellement proposés
sont, la spontanéité, facilement accessible à tous, la simplicité, le prosaïsme,
voire la pauvreté.
a. Sur la pauvreté, la simplicité et le prosaïsme
Sur ce dernier qualificatif, il faut encore rappeler l’épisode où, à Béthanie, une
femme verse sur les pieds du Christ un parfum de grand prix. Judas se
scandalise au nom des pauvres que l’on aurait pu secourir avec le prix de ce
parfum. Jésus lui répond : « vous aurez toujours des pauvres avec vous ; mais
moi, vous ne m'aurez pas toujours ». Il faut donc « tant qu’il fait jour » offrir
50
au Christ ce qui est le plus précieux, sachant que cela n’en prive pas les frères,
surtout les plus pauvres (« et la maison fut remplie de l'odeur du parfum »).
Bâtir une cathédrale exige du talent, des efforts et de la constance mais une fois
construite, c’est toute la communauté qui en bénéficie.
Lorsqu’un Evêque renonce à faire embrasser son anneau ou le Pape à porter la
Tiare, ce n’est pas une manifestation d’humilité (ce n’est évidemment pas le
pauvre homme que l’on vénère), mais c’est une façon de priver les fidèles de
leur bien commun symbolique. Dans les grandes circonstances saint Louis
portait des souliers précieux de roi, mais, sans que cela se voit il en avait fait
retirer les semelles.

Autant que possible, dans le rite, les facilités pratiques du rite ne doivent pas se
faire aux dépens de la justesse symbolique.
Je peux aimer la simplicité austère de l’architecture cistercienne (elle était
surtout adaptée aux moines plus qu’aux laïcs) ; mais, la simplicité évoquée à
présent, est le plus souvent une façon de remplacer le calice d’or par un bol en
faïence : certes la transsubstantiation n’en sera pas affectée, mais toute la
dimension symbolique du Saint Graal risque d’être effacée des consciences.
Il est évident que, même si la communion par l’hostie consacrée est valide, elle
est symboliquement moins expressive qu’une communion sous les deux
espèces ou que pour les mêmes raisons, le baptême par immersion (avec un
début de suffocation) révèle mieux les analogies (le déluge, la traversée de la
Mer Rouge, Jonas et le baleine) que de verser de l’eau sur le front. Le relatif
anonymat du confessionnal exprimait plus justement que c’est à Dieu que l’on
se confesse et non à Monsieur le Curé. Quand les prêtres ont bazardé les
confessionnaux, les fidèles ont cessé de se confesser. On espérait des relations
plus naturelles et ce sont ces relations qui ont cessé.
b. Banalité de la langue de buis
Les linguistes savent que les hommes, mêmes ceux qui croient n‘en parler
qu’une, pratiquent plusieurs langues : la langage familier (et encore plus le
langage bébé) est différent de la langue administrative ; on ne parle pas à un
vieux copain comme à la dame que l’on courtise… L’économie des relations
51
entre l’Au-delà et l’Ici-bas, entre le profane et le sacré suscite une langue
différente dont les termes susciteront des « connotations » spécifiques88
.
Si on supprime la langue liturgique (latin, Grec ancien, vieux slavon ou
hébreu), celle-ci est vite remplacée par une « langue de buis » à l’étrange
syntaxe : quand on chemine dans la foi pour faire Eglise ensemble, le sens estil plus clair ? Le processus de distinction de la langue en fonction des
domaines est le même, mais la bouillie n’a pas le même goût. Finalement, la
langue de buis contemporaine est aussi différente du vernaculaire que le latin
d’Eglise. Changer la « messe » en « eucharistie » a-t’ il amélioré la
compréhension des fidèles ?

On pourrait évoquer aussi l’intimité imposée avec Dieu. On sait que la langue
française est pleine de nuances : on peut tutoyer (avec des connotations
d’intimité ou de mépris), vouvoyer, voire parler à la troisième personne. Certes
des rapports de familiarité sont légitimes ; les musulmans parlent de Dieu
« plus près de moi que ma veine jugulaire ». A condition que l’immanence ne
fasse pas oublier la majesté de la transcendance. Sinon le risque est grand de
réduire le Verbe Pantocrator à nos projections toujours plus ou moins
névrotiques. En supprimant les médiations des saints et des anges, les
protestants ont accentué ce risque de subjectivisme. Ce que je critique, ce n’est
pas la possibilité de familiarité (« Abba »), c’est son caractère obligatoire qui
aboutit à de curieuses pratiques puisqu’on tutoie le Père dans le « Notre Père »
et qu’on vouvoie la Vierge dans le « Je vous salue Marie »… Il faut laisser aux
relations de l’Homme à Dieu toutes les virtualités possibles, de la crainte
révérencieuse à l’élan quasi-charnel.

De même qu’en campagne électorale, le candidat tente de parler en langage
«djeune », en langage des cités ou en verlan pour s’adresser à ses électeurs les
moins âgés, de même l’Eglise, pour tenter de faire oublier sa différence avec le
monde, veut user du code le plus banal, or, le plus banal est souvent le plus
trivial. Parfois une pointe de vulgarité peut pimenter le discours et réveiller
l’attention de l’auditoire, et me semble-t-il, les prêcheurs ne s’en sont pas
toujours privés. Mais la grossièreté convient mal à la liturgie.
88 Bourrin, dada, cheval, destrier, canasson, palefroi : ce n’est que par abstraction qu’on admettra que ces mots
veulent dire la même chose. En réalité les associations d’idées, de symboles et d’émotions, les « connotations »
seront très différentes.
52
C’est ainsi que les curés sont devenus des « modérateurs » (comme dans les
sites internet), que dans les structures regroupant plusieurs clochers, les
paroisses sont devenues des « relais » (à connotations si touristiques), quant
aux prêtres, ils ne « célèbrent » plus la messe, mais il la « président », comme
un sénateur radical-socialiste préside un comice agricole. C’est pourquoi,
comme au théâtre on applaudit à la fin de la messe et on discute le bout de gras
comme si la Présence réelle n’était plus là après la cérémonie.

c. Une religion facile à comprendre ?
Les « mystères » de la Révélation devraient être mis à la portée de tous (alors
qu’ils ne sont à la portée de personne) ; on a édité des Bibles simplifiées, c’està-dire traduites dans une langue la plus triviale possible. Pour quel résultat ?
Pareil sur les messes « Jacques Martin » où il y a des petits enfants : la liturgie
est parasitée par de trop abondants commentaires du prêtre qui s’efforce de
parler dans un « langage bébé » reconstitué sous le regard attendri des parents.
Alors qu’en réalité, un enfant est aussi capable qu’un adulte de goûter le
hiératisme d’une cérémonie. Un enfant grandit parce qu’il peut regarder quelque
chose ou quelqu’un plus grand que lui.
La trahison ne joue pas seulement sur les connotations : c’est encore pour « se
mettre à la portée » des fidèles, peut-être pour imposer l’abandon du latin
liturgique, on rompt avec le concept certes technique de « consubstantiel » pour
adopter dans le Credo de la messe française : « engendré non pas créé, de même
nature que le Père ». Par le faux sens de cette traduction, on rompait avec le
Concile de Nicée (un chien est aussi « de même nature » qu’un autre chien).
Cette formule aurait parfaitement pu être signée par un hérétique semi-arien et
saint Hilaire qui a été persécuté et exilé pour défendre sur ce point l’orthodoxie a
dû se retourner dans sa tombe. Les théologiens et Evêques de France n’ont pas
sourcillé devant la formule qui a pourtant suscité la protestation de laïcs comme
Etienne Gilson et ce n’est que 60 ans après qu’on en revient à la formulation
orthodoxe. Et c’est sans excuse et sans honte que l’on nous propose en 2021 de
revenir à « consubstantiel ».

Chaque année, la liturgie de la messe nous fait lire dans l‘Evangile de Matthieu
la citation d’Isaïe (7.14) qui prophétise « C’est pourquoi le Seigneur lui-même
vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils,
53
qu’elle appellera Emmanuel » (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). Le signe
miraculeux est clair le Verbe prend chair par la Vierge Marie… Jusqu’au jour où
la liturgie a traduit « la jeune fille… enfantera ». Enfin plus récemment on a fini
par traduire « La jeune femme… enfantera » ce qui est une véritable trahison car
la banalité de cette troisième formule est un signe insignifiant.
Je suppose que, pour un traducteur « neutre » les trois formules sont
probablement possibles. Mais les biblistes et les liturgistes de l’Eglises ne sont
pas neutres. La première, qui s’appuie sur la version de la « septante » est celle
de saint Matthieu (1.23) et de toute la Tradition de l’Eglise. Pourquoi cette
trahison ? Est-ce pour faire plaisir aux rabbins qui contestent que les mots
d’Isaïe « Ha Alma » puissent se référer à la Vierge Marie.
Pour que les fidèles prennent au sérieux le culte, il faudrait d’abord que ceux qui
ont mis la main sur les formes de la liturgie la prennent au sérieux, non pas
seulement selon les critères « savants » de la philologie, mais surtout pour
s’inscrire dans la Tradition des Pères de l’Eglise qui nous ont transmis la Foi.

Les musulmans se simplifient rudement la vie en obligeant les convertis à
connaître l’arabe, la « langue sacrée » de la révélation. Depuis la Pentecôte, les
chrétiens ont choisi de parler à chaque peuple leur langue « vernaculaire ». Ce
sont donc des « traducteurs » entre les langues, les cultures et les mentalités.
Cela comporte de vrais risques de syncrétisme abusif et de faux-sens :
« traduttore, traditore » disent les Italiens.
Le « Dieu de l’Univers » traduit très imparfaitement le « Deus Sabaoth », le
Dieu des armées célestes, au moment du Sanctus où la liturgie de ce monde
s’unit à la liturgie céleste des anges.

C’est à la fois par piété envers ceux qui leur ont transmis la Foi et pour éviter
que sa formulation ne subisse trop de variations historiques et culturelles que
presque toutes les traditions religieuses ont une langue liturgique fixée qui unit
la communauté des croyants dans l’espace et dans le temps.
A l’époque du Christ, on parlait l’araméen, mais on lisait et on disait les rites en
hébreu, comme lorsque des Juifs parlaient yiddish ou ladino, c’est ce qui a
permis de reconstituer l’unité de l’Etat d’Israël89
. Les orthodoxes russes ou
89 Le Vatican s’est fortement impliqué dans le soutien des « machins » comme l’Union Européenne ; mais en
renonçant au noyau central de la liturgie latine, il doit abandonner l’idée de la rechristianisation de l’Europe :
tant que le latin liturgique subsistait, la Chrétienté aussi.
54
bulgares célèbrent en vieux slavon ; à Rome, on continuait à user des liturgies
grecques antérieures (Kyrie eleison) qui elles-mêmes conservaient des
expressions de la liturgie des Hébreux (Amen, Alléluia).
On aurait pu expérimenter des messes « vernaculaires » dans quelque quartier
déshérité où parler latin est inconcevable ; mais l’imposer à des moines qui
passent leur vie à pratiquer les rites montre bien le fanatisme réformateur de
cette époque. D’ailleurs, dans une grande partie des paroisses la piété a
spontanément imposé un retour aux formulations anciennes pour le Kyrie, le
Sanctus ou l’Agnus Dei.

C’est entendu, les fidèles ne comprennent pas grand-chose aux subtilités de la
Tradition théologique, et ce, d’autant moins que deux générations n’ont pas reçu
d’enseignement catéchétique digne de ce nom.
Mais n’est-ce pas le lot commun de tous les croyants que de reconnaître le
« mystère » qui les dépasse ? Les plus grands mystiques se sont inclinés devant
Le Nuage d’Inconnaissance, La Docte Ignorance (Nicolas de Cues), la
« Ténèbre divine », le « Deus absonditus » (Isaïe 45.15), le « Tout Autre »
transcendant qui les force à passer à une théologie apophatique, c’est-à-dire à la
voie négative (Dieu n’est pas mortel, Dieu n’est pas limité, Dieu n’est pas bon
car le Créateur est absolument différent de la créature).
Certes la Création est aussi une Révélation ; on peut faire comprendre ce qui
peut l’être par les analogies symboliques entre le Créateur et les phénomènes
dans sa création qui sont autant de messages codés qu’il nous a envoyés, mais il
y a une multitude de niveaux de compréhension ; le risque est encore plus grand
de laisser croire au fidèle qu’il a tout compris, à partir de quelques formules
simplettes ou pire de ses propres projections subjectives. De l’intuition (ou
connaissance directe) dont était doté notre Père Adam avant la Chute, il ne reste
pas grand-chose.

Ce que les fidèles attendent de l’Eglise, ce n’est pas de se « distraire », de ne pas
s’ennuyer, mais que ce qu’elle enseigne soit pour eux, une boussole infaillible.
La démagogie des clercs qui abandonnent l’ambition de faire accéder les fidèles
au niveau de la Révélation (forcément partiellement comprise) sera perçue par
eux comme un signe de mépris.
d. La pseudo-authenticité
55
Il est vrai que l’on peut distinguer la lettre et l’esprit, l’exécution du rite et sa
juste intelligence ; bref, l’habit ne fait pas le moine. Mais on en a abusivement
conclu qu’il suffisait de bouleverser la lettre ou le rite pour ne garder que
l’esprit ; pourtant on sait bien comment tant de moines se sont perdus en quittant
la bure.
En cachant son vice, l’hypocrite pouvait quand même être amené à reconnaître
ses torts- en conscience- et à se retirer quand était venu le moment de lapider la
femme adultère. Au contraire, en ce tournant post-moderne, chacun va
s’ingénier à se « justifier », à ne plus reconnaître son état ontologique de
pécheur et donc à ne plus avoir besoin du Salut. Par le biais de la propagande
LGBT etc, chaque perversion a construit comme la Gay Pride, sa « fierté ». La
morale n’a pas été abolie mais elle s’est réduite d’abord à la satisfaction
subjective pour finalement se reconstituer sur d’autres fondements. Les
magazines féminins présentent comme un devoir de divorcer en cas de
mésentente ou d’avorter si l’enfant risque d’être handicapé. Or, pour éviter les
dissonances entre sa morale et la morale du monde, l’Eglise, (comme l’Eglise
catholique d’Allemagne), va développer un discours de tolérance, « d’accueil »
indifférencié de ceux que naguère elle « discriminait ».

L’authenticité a été un des grands mythes des années 70.
Il a donc fallu, plus ou moins, abandonner dans l’administration des sacrements,
« les formules toutes faites » pour que les fidèles puissent exprimer « en toute
sincérité » leurs sentiments authentiques… Or, on sait bien que la plupart des
gens (surtout à une époque d’ignorance catéchétiques) qui veulent se marier,
faire des funérailles ou baptiser un enfant ne sont pas capables de dire dans le
cadre rituel ce qu’ils veulent et encore moins leurs motivations par nature
toujours complexes ; les pasteurs sont donc amenés à demander aux familles de
« choisir » entre trois ou quatre formules qui leurs sont proposées dans des
publications comme « Fêtes et saisons ». Résultat : les formules choisies sont
bien « approximatives » pour donner l’impression d’un langage « naturel », mais
elles ne sont pas non plus « authentiques », ce qu’on perçoit bien quand les
malheureux parents sont obligés d’ânonner des phrases qu’ils intériorisent
encore moins que les anciennes formules rituelles.
e. La beauté hiératique
56
La liturgie doit être « belle »
90 : cette beauté a bien souvent été dans l’Histoire le
canal de la Grâce et l’occasion de nombreuses conversions de Vladimir Ier de la
Rous de Kiev qui, séduit par la liturgie de St. Jean Chrysostome, fit entrer les
Slaves dans l’Eglise jusqu’à Huysmans ou Paul Claudel qui fut soudainement
converti en entendant l’Adeste fideles à Notre-Dame de Paris : « En un instant
mon cœur fut touché et je crus… ». Même un mécréant comme Mallarmé était
fasciné par le grand livre des messes dont il chercha à retrouver le splendide
ordonnancement pour célébrer des cérémonies laïques (Cf. Jacques Scherer - Le
« Livre » de Mallarmé - Ed. Gallimard).
Mais la beauté est dans notre société un critère bien dévalorisé ; il est considéré
comme bien subjectif et en matière d’art on lui préfère « l’originalité », voire le
caractère « dérangeant ». Pourtant, il est patent que les formes symboliques ne
sont pas arbitrairement attachées à n’importe quel signifié : Le tango produit une
excitation sexuelle comme le chant grégorien apaise l’âme. Il y a une
« efficacité » des formes et des inadéquations : « je cherche le visage, le visage
du Seigneur » chanté sur une mélodie de paso doble suscite une dissonance
manifeste.
En particulier le hiératisme, c’est-à-dire l’esthétique du sacré, s’impose
presqu’objectivement dans une aire beaucoup plus large que la culture
d’origine : je suis capable de reconnaître (partiellement bien entendu) le
caractère sacré de la musique soufie d’une confrérie turque, d’une cérémonie du
thé au Japon, ou d’une icône bulgare… Dans le monde, l’art sacré vise à susciter
la transe (cf. les pratiques chamaniques, les bacchanales, la prostitution sacrée
ou le dhikr dans le soufisme) ou au contraire l’apatheia (au sens grec,
l’apaisement des émotions). L’Eglise dans son histoire a choisi l’apatheia
apollinienne et a presque partout repoussé la transe dionysiaque91
.
Jadis spécialistes de critères du hiératisme, les « curés » sont devenus très
incultes dans ce domaine et ils préfèrent sous-traiter la réalisation des œuvres
d’art sacré à des artistes (architectes, sculpteurs, peintres, verriers et musiciens)
à la mode : ou, s’ils n’ont pas les moyens financiers d’entrer dans le marché de
l’art, ils se rabattront sur des deuxièmes couteaux alignés sur le marché des
modes artistiques ; ou encore useront-ils de l’art « populaire » industriel (non
par le peuple, - cet art est marginalisé comme « folklore »-, mais pour le peuple
et sa consommation). Cela a commencé dès le XIXe siècle avec les sculptures
industrielles en plâtre, les valses triomphales des cantiques de l’époque ou les
90 Cf. : L’abondante littérature mystique sur la philocalie.
91 A l’exception des périodes de Carnaval ou des pratiques de guérison issues du Pentecôtisme. Il y a dans le
dionysiaque une dimension anthropologique que, peut-être, l’Eglise doit prendre en compte et canaliser.
57
mièvres images rosâtres de « première communion ». Si l’on compare avec l’art
roman ou gothique, la décadence de l’art chrétien occidental est évidente.
D’ailleurs, lorsqu’on cherche à « égayer » la liturgie par quelques accords de
guitare et un tambour de Djembé dont on ne voudrait même pas dans une M.J.C.
est-ce encore de l‘art chrétien ? Au nom de la « participation » des fidèles, le
culte est transformé en spectacle et en mauvais spectacle.

En matière de liturgie et d’art sacré, les responsables dans l’Eglise se sont
emparés sauvagement de ce bien commun comme si c’était leur bien propre, et
ils ont adopté une conception résolument nominaliste : les formes symboliques
ne sont que des choses, des conventions arbitraires ; qu’importe leur pertinence
archétypale ou la situation spirituelle de ceux qui les réalisent (pourtant, on sait
que pour peindre son icône, l’iconographe doit être en état de grâce).
Dès lors, faut-il s’étonner que Georges Brassens chante : « sans le latin, la
messe nous emmerde » ?
f. Pourquoi les fidèles sont-ils, à proprement parler, désorientés ?
La liturgie s’organise autour d’une « grammaire » symbolique cohérente,
d’ailleurs largement partagée par l’ensemble des religions.
Par exemple, la Tradition voulait que tous soient orientés dans la même
direction : fidèles et prêtres étaient ainsi tournés vers le Saint Sacrement.
Comme les musulmans se tournent vers La Mecque pour prier, les églises, en
principe, étaient bâties, le chœur en direction de l’Orient (d’où le Christ doit
revenir à la fin des temps). Comme le coq au sommet de clocher annonce le
retour du soleil, l’église (et l’Eglise) attend et proclame le retour glorieux du
Ressuscité (c’est bien trop rare dans la pastorale actuelle).
On s’est mis à construire des églises circulaires comme des cirques ; l’autel n’est
plus édifié sur le tombeau des martyrs (y-a-t-il une relique dans la pierre
d’autel ? Je ne sais, mais en tout cas on n’en parle plus), l’autel est réduit à une
simple table au milieu (ou au plus près) des fidèles. En dehors de la communion,
le Saint Sacrement est relégué à quelque chapelle latérale si bien que les fidèles
ne savent plus de quel côté s’agenouiller ; d’ailleurs les fidèles ne s’agenouillent
plus, puisque l’on a retiré les agenouilloirs dans la plupart des églises.
Et, pour célébrer le Verbe Incarné, le célébrant, face aux fidèles prend la place
de la Shekinah au Saint des Saints du Temple de Jérusalem où le Grand Prêtre
était seul à pouvoir entrer (et encore attaché à une corde pour pouvoir le retirer
58
en cas de malaise). Au lieu d’être tout centré sur la Présence Réelle de Dieu, le
prêtre modèle se fait animateur, guide chants, « chauffeur de salle » dans le style
des télévangélistes américains.

Dans chaque paroisse, le clocher de l’église signifiait le désir des hommes de
s’élever vers le Ciel. Aujourd’hui, dominée par les banques, les administrations
et les buildings d’affaires, l’église nouvelle est construite au ras-de-terre, parfois
dans une arrière-cour ou encore en sous-sol (ce qui est un moindre mal dans la
mesure où elle adopte alors le symbolisme de la crypte).

En ramenant l’Arche de la Présence Réelle au même niveau que celui des
fidèles, l’Eglise leur a caché l’échelle de Jacob des médiations liturgiques (et
angéliques ?). L’iconostase des Eglises orthodoxes, le jubé, ou encore les
marches et la barrière qui séparent le chœur de la nef signifiaient clairement la
différence entre deux mondes, le Ciel et la Terre. Pour évoquer l’Espérance d’un
passage entre les deux plans, il faut d’abord les distinguer. Il faut que les portes
soient fermées pour pouvoir les ouvrir.
En prétendant un accès direct à Dieu, les protestants ont fait la chasse aux
médiations (Vierge Marie, culte des saints, reliques, hiérarchies angéliques…).
Il semble bien que la pastorale catholique contemporaine leur emboîte le pas et
que le « court-circuit » fasse sauter les plombs.

Je ne sais pas si la forme du passé était la seule forme possible, mais je sais que
celles qui se sont imposées à partir de la fin du XXe siècle ne sont pas très
cohérentes.
La cohérence, ce serait que dans l’art des formes, les trois plans s’harmonisent :
l’Immanence cosmologique (Dieu présent dans sa Création, les éléments, les
saisons…), avec la Transcendance (Dieu « tout-autre » inaccessible…) et la
Révélation (Dieu qui se manifeste par les prophètes et l’Incarnation en Jésus
Christ). La liturgie de la nuit pascale, lorsqu’on veut bien la déployer, est un
modèle de cohérence symbolique.
La seule affirmation de la présence de Dieu dans les hommes, pour juste qu’elle
soit, est trop limitée, particulièrement au moment où l’humanisme classique part
en vrille dans la postmodernité.
59
g. La ruine de l’Eglise, c’est d’abord la théologie de la
démythologisation
Je suppose que bien d’autres que moi ont perçu l’affaiblissement symbolique de
la religion catholique92 ; mais au lieu de regretter que le sel ne sale plus, des
théologiens ont voulu justifier ce processus.
Le hiératisme se manifeste par des formes symboliques sacrées qui figurent la
pensée mythique. Le christianisme se manifeste par des mythes (non pas des
histoires fausses mais des récits, des formes et des rites symboliquement vrais).
Or ces mythes sont analogues à ceux des autres religions (les schémas
mort/renaissance, une Vierge mettant au monde un Sauveur, placer la naissance
du Christ au solstice d’Hiver où l’on fêtait « Sol Invictus », le déluge et l’eau
régénératrice, etc.).
Les Pères de l’Eglise y voyaient les restes d’une Révélation Primordiale
renouvelée par les révélations noachique, abrahamique et mosaïque et plus
généralement par la prophétie. « Il n’est pas douteux que les païens aient eu
aussi leurs prophètes » affirmait Saint Augustin. On pourrait aussi parler, avec
les platoniciens ou avec les jungiens, des archétypes qui structurent le psychisme
des hommes : la nature humaine tendant à s’élever vers le surnaturel.
Jusqu’au Concile de Trente (1545-1563) l’Eglise mettait au même niveau les
Sybilles romaines et les Prophètes hébreux et encore au début du XIXe siècle,
dans la ligne de Joseph de Maistre, des théologiens traditionalistes s’appuyaient
sur l’universalité de certaines croyances pour montrer la véracité du
christianisme.

Or, cet argument apologétique s’est complétement retourné d’abord avec le
ralliement au rationalisme cartésien qui concevait le corps comme une machine
et le monde comme un ensemble de choses insignifiantes et donc sans caractère
symbolique. La Création était le Temple que Dieu habitait avec les hommes, elle
est devenue « un stock de choses à arraisonner » (Martin Heidegger).
Sous l’influence de ce rationalisme et de la croyance au Progrès linéaire,
nécessaire et bienfaisant, infestées par la conception hégélienne de l’Histoire,
des théologies de la démythification se constituèrent ; théologies syncrétiques
entre la Révélation et l’idéologie de la modernité. Sous les coups de boutoir
critiques de Darwin, Marx ou Freud et autres, que Paul Ricoeur qualifiait de
« maîtres du soupçon », ces théologiens finissent par admettre avec
92 Il me semble déjà amorcé dans le « juridisme » qui prévaut sur le « symbolique » après le Concile de Trente.
60
l’anthropologie du XIXe siècle, que la pensée mythique est un stade archaïque
dans l’Histoire de l’Humanité. Progressivement l’Homme « adulte et
responsable » est destiné à abandonner magies, superstitions, et religions dans
les « poubelles de l’Histoire ».
Ils prétendent sauver le Kérygme, le noyau de la Révélation chrétienne (qu’ils
auraient dégagé par abstraction et quelques traits assimilés à des schémas de
l’idéologie à la mode) de la gangue superstitieuse que les contingences
historiques et culturelles ont accumulées autour du « message central ».
Je ne vois que cette explication pour comprendre pourquoi lors de leur
préparation à la confirmation de deux de mes enfants, on saucissonnât dans
l’église et pourquoi le jésuite plaça ostensiblement ses pieds sur la table qui
servait d’autel.

Certains vantent le christianisme comme « la religion de la sortie de la
religion » (Marcel Gauchet Le désenchantement du monde). Pour ma part,
j’admets que la modernité ait été rendue possible par la chrétienté, mais c’est
une hérésie chrétienne qui a pris la suite du protestantisme. L’Eglise au cours
des siècles a modelé sa Tradition par une lutte constante avec les hérésies qui
germaient en son sein. Au contraire, en cette fin de modernité elle semble se
rallier au pasteur Bonhoefer qui vise « un christianisme sans religiosité ».
Depuis quelques dizaines d’années, elle semble avoir renoncé à préciser la
doxa ; et en se ralliant aussi massivement aux poncifs de la modernité elle se
trahit doublement, d’abord envers sa Tradition et ensuite envers l’évolution du
monde : il n’y a pas aujourd’hui d’anthropologue sérieux qui soutiendra que le
religieux soit un stade dans le développement de l’Humanité ; c’est là une
position ethnocentrique (l’Europe occidentale est l’avenir de l’humanité) et à
présent un peu ringarde. Bien au contraire, le religieux apparaît comme une
dimension fondatrice des cultures humaines.
Pour que les fidèles se tournent vers elle, il faut que l’Eglise retrouve les
fondamentaux anthropologiques du religieux. Un bon chrétien est d’abord un
bon païen. Sinon, ce n’est pas en ces termes religieux que le Messie se serait
révélé.
61



2. QUEL APOSTOLAT ?
a. Fin de l’Eglise missionnaire ?
Dans le christianisme, il y a une évidente relation entre « aimer Dieu » et
« aimer son prochain » ; mais les deux commandements restent distincts et
hiérarchisés. J’ai parfois le sentiment que l’on voudrait substituer l’un à l’autre.
Ce qui serait bien confortable pour faire fondre toute distinction entre les
chrétiens et les « hommes de bonne volonté ».
« L’ouverture au monde » qui sous-entend après Polnareff que « nous irons tous
au paradis » est-elle faite pour abolir toute différence entre les baptisés et les
non-baptisés ? Je ne le conçois que dans la mentalité moderne qui prétend que
« l’Egalité » serait une valeur chrétienne. Pourtant toute l’Histoire Sainte
manifeste l’élection divine qui différentie les hommes. Parfois il « renverse les
puissants de leur trône », il choisit le plus jeune comme David ou le cadet
comme Abel, mais toujours il discrimine : rien de plus inégalitaire que la
parabole des talents.
Plus personne n’ose affirmer : « hors de l’Eglise point de salut ». Pourtant le
seul Fils du Père est le Verbe fait homme ; Lui seul est le Salut, et ce n’est que
par la participation à son corps mystique, l’Eglise, que, chacun à sa place (cf. la
métaphore des organes différentiés du corps chez St. Paul), nous pouvons être
sauvés. Je sais avec St. Augustin que les frontières de l’Eglise ne coïncident pas
exactement avec celles de l’institution ; mais ne pas admettre que le baptême
opère une distinction ontologique entre baptisés et non-baptisés aboutit à ruiner
toute tentative d’apostolat. Or j’entends pas mal de curés qui prêchent cette
indistinction.
L’idée des limbes où iraient les justes et les nouveaux nés non baptisés, n’est
jamais devenue un dogme de l’Eglise, mais cette position théologique,
largement partagée, selon laquelle, seul le baptême pouvait ouvrir à la vision
béatifique de Dieu, attestait que cette destinée n’est pas un droit, ni même un
mérite. Voilà que sous le pontificat de Benoit XVI, le Vatican fait savoir que
« les enfants morts sans baptême sont eux aussi destinés au paradis ».
Je ne sais si, à une époque où l’Eglise est si avare de déclarations
eschatologiques, l’abandon du concept de limbes est devenu un
nouveau dogme, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une telle
62
proclamation contribue à dévaluer l’importance du sacrement et
justifie les parents qui reportent le baptême de leur enfant, ou même y
renoncent.

Dans la vieille Chrétienté, lorsque la Foi se relâchait, le Bon Dieu suscitait une
nouvelle génération de missionnaires venus, selon les époques, du Proche
Orient, d‘Afrique du Nord, d’Irlande, de Pologne et beaucoup de France. Après
la Révolution, face à la déchristianisation, les chrétiens surent se remobiliser
malgré les persécutions conduites par l’Etat. Le curé nouveau venu dans la
paroisse allait se présenter dans chaque foyer. La « France pays de mission » a
changé de sens : le pays d’où partaient les missionnaires est devenu le pays où il
faudrait mener la mission.
Aujourd’hui les jésuites ne sont plus missionnaires mais consultants dans des
ONG propageant l’humanisme internationaliste93
.
Il faudrait d’abord cesser de parler de l’apostolat en termes péjoratifs de
« prosélytisme », par peur de froisser « nos frères séparés », « nos frères aînés
dans la Foi » et « les hommes de bonne volonté ». Je crois que l’œcuménisme ou
le dialogue des religions peuvent être des relations fructueuses pour connaître
comment la nature de l’Homme est tournée vers le surnaturel et comment les
cultures du monde ont déjà reçu le Verbe de Dieu avec le langage, et une sorte
de révélation antérieure à la Révélation. On doit s’émerveiller devant chaque
homme qui est « capax Dei ».
Mais le vrai dialogue des religions ne saurait se réduire à des conciliabules entre
prêtre, imams et rabbins pour promouvoir la tolérance et autres valeurs du
monde individualiste occidental : les premiers chrétiens ne s’insurgeaient pas
contre l’esclavage (Cf. St. Paul) ou, je le suppose, l’excision en Afrique du
Nord. Les vraies circonstances d’échanges fructueux entre les religions ont
toujours coïncidé avec des affrontements : c’est en combattant par le sabre les
« roumis » que les musulmans (du moins les Chiites) ont été amenés à intégrer
la vieille métaphysique gréco-latine ; c’est dans les croisades dont personne ne
niera la rudesse, que les latins découvrirent la culture arabe et redécouvrirent les
Eglises d’Orient ; c’est dans les polémiques de la « disputatio » théologique qu’à
93 Les ONG mondialistes deviennent un modèle pour les organisations caritatives catholiques : comme le
journal « La Croix » a tenté de changer son nom en « L’Evénement », le CCFD (Sigle encore utilisé pour
ramasser les dons des fidèles) préfère être nommé « Terre Solidaire ». La Solidarité c’est quand même plus
humaniste que la bondieuserie de Charité !
63
la Renaissance, l’Eglise et la Synagogue eurent le maximum d’échanges, jusqu’à
créer une école de cabbale chrétienne.
Aujourd’hui, quand un juif ou un musulman manifeste sa conversion, le curé le
renvoie le plus souvent au prêtre chargé du « dialogue » avec les juifs ou les
musulmans qui lui fait comprendre que sa démarche est contre-productive (visà-vis de ses efforts de « rapprochement ») et inutile puisque le Salut n’est plus
réservé aux baptisés. En tout cas tous les musulmans convertis que j’ai connus
appartiennent tous à la mouvance « tradi » (le lefebvrisme ou les communautés
Ecclesia dei ») ou sont passés par là. Ce n’est pas par hasard que les
« missionnaires de la miséricorde divine » consacrés à la conversion des
musulmans, ont adopté la liturgie traditionnelle…
b. Le mystère des conversions
Il me semble que ce ne serait pas une perte de temps que d’étudier sérieusement
les conversions dans lesquelles je reconnais l’influence de la Grâce divine ; mais
le plus souvent, cette Grâce passe à travers des processus naturels :
• L’éducation aux différents âges de la vie : par exemple, en URSS, ce sont
les grands-mères (les babas) qui baptisaient les enfants et leur
transmettaient quelques fragments de la Foi orthodoxe.
• Les « projets de vie » : après avoir « profité de sa jeunesse », quand on
veut enfin se marier, avoir des enfants, « être sérieux », on est ouvert à
devenir pratiquant. Ce serait aller à contre-sens que de leur présenter
l’Eglise comme laxiste et tolérant n’importe quoi.
• On dit que la vocation de Chartreux est souvent éveillée par les longues
veilles des officiers de marine.
• Mais au contraire, le désespoir sur le sens de sa vie (prison, drogue,
monde des affaires) est souvent l’étape qui précède la conversion (je
pense à Charles de Foucault) ; une Eglise du bien-être qui évacue tout le
tragique de la Croix, même avec des guitares, sera moins attirante que la
procession d’un pénitent anonyme, pieds nus, portant la croix.
• La conversion soudaine, illuminative, semble souvent associée à la force
paradoxale qui se dégage de la coincientia oppositorum, la coïncidence
des opposés qui dépasse les oppositions « rationnelles » : la lumière et les
ténèbres s’excluent ; mais justement, la nuée qui accompagne les Hébreux
dans leur exode, est à la fois Lumière et Ténèbres. Un peu comme dans la
pratique du zen, la réponse du maître à la question du disciple (le koan)
64
est une réponse qui brise les limites mentales « par le haut ». Dans les
évangiles, les réponses « à côté » du Christ jouent souvent sur ce ressort.
• Considérons enfin les dogmes qui ont la réputation « d’enfermer la
pensée », il me semble bien que ce sont tous des coïncidentia
oppositorum : un seul Dieu en trois Personnes, Vierge et Mère, la
Création est à la fois bonne (la Genèse, St. François d’Assise) et une
« vallée de larmes » (Salve Regina), Le Salut donné par la prédestination
(même St. Ignace en reconnaît la réalité) et les œuvres(Epître de Jacques),
la liberté des anges et des hommes ne limite en rien la Toute-Puissance
divine, etc…
• Enfin, je ne reviendrai pas sur le hiératisme, l’esthétique du sacré. Est-ce
que Paul Claudel se serait converti, si, entré par hasard, dans la cathédrale
Notre Dame de Paris durant les Vêpres, il était tombé sur une homélie sur
le vaccin contre le COVID ou en faveur de l’écologie dans une église en
forme de cirque ?
Il y a beaucoup d’hypothèses à explorer et probablement des modalités diverses
de conversion, c’est pourquoi il faut expérimenter et probablement diversifier
les « offres » de l’Eglise.

En attendant, pour limiter empiriquement le déclin de l’Eglise en Europe
occidentale, il faut seconder la Grâce divine en favorisant ce qui effectivement
suscite et accompagne les conversions, la pratique religieuse, les vocations…
c. L’increvable religion populaire
En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit :
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je
proclame ta louange : ce que tu as caché aux
sages et aux savants, tu l’as révélé aux toutpetits. » (St. Matthieu 11.25)
Il faut d’abord cesser de mépriser les pratiques de la « religion populaire » qui
ont subsisté malgré le rouleau compresseur de la « média-culture globish ».
A l’époque du Concile, beaucoup de curés, suivant beaucoup de théologiens, ont
fait la guerre à la récitation du chapelet, à l’adoration du Saint-Sacrement, aux
chemins de Croix, aux rogations, aux confréries de pénitents (ou de
« charitons » en Normandie), aux pèlerinages, aux apparitions sauvages de la
65
Vierge, aux révélations particulières, aux cierges, à la bénédiction des maisons,
des motos et des petits chiens…
C‘est vrai, médailles miraculeuses et scapulaires ressemblent trop aux pentacles
et aux gris-gris des sauvages. Pourquoi les méprisons-nous ? Parce que depuis la
colonisation, nous méprisons les sauvages. Pourtant, quand nous sommes
confrontés à une circonstance exceptionnelle (examen par exemple) ou même
quand nous jouons à un jeu de hasard, ne devenons-nous pas aussi superstitieux
qu’un « sauvage » ?
Le culte des saints et des reliques, avec leurs différentes spécialisations, semble
avoir disparu de la pastorale alors que l’usage de l’invocation à Saint Antoine de
Padoue quand on ne retrouve plus ses clefs demeure bien ancrée dans la
population. Les clarisses continuent de recevoir des dons pour prier sainte Claire
de donner du beau temps lors d’un mariage ou d’un autre événement. On ne va
pas en pèlerinage à Fatima avec les mêmes intentions qu’à Lourdes.
Les clercs, depuis la fin du XXe siècle, croyaient, comme les protestants, que
ces pratiques étaient surannées, superstitieuses voire idolâtres (les catholiques
« adorent » la Sainte Croix qui n’est pas qu’un morceau de bois, parce que le
Christ « déifie » ce qu’il touche ?).
La répression de la religion populaire remonte loin dans l’Histoire et dès le
XVIIe siècle, le clergé combattait les traditions immémoriales des feux de la
Saint Jean. Il est bien possible qu’au début de la modernité (l’âge classique dirait
Michel Foucault), la persécution des « sorcières » correspond à des pratiques
(médicales, cosmologiques, météorologiques) de religion populaire qui
échappaient au contrôle de ce clergé qui, après les « rationalisations » du
Concile de Trente, ne pouvait plus prendre en charge les coutumes populaires.
Au lieu de mépriser cette religion populaire, il faut en contrôler l’orthodoxie94
,
mais surtout la reconnaître pour ce qu’elle est : la conscience de l’Immanence et
de la diversité de ses formes dans la Création et dans l’Histoire.95
94 Moins il y a de contrôle par un clergé avisé, plus il y a de déviations laissant la place aux influences
démoniaques, c’est peut-être pourquoi, en pays calviniste, la chasse aux sorcières s’est le plus développée. Il
faut être tolérant avec les formes élémentaires de la vie religieuse, c’est comme ça que le Bon Dieu a créé
l’Homo religiosus.
Je ferais le parallèle avec l’interdiction du bizutage. Les risques du bizutage, en regard avec les avantages de
cohésion qu’il procurait, étaient finalement assez limités ; encadré par l’institution, le bureau des élèves et les
traditions de l’école sous le regard amusé du public du centre-ville n’était qu’exceptionnellement dangereux.
Le bizutage a donc été interdit mais vite remplacé par des « week-end d’intégration » organisés dans des hôtels
hors saison, hors de tout contrôle, par des « adultes » réputés « consentants et responsables ». La participation
de mes filles à de tels événement me paraît bien plus dangereuse…La coutume est en général moins
« rationnelle » mais plus sage que la loi et le règlement.
66

Et, sous le regard condescendant des chrétiens « adultes et responsables », les
petites vieilles continuent à égrener leur chapelet…. Les « adultes et
responsables » sont partis sur les « parvis » avec les analysants lacaniens et les
théologiennes féministes, mais les petites vieilles sont encore là.

Pourtant, dans ce combat entre les « élites » modernistes et les dévots de la
religion populaire, l’Eglise a beaucoup souffert ; et ce n’est pas ceux qu’on
rejetait aux « poubelles de l’Histoire » qui ont perdu. Les « curés » disparaissent
alors que les fidèles continuent à allumer des cierges et recommencent même à
adorer le Saint Sacrement… Les confréries de pénitents sont redevenues
prospères en Corse et dans tout le midi de la France. On raconte qu’en
Andalousie devant le trop grand nombre de fêtes chômées (rentabilité oblige !),
le gouvernement avait décidé de supprimer une des fêtes religieuses ; les
confréries ont menacé de ne plus défiler durant la semaine sainte si la décision
était maintenue (le tourisme oblige encore plus). Le gouvernement d’Andalousie
a cédé et rétabli le caractère chômé de la fête.

Au début du XXe siècle, chaque patelin avait sa fête, sa vogue, le jour du saint
patron de la paroisse96 ; un pèlerinage local ou un « pardon » en Bretagne,
complétait ces festivités. A la fin du XXe siècle beaucoup de ces pèlerinages ont
disparu ou quand ils ont été maintenus par le clergé, c’était sans enthousiasme.
A présent, les pèlerinages se reconstituent et drainent de plus en plus de monde,
les petits et les grands, comme le Tro Breiz en Bretagne ou le pèlerinage de
Chartres à la Pentecôte. Pendant de nombreuses années, les évêques de Chartres
ou de Paris ont refusé d’ouvrir leur cathédrale à ces pèlerins, les messes « en
latin » étant célébrées sur le parvis. Devant leur afflux, les évêques ont fini par
ouvrir les cathédrales aux pèlerins de Paris-Chartres ; je ne crois pas qu’ils les
aient encore ouvertes pour les pèlerins lefebvristes de Chartres-Paris.
Pourquoi97 ?

96 Le calendrier des saints rythmait la vie rurale : « S’il pleut à la saint Médard », « la foire de la saint Martin »,
« les gages à la saint Michel »… La réforme du calendrier liturgique a cassé tout ce système de références
hérité de la Chrétienté.
97 Alors que le clergé prêtera volontiers des églises, non seulement aux communautés des chrétiens d’Orient,
schismatiques ou non, aux musulmans, voire aux « sans papiers »
67
Il faudrait faire une part spéciale au pèlerinage de St. Jacques de Compostelle.
Un de mes amis avait « fait » ce pèlerinage un été des années 60, il n’avait
rencontré que moins d’une dizaine d’autres pèlerins. Quarante années plus tard,
les guides touristiques déconseillent d’entreprendre le pèlerinage durant l’été où
le « camino » est plus saturé qu’une autoroute au début d’un congé scolaire. Le
phénomène est d’autant plus remarquable qu’il est « spontané » ; aucune
organisation n’incite le pèlerin à partir ; rien n’est fait pour « faciliter » le trajet,
au contraire. Le pèlerin prie avec ses pieds et se déleste des objets inutiles qu’il
avait pris la précaution d’emporter au départ.
Le phénomène n’est pas seulement quantitatif, mais aussi qualitatif. Il est vrai
que certains entreprennent le chemin sans significations religieuses précises,
dans une intention sportive ou d’hygiène de vie ; mais tous les pèlerins que j’ai
rencontrés témoignent que cette expérience de l’intériorité spirituelle les a
changés et beaucoup ont repris après celui de St. Jacques, le chemin de leur
Eglise.

C’est vrai, la nouvelle génération de prêtre à col romain semble accompagner
sans réticence les pratiques populaires, au contraire des anciens « défroqués »
(ne parlons pas ici des « prêtres en soutanes » qui semblent adhérer -parfois
peut-être sans recul- à ces pratiques). Cet « accompagnement » est bien
nécessaire tant les déviations sont possibles (dans l’île de la Réunion, on
retourne la statuette de saint Janvier quand on a raté son permis de conduire),
d’autant plus que l’actuel peuple des fidèles est encore plus ignorant que dans
les générations précédentes.
Mais ce nouveau clergé si sympathique continue à prêcher dans les catégories
des théologiens de la fin du XXe siècle. Lorsque l’évangile de la messe évoque
un miracle opéré par Jésus (même à son insu98), combien de fois n’ai-je pas
entendu d’homélies sur le thème : « nous n’avons pas besoin de miracles pour
croire ». Sous-entendu : « les contemporains du Christ étaient des naïfs, mais
nous autres adultes et responsables nous n’en attendons rien » (dans ce cas ils
croient implicitement au sens de l’Histoire dans laquelle la Raison humaine
s’émanciperait). Pire encore : les miracles ne seraient qu’une jolie métaphore
pour faire saisir aux naïfs comment la grâce agit sur les consciences. Ce qui
n’est pas totalement faux et Jésus dit explicitement que beaucoup de miracles
qu’il accomplit ne sont pas d’abord une compassion (pourquoi guérit-il tel
aveugle et pas l’autre ?) mais un témoignage (une sorte de discours) de la
98 Cf. La guérison -après avoir touché le vêtement du Christ-, de la femme qui perdait son sang, (Matthieu 9. 20-
22 et St. Marc 5. 26-34)
68
révélation de sa nature divine capable de pardonner les péchés. Cependant, en
voulant peut-être accentuer la nature spirituelle du miracle, on met à mal l’idée
que le surnaturel puisse s’imposer au naturel et en « psychologisant » le miracle
on fait douter de la réalité du surnaturel.

En période de guerre, on se tourne spontanément vers la Providence ; les églises
se remplissent. Toute crise existentielle, familiale ou nationale suscite
normalement des interrogations métaphysiques qui renvoient au reste de
traditions chrétiennes que nous partageons encore. Les ex voto, quand ils n’ont
pas été retirés, témoignent de ces appels émouvants au secours du Ciel.

Les grandes épidémies étaient interprétées comme des châtiments divins et
suscitaient prières publiques, processions et vœux. Or, au moins depuis la fin du
XXe siècle, durant la crise du SIDA, les responsables de l’Eglise s’abstinrent de
recourir à de telles pratiques ; ils avaient trop peur qu’on les accuse de « vouloir
en profiter » pour stigmatiser les homosexuels et de revenir sur les « acquis de la
libération sexuelle » des années 60.
En 2021, lors de la pandémie du COVID, aucun Evêque (à ma connaissance) ne
suivit l’exemple du roi de Ninive qui, à la prédication de Jonas « se leva de son
trône, quitta son manteau, se couvrit d'un sac et s'assit sur la cendre. » et
proclama : « Hommes et bêtes, gros et petit bétail ne goûteront rien, ne
mangeront pas et ne boiront pas d'eau. On se couvrira de sacs, on criera vers
Dieu avec force, et chacun se détournera de sa mauvaise conduite et de
l'iniquité que commettent ses mains. » (Jonas 3.5-10)
Bien plus, ils se soumirent au gouvernement et dans la période de confinement
ils acceptèrent « sagement » de fermer leurs églises aux fidèles, reconnaissant
ainsi que le culte ne faisait pas partie des « besoins essentiels » comme les
supermarchés qui eux étaient autorisés à recevoir le public. Résultat de cette
absence d’héroïsme : nombre de pratiquants trouvèrent qu’il n’était pas
désagréable de faire la grasse matinée le dimanche, qu’après tout, on pouvait
suivre la messe à la télé et quand ce fut autorisé, ils ne remirent plus les pieds à
l’église.

69
On sait que notre époque99 est caractérisée par une grande divergence entre le
peuple et les élites médiatiques, politiques, syndicales et religieuses. L’appareil
ecclésiastique a de moins en moins d’influence, même sur les fidèles
pratiquants. Comme dans bien d’autres secteurs, si l’Eglise officielle se coupe
de ses fidèles, il faut s’attendre au développement d’un populisme catholique. Si
l’appareil ecclésiastique ne redresse pas la barre, il perdra la confiance des
fidèles comme les politiciens, les médias, et plus récemment la médecine, ont
perdu la confiance de la population.
d. Un fantôme de la Chrétienté, la religion identitaire
Feu la Chrétienté ? Mouais… Toute notre culture continue à être structurée par
Athènes, Rome et Jérusalem. Pendant plus de mille ans, le christianisme a
modelé les sociétés occidentales ; on ne s’en débarrasse pas si facilement.
L’Empire byzantin est toujours présent dans les églises grecques. Moscou
prétend être la troisième Rome et nous attendons la Nouvelle Jérusalem. Ceux
qui actuellement font autorité dans l’Eglise ressemblent à ces adolescents qui
jurent de ne pas se comporter comme leurs parents, alors que, quelques années
plus tard, les autres, et singulièrement leur conjoint, retrouvent trait pour trait les
caractéristiques de la génération dont ils voulaient tant se distinguer.

Confronté au double défi de l’immigration de masse et du déracinement culturel
opéré par la Modernité, beaucoup de nos contemporains se préoccupent de leurs
« racines »
100 culturelles. Cette réaction se traduit par des traits multiples :
généalogie, « localisme », voire néopaganisme… Elle se manifeste aussi par une
sensibilité aux racines chrétiennes de la société occidentale.
Car notre culture a largement été modelée par le christianisme, et, jusqu’à la
Réforme, par l’Eglise. C’est particulièrement vrai pour la France dont l’Histoire
politique est fondée sur le baptême de Clovis ; mais je suppose qu’on trouvera
des couplages politico-religieux analogues au Portugal, en Pologne, en Irlande,
en Hongrie, en Espagne (la Reconquista) et dans toute la Chrétienté occidentale
et orientale (Grèce, Arménie, Géorgie).
99 La majorité populaire avait clairement rejeté le « traité de Maastricht » lors du référendum de 2005.
Quelques mois plus tard, le Parlement l’avait entériné. C’est l’acte emblématique du divorce entre la
population et ses « élites ». Imprudemment, l’appareil ecclésiastique s’était solidarisé avec la plupart des
« élites » politiques, médiatiques, ou syndicales, en incitant lourdement au vote « oui ». Il n’y a pas de raison
pour que le populisme qui se développe dans le monde occidental, épargne l’Eglise…
100 Cf. Simone Weil L’enracinement (Gallimard 1949)
70
Cet intérêt pour le catholicisme prend un double aspect : celui des élites qui ne
peuvent parvenir à comprendre et recevoir leur héritage culturel (philosophie,
littérature, musique, peinture, architecture) en faisant abstraction de la
dimension religieuse. Mais une autre réaction est observable, surtout dans les
milieux populaires les plus confrontés au fondamentalisme robuste des
musulmans immigrés. Tantôt ils se raidiront dans un laïcisme républicain très
formaliste, certains au contraire se convertiront à l’Islam (et pas toujours
seulement pour épouser une musulmane), enfin, beaucoup sont amenés à
s’interroger sur l’identité chrétienne qui leur a si peu et si mal été transmise.

On trouvera aussi pas mal de « chrétiens identitaires » parmi les catéchumènes
qui se font baptiser dans la nuit de Pâques. Leurs parents (les
« boomers soixantehuitards ») n’avaient pas trouvé d’intérêt à les faire baptiser
enfants ; mais la quête identitaire (nostalgie des aïeux) les ramène à l’Eglise.
Or les médias « catholiques » dénoncent ce courant qui rompt avec leur
conception de l’avenir nécessairement « à gauche », qui aurait dû être celui de
l’Eglise. Et l’appareil ecclésiastique fait « la fine bouche » devant ces nouveaux
pratiquants qui préfèrent parfois se retrouver dans les paroisses « tradis ». On
suspecte leurs motivations.
L’univers des motivations est complexe ; qui peut se vanter de la pureté de ses
motivations ? Le Bon Dieu se sert de tous les hameçons possibles pour attraper
les hommes. Zachée était un percepteur, un percepteur et un pécheur. Quand
Jésus est venu à Jéricho, c’est certainement par curiosité101 qu’il monta dans le
sycomore pour le voir passer. La Foi n’est pas première et elle résulte d’un
processus souvent sinueux.

Jadis le Vatican avait condamné Maurras et l’Action Française durant plus d’une
douzaine d’années, sans vraiment en expliciter les raisons102
. Les commentateurs
avançaient que Maurras instrumentalisait la religion au profit de sa ligne
politique. En fait, il y a au sein de l’Action Française des croyants comme des
non-croyants, mais la doctrine du Bien Commun national exige que ces derniers
101 « Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il
courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là. » (Saint Luc 19.03-04)
102 Cf Emile Poulat « le saint-siège et l'action française, retour sur une condamnation » Revue
Française d'Histoire des Idées Politiques n°312010, ou Philippe Prévost La condamnation de l'Action
française vue à travers les archives du Ministère des affaires étrangères, Paris, La Librairie canadienne, 1996.
71
reconnaissent aussi le rôle central et bienfaisant de l’Eglise dans la constitution
de l’identité de la France. Or, je suis bien obligé de témoigner que tous ces
agnostiques qui défendaient l’Eglise persécutée pour des raisons politiques,
finirent souvent, pour le plus grand nombre probablement, par trouver une Foi
sincère et une pratique exigeante.

On sait qu’Albert Rouet, l’ancien Evêque de Poitiers, a refusé de laisser baptiser
un catéchumène parce qu’il était membre du Front National103
. Ce serait un
grand scandale simoniaque : l’instrumentalisation des sacrements au profit d’une
idéologie est une trahison qui est aussi dégueulasse que de lutiner les fesses des
petits garçons. Lorsque Jésus a ouvert les portes du Ciel au « bon larron », celuici n’était-il pas condamné à juste titre ? Et le Christ ne lui a pas demandé à
quelle secte juive il était affilié.
Quand le Bon Dieu amène de nouvelles brebis au bercail, c’est curieux comme
les pointilleux pasteurs deviennent puristes quand les brebis n’ont pas la couleur
du parti clérical.
Pourquoi mépriser le mouvement qui mène vers l’Eglise, ceux qui ont amorcé
une réflexion sur leur identité ? Parce qu’ils n’ont pas les mêmes convictions
politiques et métapolitiques que l’actuelle hiérarchie moderniste ? Parce que
l’Eglise dont ils rêvent nous semble archaïque et que ce serait nous déjuger
après tant d’efforts pour rompre avec elle ?

Bien sûr, sous le qualificatif de chrétiens identitaires, on pourra trouver des gens
« brut de décoffrage » qui s’attachent à des formes simplistes, mais on trouvera
aussi de hauts niveaux culturels et des plus affinés ; dans l’un et l’autre cas, les
« réactionnaires » ne sont pas passifs ; pourquoi l’Eglise se priverait-elle de ce
dynamisme ? Par ce fantasme induit par le mythe du Progrès (nécessaire et
désirable) qu’on ne peut et qu’on ne doit pas revenir en arrière. Pourtant, comme
l’a montré Antoine Compagnon, les anti-modernes sont des modernes comme
les autres ; pourquoi les craindre tant ?

Concevoir l’Incarnation du Christ, ce n’est pas seulement parler du corps
biologique, quand Dieu se fait Homme, il prend aussi la dimension sociale de
l’humanité. Le Christ pleure sur Jérusalem (saint Luc 19.41-55). Aussi,
contrairement à la vision propagée par J.J. Rousseau, les cultures (populaires ou
103 Cf. article d’Henri Tincq Le Monde (22/11/1998)
72
savantes) ne sont pas des « aliénations » dont il faut « libérer » l’individu, mais
des dimensions constitutives de l’Homme à travers lesquelles il peut aussi
sombrer ou retrouver le Salut.
La pastorale actuelle prétend cultiver une religion « intérieure » qui se voudrait
libre de toute dimension sociale. En réalité, elle est extrêmement dépendante de
l’idéologie individualiste dominante pour laquelle tout héritage social est une
intolérable aliénation de la liberté de l’individu.
La vérité anthropologique c’est que l’Homme est un être d’imitation,
fondamentalement constitué par les interactions historiques et culturelles. Il faut
défendre les archétypes et même les stéréotypes qui nous font être homme. Le
Verbe s’incarne dans un corps biologique particulier, mais aussi dans une ethnie
particulière (le peuple juif) et un corps social dont une des formes les plus
élaborées fut la Chrétienté. Il est tout-à-fait légitime de venir à la Foi par la voie
de la conscience de son identité.

Même les coutumes stéréotypées ne sont pas méprisables : nombre de nos
contemporains portent un collier sur lequel pend une croix, donnent une pièce à
la mendiante tzigane ou font une « petite prière en passant ». Même des ruines
éparses de la Chrétienté que l’actuelle pastorale veut rejeter, peut jaillir un
nouvel élan de Foi. Il faut savoir accompagner cette gestation.
Quand le Bon Dieu fait que de nouvelles ouailles viennent au catholicisme, on
ne crache pas dessus sous prétexte qu’elles ne nous ressemblent pas, qu’elles ne
votent pas comme nous ou que leurs motivations nous paraissent « impures ».
e. Du déclin du « rationalisme » à l’époque postmoderne
Une des raisons pour lesquelles l’homme moderne se désintéresse de la Foi est
d’ordre épistémologique. On sait que les sociétés traditionnelles percevaient le
monde comme une réalité complexe combinant de multiples plans ou comme un
message chiffré dont il fallait découvrir le sens. Chamanisme, Taoïsme,
Cabbale, Pythagorisme, Platonisme, etc., toutes les sagesses du monde
conçoivent la réalité comme une sorte de pâte feuilletée dont chaque niveau est
en interaction avec les autres.
73
A partir du début de ce que les historiens appellent modernité la perception de la
réalité a changé. Là où la pensée antique s’émerveillait de la correspondance
entre l’intellect et l‘univers, la théologie nominaliste ruina l’idée que les
catégories de l’intellect humain puissent rendre compte de cette réalité. Le
cartésianisme amorça le « désenchantement du monde »
104 en séparant le
matériel et le spirituel ; le corps est conçu comme une machine et l’Univers et la
vie comme un ensemble de choses insignifiantes régies par « le hasard et la
nécessité »
105
.
Au XVIIIe siècle, avec le kantisme, on désespère que la raison puisse dépasser
les phénomènes perçus, achevant la ruine de la métaphysique traditionnelle.
Après s’être attaqué à l’Immanence, le rationalisme occidental ruinait la
Transcendance. La création enchantée donnait des reflets du monde spirituel et
de son Créateur, surtout avec l’idée d’une création permanente par la
Providence. Postérieurement, les choses insignifiantes qui constituent la matière
réduisent Dieu à quelque Grand Horloger qui n’est plus responsable que de
l’impulsion initiale (le premier moteur) ; cette hypothèse superfétatoire
finalement, ne serait pas vraiment utile au savoir positif… En refusant
l’immanence on peut se passer de la transcendance.

Il me semble que l’Eglise « classique », celle d’après le Concile de Trente, peutêtre pour se défendre du soupçon de paganisme dont elle était accusée par les
Huguenots, a contribué au mouvement de « désenchantement du monde ». Les
historiens ont montré comment les collèges jésuites se sont ralliés à la
philosophie cartésienne.
Dans ce contexte rationaliste de stricte séparation du matériel et du spirituel,
l’Eglise abandonnait la nature physique aux investigations de La Science, se
réservant de donner des critères dans les domaines surnaturels et moraux. C’est
pourquoi à Lourdes ou ailleurs, l’Eglise ne reconnaît que les miracles qui
échappent totalement à une explication scientifique. Je me souviens d’un
ouvrage du très « classique » exorciste Joseph de Tonquédec qui prenait le plus
grand soin a strictement délimiter le domaine de l’influence démoniaque et celui
de la psychiatrie. C’est peut-être une position de faiblesse que de faire du
104 Le concept est défini par le sociologue Max Weber ; il est popularisé en 1985 par l’ouvrage de Marcel
Gauchet le désenchantement du monde. Mais il est constaté depuis les premières réactions aux « Lumières ».
Le monde moderne n'est pas à considérer comme un progrès mais plutôt comme le signal de la destruction
d'une harmonie séculaire par l'industrialisation. En 1788, dans Les dieux de la Grèce, Schiller évoque "die
entgötterte Natur" ("la nature ayant perdu son caractère divin").
105 Jacques Monod Le Hasard et la nécessité (Le Seuil 1970) rejette toute idée de « télénomie » (cause finale
d’Aristote ?) associée à de l’animisme.
74
surnaturel (ou du « préternaturel ») le reliquat de ce qui échappe aux sciences.
Face aux limites toujours mouvantes de la connaissance scientifique, le
surnaturel est comme une peau de chagrin. Il me semble que dans la réalité
phénoménologique, le miracle passe aussi par des processus naturels et pas
seulement par des exceptions à ces processus. Le Christ lorsqu’il chasse les
démons ne fait pas faire une expertise psychiatrique préalable. Le caractère
signifiant du miracle (« pour la glorification de Dieu ») m’apparaît aussi
important que son caractère exceptionnel et inexplicable. A trop hermétiquement
séparer la nature et la grâce, on risque de devenir schizophrène106
.
Mais jusqu’au début du XXe siècle, l’Eglise a néanmoins courageusement
défendu la Transcendance du surnaturel face à la « logique » d’un Monde qui
s’en éloignait inexorablement. (En 2022 les sondeurs annoncent que plus de la
moitié des Français déclare ne pas croire en Dieu.)

Dans la deuxième partie du XXe, l’Eglise semble, en Occident, laisser le
surnaturel dans l’implicite ; touchée certainement par le soupçon selon lequel
« l’arrière-monde »
107 du surnaturel serait une façon de compenser et de se
détourner des problèmes de ce monde, la pastorale met « la pédale douce » sur le
(ou les) autre(s) monde(s).
Le fait que par l’incarnation, la « vie éternelle » soit déjà présente (ce qui est
vrai), arrange bien les clercs en leur permettant de substituer de la psychologie à
l’eschatologie. Dès la fin du Moyen-Age, le devotio moderna avait mis l’accent
sur la piété intérieure individuelle (contribuant peut-être à l’individualisme
moderne), mais elle n’était pas encore détachée des perspectives
eschatologiques.
C’est un fait que dans sa pastorale aujourd’hui, l’Eglise a renoncé à enseigner la
réalité du plan surnaturel : le péché originel, le ciel, l’enfer, le purgatoire, la
hiérarchie des anges, le jugement dernier, autant de chapitres qui sont si
rarement ouverts. Je connais une catéchiste qui a enseigné durant de nombreuses
années et qui, dans la fin des années 60 a été vidée par le service spécialisé de
l’évêché, parce qu‘elle continuait à parler aux enfants, des anges et des démons.
Si toutes ces révélations pourtant dogmatisées dans la Tradition de l’Eglise,
existent encore chez les pratiquants, c’est par les références bibliques que la
106 Il est vrai qu’à trop vouloir les confondre (concordisme) on risque aussi d’appuyer la Foi sur des théories
scientifiques promises à devenir caduques. Pour une synthèse, la physique doit s’appuyer sur la métaphysique
et non l’inverse.
107 Expression péjorative de Nietzsche pour évoquer les « Cieux » et ne pas adhérer pleinement à cette vie.
75
liturgie conserve encore, mais on sent bien que nombre de prédicateurs préfèrent
les contourner.

A la rigueur, on consentira à parler des anges comme des messagers de Dieu (ce
qu’ils sont mais pas que) ; d’ailleurs on a imposé, sur le modèle protestant, une
telle intimité avec Dieu, la ligne directe d’une sorte de « téléphone rouge », que
le messager est devenu inutile. Le préposé des Postes est bien dévalorisé depuis
les messageries directes d’internet.
Or, paradoxalement, quand les hommes d’Eglise ont cessé de parler des anges,
c’est à ce moment, que, dans les rayons ésotériques, les ouvrages consacrés à
l’angélologie se sont multipliés. Il faut remarquer au passage que les libraires ne
s’y trompent pas, les anciens rayons « religieux » sont envahis par des ouvrages
sur les religions exotiques, bouddhisme et hindouisme, sur l’ésotérisme
(confondu ou pas avec l’occultisme) et sur le bric-à-brac du développement
personnel. Ce n’est donc pas que le public, trop « matérialiste », se
désintéresserait du domaine spirituel ; c’est plutôt que l’Eglise ne répondant plus
à ce vrai désir, il est amené à se fournir ailleurs.

• Les plus érudits des jésuites et des dominicains étaient devenus les
spécialistes du marxisme savant, pendant que les congrès de la JOC, sous
la houlette des évêques, chaque année chantaient rituellement
« l’Internationale ». Je ne sais s’ils sélectionnaient le couplet « Il n’est pas
de Sauveur suprême… ».
• Dans la lignée de Charles Darwin, le jésuite Teilhard de Chardin108 était,
dans les années 70-80, le penseur systématiquement proposé en modèle
dans les « formations religieuses » pour classe terminale.
• La plupart des clercs intéressés par l’exploration psychanalytique se sont
tournés vers les écoles freudiennes pour lesquelles la religion est une
illusion d’origine névrotique et, à ma connaissance, très peu se sont
intéressés
109 au courant jungien (ou aux analyses symboliques dans la
perspective d’un Mircea Eliade ou d’un Gilbert Durand). Pourtant, ce
courant auquel on pourra peut-être reprocher ses tendances syncrétiques,
est beaucoup plus ouvert à une anthropologie spirituelle.
108 Teilhard de Chardin, par fanatisme évolutionniste ( ?), avait participé à la reconstitution frauduleuse du
pithécanthrope de Piltdown qui était présenté comme le chaînon manquant entre le singe et l’homme.
109 Je ne connais que Raimon Panikkar, théologien indo-catalan et le théologien Eugen Drewermann, tous deux
en délicatesse avec l’épistémè dominante dans l‘Eglise et en révolte ouverte pour le second.
76

On trouvera une adhésion implicite au « rationalisme » matérialiste de la
modernité dans les commentaires que font les ecclésiastiques sur les
sacrements : ils se complaisent à affirmer que « ce n’est pas de la magie ».
Sous-entendu « ceux qui pensent qu’il y a une efficacité des rites sont des naïfs
superstitieux ». Pour ma part, au contraire, je crois que les sacrements et de
façon plus évidente encore, les sacramentaux (huiles saintes, eau bénite, sel,
médaille miraculeuse, etc.) sont les symboles efficaces d’une magie divine dont
ce que nous dénonçons comme « magie » n’est qu’une forme abâtardie,
éventuellement infestée par les tendances peccamineuses que les démons
inspirent. La magie est surtout pervertie par l’instrumentalisation individualiste
de l’homme déchu, mais la syntaxe symbolique dont use Moïse, le serpent
d’airain qu’il brandit ressemble à s’y méprendre à la magie des Egyptiens. Par
ces signes, les forces angéliques peuvent être évoquées comme les forces des
anges révoltés.

Tous les vieux missionnaires d’Afrique ou d’ailleurs que j’ai rencontrés ne se
rient pas de la magie, contrairement au clergé européen.
Je ne sais pas si, en dehors de l’Eglise, toute magie est sorcellerie diabolique ;
mais je sais qu’en en niant la possibilité, la théologie rationaliste se coupe de la
religion populaire110. « La moitié de mes confrères ne croient pas au diable »
affirmait un célèbre exorciste. Dans ce cas maintenir un exorciste par évêché
relève de l’escroquerie et du mépris du peuple.

L’Eglise se trompe en faisant tant de concessions au rationalisme postcartésien
car celui-ci est entré dans une crise très profonde.
• Dès les « Lumières » du XVIIIe siècle, le romantisme allemand, et surtout
la Naturphilosophie, portait un regard critique sur le mécanicisme du
rationalisme et regrettait « l’état initial où nature et esprit ne faisaient
qu’un » (Schelling). Contre le rationalisme qui géométrisait le monde, au
début du XXe siècle, la phénoménologie d’Husserl et de Heidegger veut
connaître la réalité telle qu’elle se révèle à la conscience.
110 Dans une perspective apparemment contraire, dans la mouvance charismatique, on qualifiera facilement de
diabolique tout phénomène subtil qui semble échapper aux lois naturelles réduites au mécanicisme cartésien.
Ainsi, la médecine énergétique, les « barreurs de feu » ou autres amateurs de pendules seront considérés
comme l’œuvre des démons. Personnellement je ne vois pas en quoi « le prince de ce monde » serait moins
actif dans la sidérurgie que dans l’homéopathie. Il est grand temps que dans ces domaines, l’Eglise exerce
sérieusement sa mission de discernement. Sinon le peuple se réfugiera dans les sectes et les charlatans.
77
• Dans la recherche épistémologique, Gaston Bachelard montre les liens
étroits qui relient les théories scientifiques et les analogies symboliques ;
Thomas Kuhn montre comment le savoir scientifique est bouleversé par
des révolutions théoriques qui doivent beaucoup aux rapports de forces
dans la cité des savants. On sait depuis le théorème d’incomplétude de
Gödel (1931) que toute logique s’appuie sur des axiomes indémontrables.
Michel Foucault, montre encore que la connaissance n’est pas une
capitalisation de connaissances, mais que des « ruptures
épistémologiques » morcellent les continents du savoir.
• Les philosophes des « lumières » croyaient que bientôt nous allions tout
savoir de la création. Au XIXe on commence à déchanter car l’horizon
des choses à connaître recule au fur et à mesure que le savoir augmente.
Mais optimiste, Victor Hugo croyait encore au progrès cumulatif des
savoirs et pour lequel nous étions « des nains juchés sur des épaules de
géants ». Ce n’est plus le cas : un médecin de l’école pasteurienne du
XXe est incapable de comprendre un médecin de l’école de Paracelse du
XVIe siècle.
D’ailleurs, sauf dans l’apologétique rationaliste des naïfs qui tentent de
« sauver les meubles », on ne dit plus La Science, mais les sciences tant la
cité des savants désespère de trouver un appui dans une synthèse
générale ; même au sein d’une discipline particulière, même au sein d’une
même spécialité, les chercheurs ont de plus en plus de mal à se
comprendre et à communiquer.
C’est pourquoi, une partie des savants élabore de curieuses
gnoses111s’appuyant sur des éléments de métaphysique orientale. En
dehors des mathématiques peut-être, et sans même recourir aux paradoxes
de la physique quantique, on doit bien constater que les savants ne sont
plus « rationalistes ».

Au début du XXe siècle, le rationalisme triomphant avait marginalisé le
sapientiel et les « sciences traditionnelles » ; jadis ces domaines étaient
socialement valorisés : les rois et les papes avaient leur astrologue attitré.
Ces disciplines appuyées sur les analogies symboliques n’ont pas disparu
avec la modernité, mythomanes, « poètes », et autres marginaux s’en sont
emparé, transformant le sapientiel en bric-à-brac occultiste, ou l’astrologie
en horoscope pour journal féminin. Il était donc facile pour les
rationalistes de les mépriser au même titre que la religion à laquelle
adhéreraient encore les « faibles d’esprit ». Naguère on disait que les
111 Cf.par exemple, Raymond Ruyer, La gnose de Princeton(Fayard 1974), Fritjof Capra Le Tao de la physique
(Sand 1975) ou le Colloque de Cordoue (organisé par France Culture en 1979)
78
sectes attiraient des personnes déracinées et sans instruction ; on sait
aujourd’hui que la clientèle des sectes, même les plus aberrantes, est
constituée par des personnes de bon niveau socio-culturel. On peut y voir
une généralisation sociale de l’anomie, mais aussi un symptôme de la
crise du rationalisme.

L’Eglise fait trop souvent obstacle aux courants d’où pourraient émerger des
vocations à devenir chrétien ; j’ai déjà évoqué le « christianisme identitaire », je
veux à présent parler des courants non rationalistes typiques de la
postmodernité.
• Quelques exemples : En 1960 paraissait un best-seller publié chez
Gallimard (un million d’exemplaires) par Louis Pauwels et Jacques
Bergier - Le Matin des Magiciens -, qui traitait de sujets aussi divers que
l’archéologie fantastique, l’ésotérisme et les sociétés secrètes, les
civilisations disparues, l’alchimie ou la littérature fantastique. Deux
revues « Planète » et « Question de » furent les queues de comète de ce
phénomène éditorial imité par de nombreux éditeurs.
• En 1980, nouveau succès, Les enfants du Verseau de Marilyn Ferguson
qui illustra un courant qui dépassait largement la mode hippie avec
laquelle on l’associait volontiers : le Nouvel Age. S’il est vrai que les
origines sont bien suspectes (la théosophie de Mme Blavatsky), le NewAge est certainement apparenté au millénarisme chrétien.
• Dans une société qui a largement éradiqué les communautés
identificatrices (tribu, clan, lignage, et même à présent la famille
nucléaire) l’individu devient la seule instance qui peut être améliorée.
C’est dans cette logique que beaucoup de nos contemporains se lancent
dans le développement personnel. Bien que se présentant aux occidentaux
comme des techniques corporelles ou relationnelles, ces disciplines
ouvrent des dimensions éthiques et spirituelles. Elles sont issues de
cultures modelées par des religions particulières, les arts martiaux subtils,
relèvent de la métaphysique taoïste et le Hata Yoga, souvent présenté
comme simple gymnastique respiratoire, est relié à une cosmologie
hindouiste
112
.
Bien entendu ces courant sont critiquables sur de nombreux points, ils peuvent
être taxés d’éclectisme, de syncrétisme superficiel, d’exotisme ou de
sensationnalisme… Mais surtout on leur reprochera de flatter l’individualisme
112 D’ailleurs, l’idée qu’il puisse y avoir des disciplines autonomes, comme il pourrait exister des institutions
laïques est une idée typiquement occidentale, c’est-à-dire postchrétienne.
79
des lecteurs ou des pratiquants qui s’adonnent à ces activités spirituelles comme
on va au supermarché. Ces « techniques » sont nées dans des cultures holistes113
leur réutilisation dans un contexte individualiste relève du bricolage et parfois de
la trahison. Un de mes amis était un des rares traducteurs des lamas thibétains
qui séjournaient en France et il me faisait part de son scrupule : tout ce que
pouvait leur dire le « gourou » était inconsciemment réinterprété par les
auditeurs, en termes culturels chrétiens.

Pourtant, il faut reconnaître à ces « pratiquants », une ouverture au domaine
spirituel dans lequel ils entreprennent volontiers un « cheminement » (comme
dit la langue de buis). Plus que bien d’autres groupes de notre société, ils ne
seraient pas inaccessibles à un apostolat montrant qu’ils pourraient trouver dans
la tradition chrétienne ce qu’ils cherchent ailleurs. Ils savent au moins que l’état
dans lequel les enferme le « monde moderne » n’est pas l’état normal de
l’humanité. Ils aspirent à d’autres dimensions et faute d’avoir pu recevoir leur
tradition, ils la recherchent dans l’exotisme.
D’ailleurs, des mystiques chrétiens comme Hildegarde de Bingen ou comme
Maître Eckhart leurs sont moins inconnus qu’au paroissien standard. Ils ne sont
pas, a priori, hostiles au légendaire chrétien. Les personnes qui ont
spontanément redécouvert le christianisme après un détour par les Indes, le
bouddhisme, la kabbale ou le chiisme duodécimain sont assez nombreuses. Bien
entendu du fait de leur goût pour l’exotisme, ils seront plus sensibles aux icônes
et au chant grégorien qu’à une statue saint-sulpicienne en plâtre ou qu’à une
quête pour le CCFD.

Ce n’est pas avec n’importe quel « monde » que les clercs préconisent
« l’ouverture au monde ». Avec ces courants, l’Eglise se comporte comme si on
était toujours en Chrétienté et qu’il fallait préserver les fidèles des
contaminations exotiques ; elle ne semble pas trop se soucier des hérésies mais
combat bec et ongles ce qui semble s’opposer à la raison des modernes.

Imaginons un tel apostolat vers le public du « Nouvel Age » ; il n’échappera pas
au comparatisme entre les religions et les métaphysiques ; plus ils se feront à un
niveau élevé plus ces comparaisons seront pertinentes. Il faudra bien se
113 Holisme : une culture ne peut être réduite à une somme d’éléments qui la composent, ni une société à
l’ensemble des individus qui en font partie. La totalité qualifie le partiel.
80
confronter à des questions comme : « peut-on être chrétien et réciter des
mantras, embrasser les arbres et ouvrir ses chakras ? »
Dans ce domaine, des penseurs perennialistes (la sophia perennis) comme
Guénon, Schuon, ou même Simone Weil, des psychologues des profondeurs
comme C.G. Jung ou Gilbert Durand ou des historiens des religions comme
Georges Dumézil ou Mircéa Eliade ont su explorer des correspondances entre
les traditions, bien mieux que la plupart des « dialogues inter-religieux »
institutionnels qui restent souvent au niveau instrumentalisé d’un « dialogue
pour la paix dans le monde ».
Sauf pour quelques explorateurs de spiritualités (comme l’abbé Monchanin ou le
bénédictin Henri Le Saux), c’est par le petit bout de la lorgnette que les
chrétiens se posent le problème.
Le New Age ; face à ce phénomène social massif, l’appareil ecclésiastique n’a
pas préconisé le « dialogue » et « l’ouverture au monde » comme avec le
rationalisme, le marxisme, ou les revendications des minorités de « genre ». Les
modernistes tout acquis au « rationalisme » l’ont méprisé comme un reliquat de
la mentalité archaïque, les « progressistes » l’ont considéré comme un dérivatif
« petits bourgeois » permettant d’échapper à l’impératif de la Révolution, les
traditionalistes dénoncèrent l’hétérodoxie de ces courants, même quand les
problèmes ne viennent que des difficultés de traduction d’une culture à l’autre.
Quant aux « charismatiques », ils y voient exclusivement l’œuvre du diable.

La quête dispersée -hors de sa culture- de voies spirituelles dans tous les azimuts
est probablement liée aux sociétés cosmopolites114
, et certainement aussi, à la
carence d’une Eglise qui ne sait plus proposer de métaphysique et de mystique.
Les do (l’aïkido, le buschido, le zazen…) les yogas, et autres voies plus ou
moins initiatiques ne sont pas près de se fermer ; le succès des films « Star
Wars » ou « Dune » dans lesquels les maîtres Jedi et les sœurs du Bene Gesserit
cultivent leurs « super-pouvoirs » l’atteste. L’Eglise abandonnera-t-elle ces
« cherchants » aux sectes et parfois aux pires sectes ? Ou saura-t-elle exercer
114 Des phénomènes analogues ont probablement eu lieu entre les conquêtes d’Alexandre le Grand et la
conversion de Constantin, de l’époque hellénistique jusqu’à ce que le christianisme devienne la religion
officielle de l’Empire : diffusion des religions à mystère, du néoplatonisme, de l’hermétisme et des gnoses, Il
semble que ce cosmopolitisme spirituel n’ait pas trop mal réussi au christianisme (Saint Augustin fut gnostique
avant de devenir chrétien).
81
avec délicatesse son traditionnel charisme de discernement auprès des brebis
plus ou moins égarées ?
115
A ma connaissance, les auteurs qui présentent la tradition chrétienne, au moins
au même titre que les autres voies, sont toujours des chrétiens en marge de
l’institution ecclésiale comme Marie-Madeleine Davy, Annick de Souzenelle ou
Frédéric Lenoir. Les clercs continuent de s’abstenir (ou alors ils sont très
discrets) comme si la chrétienté était toujours en situation de monopole et que
seules les idées de la « modernité »
116 étaient dignes qu’on « dialogue » avec
elles. Or bien d’autres courants risquent d’émerger dans la postmodernité.
Le marché des « spiritualités » est florissant ; l’Eglise pourrait quand même, au
moins, y proposer ses produits. L’ave Maria ou la « prière de Jésus » (cf. « les
récits du pèlerins russe »), valent bien les mantras.
La société contemporaine cosmopolite, déstructurée, anomique, a pas mal de
traits communs avec le monde méditerranéen à l’époque des premiers chrétiens.
Après Alexandre les populations et leurs mythologies se mêlent dans de
multiples syncrétismes. L’hermétisme, les gnoses, les religions à mystère se
multiplient dans la période hellénistique et dans l’Empire romain. Le
christianisme est l’une d’entre elles et dans ce contexte d’échanges et de
compétitions spirituelles, il s’en est très bien tiré.
Bien sûr, avec l’aide de Constantin et de Théodose ; comme plus tard, c’est par
l’aide de Clovis, qu’en Occident, les fondements de la Chrétienté ont été posés.
L’apologétique contemporaine jette un voile pudique sur ce « politique
d’abord » alors que jadis elle exaltait comme providentielle l’alliance du trône et
de l’Autel.
f. Le jeu des quatre familles
Quatre courants se partagent l’Eglise de France : les progressistes, les
modernistes, les charismatiques et les traditionalistes. Attention ! Je ne prétends
pas donner ici, le verdict du jugement dernier, je ne juge pas les consciences.
Cette typologie qu’on pourra juger trop schématique a pourtant un intérêt
heuristique « d’idéal type ».
115 En fait, la confrontation avec d’autres traditions, mêmes si elles sont réinterprétées, libère un peu l’adepte
des conditionnements de la modernité qui le réduisent à la condition anomique de consommateur/électeur/
salarié.
116 C’est-à-dire le rationalisme (ou désenchantement su monde), l’individualisme (on ne présente le salut qu’en
terme individuel) et la croyance au Progrès (bienfaisant, nécessaire et linéaire).
82
• Les progressistes, je veux dire ceux qui croient que le Salut n’est pas autre
chose que la Révolution et que l’Eglise a pour fonction d’inciter les
hommes à travailler à un Nouveau Monde. Le Ciel, la Jérusalem Céleste
n’étant que la métaphore du monde « plus juste et plus fraternel » qui
résultera de l’action des hommes. L’Esprit Saint, qui ressemble à « l’âme
du monde » de Hegel, se manifeste dans les effervescences des peuples
appelées « signes des temps ». Le Progrès étant la Raison qui travaille
l’Histoire de l’humanité.
Au fond, le progressisme qui a dominé l’Eglise de France et d’Occident à
la fin du XXe siècle, est la résurgence du vieux millénarisme chrétien qui
depuis Joachim de Flore, traduit l’impatience des fidèles devant le
Royaume qui tarde tant à s’établir. Deux mille ans déjà… Les zélotes se
révoltent pour ne pas s’assoupir.
Le progressisme a aujourd’hui du plomb dans l’aile ; au bout d’une
génération, la bulle semble avoir éclaté. Certains ont quitté l’Eglise pour
combattre l’injustice dans le monde ; ils ont été les « compagnons de
route » rêvant de l’URSS, de la Chine de Mao, ou de Fidel Castro comme
d’autres ont pu rêver dans la division Charlemagne, mais ces modèles se
sont écroulés comme le mur de Berlin. Certains, plus « modérés » ont cru
pouvoir réformer le monde en fondant la CFDT, en s’engageant dans les
réseaux Rocard, dans la « 2
e Gauche », ou encore dans l’agitation TiersMondiste117, ils se sont retrouvés au XXIe siècle, désillusionnés, comme
porte-serviette dans quelque ministère.
Les progressistes qui sont restés dans l’Eglise, ont vieilli et ne se sont pas
reproduits. Le petit nombre de leurs enfants ne sont pas pratiquants et
leurs petits enfants ne sont même pas baptisés. Et « Témoignage
Chrétien » a cédé la place au confidentiel « Golias » crachant le
ressentiment de cette génération118
.
Faut dire que le progressisme surfait sur la vague d’une des croyances les
plus fondamentales de la modernité : le mythe du Progrès. Or, au XXIe
siècle, la vague s’est inversée.
Le progressisme est aujourd’hui presqu’en déroute. Quand viendra la
prochaine vague millénariste et sur quel thème (écologiste,
117 Celui qui vendait « Croissance des Jeunes Nations » dans les églises a dû être bien amer quand il a constaté
que les pires méthodes capitalistes ont plus contribué à la croissance de la Chine que tant de discours
« généreux » sur la faim dans le monde.
118 Dont j’apprécie le fait qu’il ne pratique pas « la langue de buis ». Son Trombinoscope des Evêques de France
permet de saisir quels sont les rapports de force dans l’appareil ecclésiastique..
83
apocalyptique…) ? Je ne sais. Pour l’heure, c’est plutôt dans l’aire
musulmane que ce manifeste le phénomène.
• Les modernistes, c’est une catégorie qui ne coïncide pas totalement avec
le modernisme condamné par Saint Pie X. A l’époque du Christ le
sacerdoce et le contrôle du Temple de Jérusalem étaient dominés par les
Sadducéens qui, refusant de reconnaître une Tradition orale, n’adhéraient
qu’à la lettre des écritures. Ils ne croyaient pas, par exemple, à la
résurrection des corps. Cette élite sacerdotale était très influencée par la
pensée hellénistique qui depuis les conquêtes d’Alexandre dominait cette
partie du monde.
Comme les sadducéens, les modernistes tiennent les rênes de l’Eglise en
France, non seulement la majorité de l’épiscopat, mais aussi l’appareil
bureaucratique qui l’accompagne, les directions de séminaires, les
théologiens en renom et les organes de presse quasi-officiels comme La
Croix, RCF, etc...
Après tout, il ne faut pas trop en demander à ceux qui se considèrent
comme les successeurs des apôtres, c’est-à-dire d’un groupe d’hommes
dont le chef trahit le Christ par peur des commérages d’une servante. A
chaque, crise (persécutions dans l’Empire romain, schisme anglican,
constitution civile du clergé, église patriotique chinoise) seule une partie
d’entre eux surent témoigner par leur martyr.
Les modernistes se sont alliés aux progressistes durant la période de la fin
du XXe, mais ce ne fut pas toujours le cas : lors des effervescences
millénaristes médiévales (Lollards, Franciscains « spirituels », Albigeois)
l’appareil ecclésiastique semble plutôt camper du côté de la répression.
Les progressistes du XXe siècle s’appuient sur une version enthousiaste
du Progrès, la Pentecôte, les « sauts qualitatifs brusques », l’apocalypse.
Au contraire, les modernistes, héritiers des « Lumières », professent une
conception rationaliste dont ils attendent de tranquilles progrès. Les
modernistes sont des sceptiques. Comme les sadducéens, les modernistes
sont sourdement hostiles aux manifestations tapageuses du surnaturel.
C’est le plus souvent malgré la résistance des Evêques que les apparitions
mariales, authentiques ou non, se sont imposées ; les courts circuits
miraculeux ne peuvent qu’inquiéter (réveiller ?) les gardiens de la
hiérarchie qui relie (ou éloigne ?) la terre au Ciel. Les modernistes sont les
84
plus partisans de « l’ouverture au monde » parce qu’ils en ont déjà
assimilé les fondements.
• Les charismatiques, catégorie qui coïncide peu ou prou avec ce qu’on
appelle « les communautés nouvelles », les charismatiques, au contraire
des modernistes recherchent les manifestations les plus explicites
possibles du surnaturel (les charismes). Comme les Pentecôtistes en
milieu protestant, en milieu catholique, les charismatiques ne se
contentent pas des structures fonctionnelles (bureaucratiques ?) ; ils
préfèrent les rassemblements en communauté autour d’un chef
« charismatique » parfois comparés à des gourous. Dans nos contrées
égalitaires, le terme de « gourou » est péjoratif ; je ne vois pas
pourquoi119. En général, la relation maître/disciple structure la plus grande
partie des religions pratiquées avec exigence, en Extrême Orient, aux
Indes, dans le soufisme, dans le chamanisme et même dans la « direction
de conscience » du christianisme.
Comme les progressistes, les charismatiques ont besoin d’enthousiasme ;
les deux catégories font de l’Esprit Saint le moteur de leur flamme, mais
leur ferveur ne se recoupe pas ; les uns, se situent imaginairement sur la
scène historique et mondiale de l’Humanité, les autres sur la guérison
spirituelle, psychique et physique des personnes.
Pour les traditionalistes, l’origine protestante Pentecôtiste des « chachas
dévisseurs d’ampoules » était un peu suspecte ; comme ils avaient le sens
du sacré, les traditions de l’Eglise latine ayant été interdites par « l’esprit
du concile »
120, ils se sont tournés vers les formes encore plus hiératiques
119 C’est par la relation que les consciences changent (transfert et contre-transfert). Ce n’est pas sans risque : il
y a probablement une pathologie professionnelle du gourou. Comme il est plus prudent que le thérapeute soit
régulé par une « école » et par un superviseur, la tradition de l’Eglise avait élaboré des usages prudents pour ne
pas trop mêler les moines et les moniales, les clercs et les laïcs, les adultes et les enfants. Dans l’enthousiasme,
croyant être parvenus à la Jérusalem Célestes (« au Ciel, il n’y a ni homme, ni femme… »), les communautés
nouvelles ont souvent négligé ces précautions et accablé les fondateurs sous les projections positives. La
situation n’est pas sans risque (cf. Céline Hoyau La trahison des Pères Bayard 2021).
120 Assez curieusement « l’esprit du concile » que d’autres ont appelé « concile des médias » s’oppose
directement aux textes sur la liturgie que les Pères ont voté : « Enfin, obéissant fidèlement à la Tradition, le
saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites
légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières ; et il
souhaite que, là où il en est besoin, on les révise entièrement avec prudence dans l’esprit d’une saine tradition
et qu’on leur rende une nouvelle vigueur en accord avec les circonstances et les nécessités
d’aujourd’hui... L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins (36.1)… On
veillera cependant à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble, en langue latine, aussi les parties de
l’ordinaire de la messe qui leur reviennent. (54) L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la
85
des Eglises d’Orient (icônes, métanies, petits bancs qui permettent de
s’assoir et d’être à genoux,). Quand les « chachas » se mettaient à
« chanter en langue », cela pouvait décontenancer les « tradis » et pas
qu’eux.
Mais les charismatiques avaient vraiment le sens du sacré et la plupart des
communautés se sont ralliées à une théologie très classique. Si bien
qu’assez vite les « chachas » et les « tradis » se sont retrouvés alliés ; on a
même forgé un terme pour décrire ce phénomène de continuité entre les
gardiens de la tradition et les revivalistes : les « tradismatiques ».
Cependant le charismatique s’appuie d’abord sur l’expérience personnelle
quand le traditionaliste professe la Foi la moins subjective possible,
• Les traditionalistes se veulent des gardiens de la Foi qu’ils perçoivent
comme menacée par les hérésies. La Foi de l’Eglise, fondée sur la
Révélation et la Tradition121 qui n’est pas confondue avec la croyance,
ensemble de projections qui varient tant en fonction des personnes et des
circonstances. Ce sont des fidèles et, même les moins instruits dans la
doctrine et l’histoire de l’Eglise, rejettent les innovations liturgiques et
s’attachent aux usages reçus qui, pour eux, traduisent le plus fidèlement
cette Foi : « lex orandi, lex credendi ».Or, il m’apparait que le décalage
entre la croyance ordinaire prêchée par l’Eglise et la liturgie de cette
même ( ?) Eglise augmente de façon inquiétante, même quand on prend
en considération les rituels « d’après le concile ».
g. Encourager dans l’Eglise ce qui donne des fruits
« La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est
devenue la pierre d'angle » (Psaume 117)
Les modernistes et progressistes accusent ceux qui ne se rallient pas de bon
cœur à la « nouvelle messe » de ne pas avoir le sens de l’unité ; il y a là un vrai
quiproquo car le « tradi» est au contraire très attaché à l’unité mais
diachroniquement, dans le temps. La Foi de nos Pères, des apôtres et des saints
liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la
première place.(116) CONSTITUTION SUR LA SAINTE LITURGIE SACROSANCTUM CONCILIUM
121 C’est pourquoi ils sont souvent perçus à tort, comme fondamentalistes et passéistes.
86
lui importe plus que le dernier décret du moderniste ou le « signe des temps » du
progressiste dans lesquels, loin de voir « le souffle de l’Esprit », il soupçonnera
les projections subjectives et l’infestation des idéologies mondaines voire
démoniaques.

Le traditionalisme ne se réduit pas à la « Fraternité Saint Pie X » (même si ses
membres prétendent parfois incarner exclusivement « la » Tradition), d’abord
parce qu’il précède le mouvement fondé par Mgr Lefèbvre122 (par exemple, la
revue Itinéraires de Jean Madiran, ou la CRC, Contre-Réforme Catholique de
l‘abbé de Nantes). Devant le risque de schisme suscité en 1988, par le sacre de
nouveaux évêques par Mgr Lefebvre, valides mais illicites car sans approbation
romaine, plusieurs communautés se détachèrent de la mouvance lefebvriste.
En France, sans prétendre à l’exhaustivité, on dénombrera les organisations
« Ecclesia Dei » comme la FSSP (Fraternité Saint Pierre), l’Institut du ChristRoi Souverain Prêtre, rejoints par l’Institut du Bon Pasteur123 auquel on pourrait
adjoindre les Missionnaires de la Miséricorde Divine (de droit diocésain). En
outre, un grand nombre de monastères et d’abbaye relèvent du courant
traditionaliste : les bénédictins (Fontgombault, Le Barroux, Triors, Randol, etc.),
les Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu (Lagrasse), les dominicains de la
Fraternité Saint Vincent Ferrier (Chémeré-le-Roi) et les dominicaines du Saint
Esprit (Pontcallec), l’Institut de la Sainte Croix (Riaumont) etc. Il faut encore
considérer les prêtres diocésains qui ont reçu de leur évêque l’autorisation de
célébrer la messe selon le rite tridentin (ou « extraordinaire »). Autour de ces
pôles, ou indépendamment d’eux se sont constitués un grand nombre
d’associations de laïcs.

Pour ces organisations, comme pour les rites propres aux Eglises d’Orient, le
marqueur d’identité est l’attachement au rite tridentin124 de l’Eglise romaine. La
hiérarchie se plaint du non-ralliement de ces tradis aux rites de Mgr Bugnini
(dite de Paul VI). A présent, le rite traditionnel a été maintenu durant deux
générations, c’est un fait dont il faut accepter la réalité des deux formes de
rituels au sein de l’Eglise latine, comme de la diversité des Eglises apostoliques
122 Cf. Yves Chiron Histoire des traditionalistes (Tallandier 2022)
123 « qui dispose, dans ses constitutions, du droit d'effectuer une « critique constructive » du concile Vatican II »
124 Ils connaissent surtout la théologie « classique » (c’est-à-dire déjà « moderne » dans son formalisme
conceptuel) d’après le Concile de Trente, plus que celle qui, des Pères apostoliques jusqu’aux théologiens
scholastiques s’appuyaient plus sur les analogies symboliques. D’où leur réputation de « fort en thème » aux
dépens de leur sens poïétique.
87
d’Orient ; il ne disparaîtra pas par pression de l’autorité. Quand le tube est vidé,
on ne peut faire revenir le dentifrice dans le tube. En revanche le risque d’un
schisme est réel. Benoit XVI en avait conscience ; est-ce le souhait de François ?

Mais pour ma part, j’étendrais le traditionalisme bien au-delà de ces frontières
liturgiques. La rupture liturgique brutale des années 60 a forcé bien des
paroissiens (trop éloignés des lieux où se maintenait le culte ancien) et encore
plus, les communautés monastiques tenues au vœu d’obéissance, de suivre la
liturgie nouvelle. En outre des convertis125après les années 80, n’ayant connu
que la liturgie nouvelle, ont reconnu la messe dans la messe de Paul VI.
Même s’ils râlent contre les erreurs dans la messe dominicale et la mauvaise
administration des rites, « revenir au latin » serait pour certains un arrachement.
Il est normal que la gratitude, la piété se manifeste non seulement vis-à-vis de la
Grâce reçue, mais aussi vis-à-vis des canaux formels qui ont transmis cette
Grâce. Or, si ces canaux liturgiques sont contingents, ils constituent des repères
essentiels pour chaque fidèle déterminé par des circonstances culturelles et
historiques qui lui sont particulières126
.
Le traditionalisme est donc une mentalité que l’on peut retrouver en dehors de la
liturgie tridentine.
Trois exemples : les prêtres séculiers de la Communauté Saint Martin portent
soutane, ils célèbrent la messe de Paul VI avec ferveur, parfois en latin ; les
Frères de Saint Jean relèvent la tradition dominicaine, et il me semble que la
vocation de l’Opus Dei ressemble à celle de l’Ordre des Jésuites.
Anarchiquement, les dominicains avaient explosé à la fin du XXe siècle127
,
beaucoup plus disciplinés, les Jésuites (de France en tout cas) s’étaient
presqu’ouvertement révoltés, malgré leur vœu particulier d’obéissance au
125 Convertis par le zèle des « communautés nouvelles », ou non.
126 Décidément, à la Pentecôte, le choix de prêcher à tous les peuples, ce que chacun entend dans la langue de
sa nation met l’Eglise dans des situations bien paradoxales. Pour l’Hindouiste, il faut que votre karma vous
fasse naître aux Indes pour pouvoir y prétendre, pour les Juifs (contemporains), c’est d’être né d’une mère
juive, pour les musulmans, l’apprentissage de la langue coranique et de la culture arabe est absolument
nécessaire. Le chrétien prêche comme il peut, en espérant que son interlocuteur comprenne. Quelle confiance
dans la puissance de l’Esprit-Saint ! Seul un traducteur divin peut concilier l’unité du sens et la diversité des
cultures.
127

Yann Raison du Cleuziou, dans sa thèse « La remise en cause du caractère dominicain de la forme de vie

conventuelle dans la Province de France durant les années 1960 » constate qu’à cette époque, la moitié des
dominicains de la Province de France a défroqué.
88
Pape128. J’ai le sentiment que, de chacun des grands ordres de l’Eglise en crise, a
rejailli un doublon traditionaliste.

On les accuse parfois d’être repliés dans leurs chapelles129
, et des traditionalistes
se considéreraient volontiers comme le dernier carré des fidèles avant
l’apocalypse130. Mais des vagues de convertis de toute sorte (SDF, anciens
francs-maçons, Antillais…) viennent déranger le bel ordonnancement de leurs
habitudes ; par ailleurs, on doit constater qu’ils maintiennent les œuvres
missionnaires en pays lointains comme sur le territoire français (Cf. les
Missionnaires de la Miséricorde Divine consacrés à la conversion des
musulmans). Le grand nombre des jeunes vient aussi contredire l’image
vieillotte qu’on voulait coller aux tradis. (Cf. le MJCF ou le pèlerinage de
Chartres à la Pentecôte).

La composition actuelle de l’Eglise ressemble au lit d’un torrent. Le sable et les
petits cailloux sont emportés par la crue du torrent ; les gros rochers tiennent
encore.
Au fur et à mesure que la société française se sécularise (2% de pratiquants), la
composition sociale de l’Eglise visible se modifie.

Est-il si caricatural de constater que les progressistes et les modernistes ne font
pas d’enfants, et que, quand ils en ont, ils ne leur transmettent pas la Foi ? Ce
n’est le cas pour les charismatiques et surtout pour les traditionalistes. Par
« conformisme » moral, ils se marient et engendrent des familles nombreuses
voire très nombreuses. Pour certains qui organisent des cousinades, le lignage
n’est pas un usage dépassé. Alors qu’une grande partie des contemporains sont
réduits à l’état d’individus, les tradis, parce qu’ils résistent (un peu) à la
modernité, connaissent moins que les autres cet état anomique131 qui fragilise les
128 Je me souviens d’un jésuite qui râlait contre Jean-Paul II qui leur avait imposé un nouveau Général des
Jésuites : « s’il continue, nous allons lui faire le même ramdam qu’à Paul VI ; après Humanae vitae, il n’a plus
osé sortir une encyclique ».
129 Quelquefois des garages ou des cinémas réaménagés. L’appareil ecclésiastique si imbu d‘œcuménisme, n’a
pas la charité de leur laisser une église en surnombre…
130 Les lefèbvristes croient plus à la proximité de l’Apocalypse que les Eccésia Dei, et moins que les
sédévacantistes (qui considèrent qu’il n’y a plus de Pape à Rome, certains depuis Pie XII).
131 Anomie : désorganisation sociale résultant de la carence de normes communes.
89
identités et les relations. Par certains aspects, ils ressemblent à ces immigrés
issus de sociétés traditionnelles qui pour subsister, comptent plus sur les
solidarités familiales (ou tribales) que sur les institutions publiques.
En outre, ces tradis plus sensibles que les autres aux valeurs familiales132
,
élèvent peut-être moins mal leurs enfants et tentent (souvent avec succès) de leur
transmettre une Foi qui ne sera pas réduite à une croyance, une morale pas trop
subjective, et des habitudes de vie compatibles avec la pratique de la religion.

L’Eglise catholique romaine, en optant pour le célibat des prêtres, a évité que se
constitue une caste sacerdotale héréditaire comme c’est la tendance dans la
plupart des religions du monde. Le clergé se recrutait théoriquement dans tous
les états de vie. Mais en réalité pendant longtemps, entrer dans les ordres était
une promotion sociale (peut-être la matrice de la méritocratie des sociétés
occidentales). Un paysan comme Gerber pouvait devenir Pape et encore au
XIXe siècle et au début du XXe des régions rurales étaient réputées pour
« produire » des curés (la montagne béarnaise, l’Aveyron, le Léon en
Bretagne…). Avec la paysannerie, ces sources de vocations se sont taries. Il
reste encore la noblesse (on remarquera le nombre de patronymes aristocratiques
dans le clergé), et la part de la bourgeoisie qui aspire à vivre en suivant les codes
de la noblesse (où le fric n’est plus la préoccupation première).

Le sacerdoce constitue un engagement à long terme, or, aujourd’hui, les jeunes,
élevés dans un contexte anomique sont mal préparés à de tels engagements : on
se marie moins et tardivement, on adhère moins à un parti politique, on hésite
aussi à choisir un métier pour tout le reste de sa vie133. Les vocations religieuses
sont plus « engageantes » que les autres. Où est-on éduqué à s’engager et à tenir
ses engagements ? Dans l’armée, dans le scoutisme, et dans certaines familles…
Les trois se cumulant facilement d’ailleurs. Sinon l’atomisation des individus les
rend malléables comme le sable, on parle encore de sociétés liquides…
132 Ce sont eux qui constituent les gros bataillons des mouvements anti-avortement ou anti-mariage gay de
« Laissez les vivre » ou de « la Manif Pour Tous ».
133 Comme l’a justement observé le Père Jacques Anelli coordonnateur du Service National des Vocations, Paris
90

Les médias font écho aux pleurs des progressistes sur le déclin de leur influence.
Pour l’espérer ou le craindre, les observateurs constatent une « droitisation »
134
de l’Eglise de France. Comme le constate le sociologue Yann Raison du
Cleuziou, « il faut s’attendre à ce que la radicalisation droitière des catholiques
soit durable ». (La Croix 12/04/2022)

Je ne parviens pas à trouver les dernières statistiques sur les ordinations en
France, mais il est notoire que le nombre des séminaristes en provenance des
communautés nouvelles et des communautés traditionalistes dépasse ceux qui
n’ont pas d’autre attache que le cadre diocésain.
Autre « indicateur » du phénomène : les séminaristes issus des « Scouts de
France », s’ils existent, ne doivent pas être nombreux. C’était pourtant le
mouvement officiellement patronné par l’Eglise de France. Et qui avait suivi
l’esprit des années 60 et 70. Ces réformes du scoutisme ont donné lieu à une
série de « schismes » pour maintenir l’esprit du scoutisme traditionnel (Scouts
d’Europe, Scouts Unitaires de France, Scouts Saint Georges, etc.), l’épiscopat a
fini par accepter de leur attribuer des aumôniers (parfois avec réticence). Or, une
grande partie des séminaristes contemporains viennent de ces organisations
schismatiques qui voulaient garder les traditions du scoutisme.

On se retrouve donc dans une curieuse situation où l’appareil ecclésiastique est
encore largement composé de membres de la génération des années 70 (les
« boomers »), ou plutôt des « modernistes » ou des « progressistes » modérés,
ceux qui ont su « s’accrocher » aux structures ecclésiales quand leurs confrères
« défroquaient »
135
.
Mais la source « progressiste » s’étant tarie, et à partir d’un jeune clergé « à col
romain », il a bien fallu entre-ouvrir les postes de responsabilité aux « modérés »
des traditionalistes : communauté Saint Martin, communauté de l’Emmanuel,
etc. En revanche, un « plafond de verre » institutionnel empêche les
134 Le mot venu du monde politique est déplaisant, mais c’est comme ça que les journalistes l’expriment en
s’étonnant que l’institution ecclésiale fasse moins souvent qu’avant 2022, campagne contre « l’extrême
droite », et qu’une proportion significative des catholiques pratiquants votent pour Eric Zemmour.
135 Cf. Dans L’ivresse et le vertige, Vatican II, le moment 68, et la crise catholique 1960-1980 (Desclée De
Brouwer 1921), Yvon Tranvouez évoque la fin des petits séminaires de Bretagne comme « une modernisation
réussie qui a abouti à la liquidation tranquille, et parfois joyeuse, de l’institution qu’elle avait pour objet de
perpétuer ». Cette liquidation est emblématique de « l’autodestruction » (le mot est de Paul VI le 7/12/1968)
de l’Eglise opérée à cette époque.
91
traditionalistes attachés à la liturgie tridentine d’accéder à des postes de
responsabilité.

Selon les diocèses et les ordres, la persécution des « tradis » a été plus ou moins
intense. Les pontificats de Jean-Paul II et de Benoit XVI ont amorcé des
mouvements de réconciliation ; mais on ne peut pas dire que l’épiscopat en
France ait mis un grand zèle à appliquer le Motu Proprio de Benoît sur le droit
de faire usage du rite « extraordinaire » comme celui du rite « ordinaire ».
Depuis le pontificat du Pape François, et du motu proprio « Traditionis
custodes », annonçant la fin de la liturgie tridentine, la persécution des
traditionalistes a repris, appliquée avec plus ou moins de rigueur formaliste
selon les diocèses.
Je suppose que la peur de voir se créer, au sein de l’Eglise romaine136, comme
chez les anglicans, une « Haute Eglise » et une « Basse Eglise » a été une des
raisons de ces répressions. Il est vrai que dans toutes les religions, des rites
différents manifestent des mentalités différentes. Mais c’était un risque qu’il
fallait prendre en compte dans les années 60, avant d’engager la « révolution
liturgique ». A présent, la séparation est faite, et on ne la fera pas disparaître par
un acte d’autorité.
Au contraire, il faudrait non seulement tolérer, mais encourager les différentes
manifestations du traditionalisme et des « communautés nouvelles » d’où
provient, actuellement, la sève dont se nourrit l’Eglise de France. Le contraire ?
Ce serait scier la branche sur laquelle repose de plus en plus, l’existence-même
de l’Eglise en France.
h. Rétablir la structure initiatique du catholicisme
« S’ouvrir au monde », c’est le mot d’ordre lancinant qui sous-tend la pastorale
de l’Eglise depuis plus de deux générations. En vain. Pourquoi s’obstiner dans
une voie qui aboutit à ce que 9 fidèles sur 10 abandonnent l’Eglise ?
A force « d’ouvrir les portes » il n’y aura plus de murs, je veux dire plus de lieu
consacré, plus de sacré…
136 Je suppose que les Eglises catholiques d’Orient, doivent considérer ce « jacobinisme » liturgique avec
méfiance, comme une menace pour leur propre tradition.
92
Le monde a sans doute besoin de l’Eglise, mais pourquoi aurait-il besoin d’une
Eglise qui n’est pas différente de lui ? Le « besoin » de la Foi sera plus éveillé
par le « scandale » d’une Eglise « différente », que par des appels qui reprennent
(avec retard) des positions (sur la tolérance, sur le vaccin anti Covid, sur « la
place de la femme », ou sur les réfugiés d’Ukraine ou d’ailleurs, qu’on pourrait
lire sur « Paris-Match » ou sur « Libération »)
Dans trop de ses manifestations, l’Eglise semble « à la traîne » du monde.

Les organisateurs naïfs « d’événements », de rencontres, font imprimer sur les
invitations : « Venez nombreux ». Ils expriment ainsi leurs vœux, mais cela n’a
jamais fait se déplacer les foules. Au contraire, le marchand habile suggère qu’
« il n’y en aura pas pour tout le monde » ; ou que « la soirée est réservée » ; ou
encore que « pour faire partie de cette société, il faut être coopté ».
La vraie séductrice n’étale pas ses appâts (comme aurait écrit Racine), elle
suggère et cache à la fois. Le désir méprise ce qui lui est trop facilement offert et
rêve sur ce qui pourrait lui échapper. En outre, la démagogie des politiciens,
comme les « hameçons » des prostituées, peut donner à l’électeur comme au
client, le sentiment qu’on doit bien les mépriser pour avoir recours à de si
médiocres arguments.
C’est un peu le sentiment que j’ai lorsque l’Eglise se fait racoleuse
particulièrement avec les « jeunes » : messes-laser, utilisation systématique du
«globish » comme « Isèreanybody : la pastorale des jeunes adultes »
137
.
Et si, comme les badges du scoutisme, on présentait la Foi comme série
d’obstacles à franchir pour manifester sa qualification, n’y aurait-il pas plus de
succès ?
Il ne faut pas majorer la dimension initiatique du christianisme138, mais il ne faut
pas l’ignorer non plus comme on a trop tendance à le faire dans les sociétés de
chrétienté.

Au IIIe
siècle, Celse accusait déjà le christianisme d’être une religion à secret
comme les mystères grecs et romains ; mais c’est au IVe siècle que se généralisa
137 Il est très difficile de justement ’utiliser les codes générationnels. Mes parents disaient « c’est épatant »,
dans mon enfance on disait « c’est formidable », plus tard on a dit « c’est à s’tap » (à se taper le derrière par
terre ) puis « c’est chouette », ou encore « c’est bath » ou « c’est cool », voire « ca me déchire », « on
s’explose ». La mousse de l’écume se dissout, et vouloir être à la mode est un travail épuisant car les modes
changent et de plus en plus rapidement.
138 Cf. : Jean Borella Esotérisme guénonien et mystère chrétien (L’Harmattant 2017)
93
« la discipline de l’arcane ». A cette époque, en principe, même les
catéchumènes ne devaient pas entendre le « Notre Père » avant leur baptême139
.
Au VIe siècle, cette pratique semble disparaître, l’Empire étant devenu chrétien.
Mais il en reste quelque chose dans la liturgie byzantine, (où le diacre proclame
« les portes, les portes !» comme pour écarter les non-baptisés d’assister à la
consécration) et dans la liturgie romaine où l’on distingue la messe des
catéchumènes (centrée sur l’enseignement des textes et l’homélie) de la seconde
partie (ou messe des fidèles). L’exigence pour les catéchumènes de sortir, est
encore proclamée dans les liturgies arménienne et chaldéenne.
« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant
les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne
vous déchirent » (saint Matthieu 7,6). Saint Paul écrit : « Vous avez encore
besoin qu’on vous enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu, vous en
êtes venus à avoir besoin de lait et non d’une nourriture solide» (épître aux
Hébreux 5,12-13).
Au XVIIe siècle le terme de « discipline de l’arcane »
140 a été utilisé pour
comprendre pourquoi, la formalisation (écrite) des dogmes les plus
fondamentaux du christianisme a été relativement tardive. La doctrine existait
depuis les Apôtres mais elle était gardée secrète et surtout donnée sous forme de
tradition orale, source de la Tradition.

En chrétienté, antique, médiévale et même moderne, le baptême est donné aux
petits enfants, la discipline de l’arcane ne se justifie plus (les orthodoxes allant
jusqu’à donner la chrismation et l’eucharistie en même temps que le baptême).
Mais il n’est pas impertinent d’y songer quand la majorité de la population n’est
plus chrétienne que par un héritage culturel qui se dissout et que les baptêmes
d’adultes se multiplient.
La « représentation » des sacrements et du mystère eucharistique aux regards
non préparés est une sorte de profanation qui dévalorise le mystère. Je pense aux
non baptisés incroyants qui suivent le mouvement et vont communier lors d’une
messe de mariage, je pense aussi aux personnes qui depuis la crise du Covid
assistent à la messe télévisée, affalés sur leur canapé.
139 Est-ce de là que vient l’usage pour le célébrant, dans la liturgie tridentine, de murmurer à voix basse les
parties « secrètes » du canon de la messe ?
140 Cf. Andrzej Dragula : « Nous faut-il une nouvelle « discipline de l’arcane ? » Théologiques(16/1 2008 p163-
177)
94
Quel que soit l’intérêt d’une reproduction, un disque ou une photo ne vaudront
jamais la mise en contact directe avec l’œuvre d’art. L’Eglise est réaliste,
l’Incarnation n’est pas une jolie métaphore et chaque sacrement, qui est un acte
matériel du Christ, exige une mise en contact du corps de celui qui reçoit la
Grâce avec la « matière » du sacrement : l’eau, l’imposition de mains, les huiles
saintes, la parole performative141, le pain, le vin…
Aussi dans les années 20, le Pape Pie XI interdit-il les messes radiodiffusées ou
l’usage de la radio en guise de sermon, comme d’ailleurs, la reproduction
cinématographique de la liturgie. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu parler de
quelqu’un qui se serait converti par la vision d’une messe réduite à un spectacle
télévisuel. Il ne s’agit pas de transformer l’Eglise en société secrète, mais il est
certainement possible voire nécessaire de faire de l’apostolat par les canaux
médiatiques, mais le mystère de la rencontre de l’Absolu au relatif, de l’Eternel
au mortel, du Créateur à la création ne doit pas être profané c’est-à-dire aplatie
comme une trivialité banale. Quand l’illumination est trop forte il faut mettre de
lunettes de soleil.

Si, lors des funérailles d’un Johnny Holliday le prêtre avait demandé au Chef de
l’Etat, aux politiciens et aux vedettes non croyants de sortir au milieu de la
cérémonie, cela aurait eu une certaine gueule. Cela aurait au moins freiné les
curés de prêcher la religion de Polnareff (« nous irons tous au paradis ») et
d’affirmer que dans la destinée post mortem, Dieu ne fait pas de différences
entre les baptisés et les autres.

L’initiation chrétienne comporte trois étapes : le Baptême, la Confirmation (ou
Chrismation chez les orthodoxes) et la Communion au corps et au sang du
Christ. La généralisation du christianisme dans la Chrétienté nous a fait perdre la
conscience de ce caractère initiatique de cette religion à mystère qu’est le
christianisme. Puisqu’il faut bien -au moins provisoirement – prendre acte de la
disparition de la chrétienté, il serait peut-être pertinent de donner toute sa force à
ce caractère initiatique, et pas seulement pour flatter la vanité des « élus » aux
sacrements.
Les orthodoxes reprochent aux catholiques de ne pas suivre le bon ordre de cette
initiation en mettant en deuxième position, l’eucharistie qui est la parfaite
participation au corps mystique du Sauveur. On pourra leur répondre que se
débarrasser du problème en « expédiant » les trois sacrements lors du baptême
141 Cf. John Langshaw Austin, Quand dire c'est faire, (Éditions du Seuil,1970)
95
n’est probablement pas un idéal pastoral. Mais il semble que les orientaux aient
raison sur l’ordre dans lequel doivent être donnés les sacrements.
Je sais bien que, à l’encontre des usages jansénistes pour lesquels, par respect on
ne communiait qu’à Pâques, Pie X avait souhaité un large et fréquent accès,
même aux petits enfants. Mais cela aboutit à ce qu’on ne sait plus bien comment
administrer la confirmation142
.
Ce qui complique encore les choses, c’est que dans les sociétés occidentales, par
absence de rite de passage143, s’est développé le phénomène des troubles
existentiels de l’adolescence144 ; c’est à cette période (qui s’élargit indéfiniment)
qu’un vrai rite de passage serait le plus pertinent en même temps qu’il serait
difficile à administrer.
Le baptême des bébés doit être donné sur l’initiative de la famille, la
confirmation pourrait se donner après une cooptation par les aînés déjà
confirmés (sur le modèle des initiations scoutes ou compagnonniques) car les
adolescents aspirent à « grandir » et sont prisonniers de leur classe d’âge. La
communion (sous les deux espèces, au moins la première fois) serait alors
proposée sur l’initiative du directeur de conscience.
Cela aurait l’avantage de dissocier l’aboutissement de l’itinéraire chrétien de
l’enfance dans lequel notre mentalité à tendance à confiner la dévotion.
Compte tenu de la difficulté pour l’Eglise de maîtriser les étapes de l’éducation
dans le contexte actuel, je crois que dans le domaine des sacrements comme
dans les autres, il ne faut pas sacrifier la cohérence symbolique, à la commodité
ou à l’habitude.
i. Organiser le communautarisme catholique
Les commentateurs ont facilement opposé « l’ouverture au monde » au « repli
sur soi ». C’est un sophisme.
La question pouvait se poser dans les pans subsistants de la chrétienté, pour les
« progressistes », ceux qui donnent le primat à l’action sur la contemplation et la
142 A l’époque des folies postérieures aux années 60, la confirmation était parfois devenue une sorte de
récompense que l’on donnait aux jeunes gens qui s’engageaient dans les structures progressistes.
143 Même le service militaire et le baccalauréat d’ailleurs trop tardifs, disparaissent ou s’effacent.
144 Cf. Les travaux de Philippe Ariès - L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Plon 1960)
96
prière. Mais en fin du XXe siècle, l’écroulement de la chrétienté s’est
précipité145
.
Dans un monde où le catholicisme devient très largement minoritaire, il ne
régule plus les mentalités que par l’inconscient historique des Français. A
l’imitation des maoïstes, les progressistes de la théologie de « l’enfouissement »
rêvaient de militants qui seraient dans la population « comme un poisson dans
l’eau ». D’où l’obsession de faire disparaître tout ce qui pourrait différencier :
soutane, tonsure, références chrétiennes, etc.
Malheureusement, dans un tel liquide déchristianisé, le poisson se révèle
soluble, biodégradable. On sait peut-être que tel ou tel politicien du PS a un
lointain passé catholique comme tel ou tel syndicaliste (agricole ou pas) ou
encore tel responsable associatif ; mais ils ne travaillent que pour la religion de
l’humanisme et ne se distinguent pas de ceux qui viennent de la francmaçonnerie ou qui sont aussi revenus de leur foi dans le communisme. Ils sont
devenus ce qu’Emmanuel Todd appelle des « zombies cathos, ce qui reste une
fois que la religion dominante a quitté la scène ». Pour le Royaume de Dieu que
peut-il jaillir de telles trajectoires ?

Les catholiques s’imaginent comme s’ils constituaient encore une religion
dominante qui par tolérance, laisserait aux autres religions et aux masses
indifférentes, la possibilité d’exister et de se manifester. C’est une illusion. Ils ne
sont en France tout au moins, qu’une petite minorité dominée, qui a de moins en
moins de place dans la société et (donc) dans les consciences, au fur et à mesure
que diminue leur influence.
Les théoriciens des sociétés colonisées ont montré que pour le dominé il y a
deux façons de disparaître. Il lui faut pour « exister » parler deux langues : la
sienne et celle du dominant. En ne conservant que la sienne, il perd la possibilité
d’agir sur le dominant ; mais en ne conservant que celle du dominant il disparaît.
Il faut donc connaître les codes et valeurs du monde moderne et deviner les
codes qui émergent avec la société post-moderne pour savoir en faire usage. Je
comprends parfaitement que Jean-Paul II s’appuie sur les « droits de l’Homme »
pour lutter contre le totalitarisme communiste. Mais au sein de l’Eglise faire
croire que l’idéologie « droitdel’hommiste » est identique à la Tradition
catholique aura été ruineux.
145 Cf. : Emmanuel Mounier Feu la Chrétienté (Desclée de Brouwer 1950) ou Chantal Delsol La fin de la
Chrétienté ( Cerf 2021)
97

Les dominants (majoritaires ou hiérarchiques) exercent toujours une pression sur
les dominés, pression allant de la persécution jusqu’à rendre enviable le modèle
des dominants. A présent que l’Eglise n’est plus dominante, il lui faut apprendre
comment ne pas se perdre dans une position dominée.
« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » promet le Christ (St. Matthieu
28.20). Mais il ne promet pas que toutes les Eglises locales subsisteront. Les
Eglises du Nord de l’Afrique, jadis si florissantes (les Pères du désert, St.
Augustin, etc.) a disparu ; après la Réforme, que reste-t-il de l’Eglise catholique
dans les pays du nord de l’Europe passés au luthéranisme avec Evêques, armes
et bagages ? Que reste-t-il du Patriarcat de Constantinople héritier de la
millénaire chrétienté byzantine ? Que resterait-il de l’Eglise dans les pays anglosaxons sans l’héroïque résistance des Irlandais ?
La plupart des Eglises d’Orient sont parvenues à subsister au sein d’un Islam
persécuteur, en « repliant les voiles », c’est-à-dire en acceptant « sagement »
leur « dhimmitude » et en renonçant à tout apostolat en dehors de la
communauté. Il est des cas où le « repli sur soi » est la seule façon de survivre.
Actuellement ce n’est pas l’Islam qui menace l’Eglise en France et en Europe
occidentale146
- ce ne sera peut-être plus le cas dans cinquante ans ou dans un
siècle -, c’est cette hérésie chrétienne que j’appelle la « modernité ».
Comment est-il possible pour une Eglise minoritaire d’exister dans une société
« ouverte », humaniste, libérale, démocratique, individualiste et doucement
totalitaire ?
Il est sans doute possible de jouer des principes-mêmes de cette société pour
défendre la « liberté » des croyants à pratiquer leur croyance à condition qu’elle
reste bien « personnelle ». Mais cette défense tactique est bien fragile devant la
pression globale de la « société libérale avancée » sur les mentalités et le
bombardement permanent de la publicité, des médias, et des valeurs
individualistes (appelées suivant les cas « valeurs de la République » ou
« valeurs de l’Union européenne »).

146 Au contraire peut-être, l’Islam est-il en train de réveiller par son « intolérance » aux perversions des mœurs,
par son refus de soumettre la loi de Dieu (la sharia ) à la loi de la République, par son intransigeance sur le
caractère absolu de la Transcendance, est- il en train de réveiller les chrétiens.
98
En outre, nous ne sommes pas dans la même situation qu’aux USA, où l’Eglise
catholique est une communauté religieuse « légitime » parmi bien d’autres qui
savent parfois s’allier pour constituer un contre-pouvoir culturel et politique147
.
Mais dans les pays anciennement de chrétienté, le système dominant n’a pas
toujours autant de « tolérance ». A la Renaissance, il s’est constitué « à côté » de
la Tradition catholique, et vite, à la fin du XVIIIe, contre elle. Les lois laïques
du début du XXe siècle sont des armes de combat contre l’Eglise, et de combat à
long terme.
Et nous ne pouvons espérer que le Régime tolère les catholiques résiduels, que
dans la mesure où ils cantonneront leurs convictions dans l’assoupissement de
leur « vie privée » (c’est d’ailleurs ce à quoi nous a accoutumé l’Eglise de
France). Regardez comment sont réprimés les manifestations et même les
prières publiques qui protestent contre « le droit à l’avortement » ou comment
l’interdiction de l’objection de conscience s’étend à toutes les professions
médicales. Il y a un « droit au blasphème » contre Dieu, mais qu’il ne faut tout
de même pas étendre jusqu’aux idoles de la « culture de mort ». Le droit de
l’individu qui se fait Dieu, ce droit-là est absolu… et s’il le faut, on vous
obligera par l’éducation, par les mœurs et par la Loi, à devenir « libres ».
En outre, la difficulté à « communautariser » l’Eglise catholique dans une
société sécularisée vient précisément de son ancien statut hégémonique. Une
« majorité déchue » ne se trouve pas dans la même situation qu’une minorité
bien consciente de l’être comme par exemple les Juifs ou les Protestants en
France. La défaite est pathogène et il y a plusieurs pathologies sociales qui
peuvent en découler : la nostalgie du bon vieux temps médiéval ou de la ContreRéforme en est une, mais une bien pire est d’applaudir à sa déchéance en
adoptant le point de vue des adversaires de l’Eglise dans une variante du
syndrome de Stockholm. En réduisant l’Histoire et la Tradition catholique à une
suite d’ignominies, on parvient à justifier les revers de l’Eglise. L’apostolat ne
sera plus d’annoncer la bonne nouvelle aux hommes, mais de leur montrer
combien l’Eglise a changé. Cette apologétique n’a jamais fait un chrétien de
plus.

147 Les catholiques et les évangélistes « fondamentalistes » peuvent s’y opposer aux lois favorisant
l’avortement.
99
Quels sont les groupes qui, bien que minoritaires parviennent à se maintenir
dans cette société anomique148 ?
Le « repli sur soi » communautaire semble une nécessité.
• Ce sont toujours des groupes qui réussissent à constituer une contresociété, avec ses lois et sa hiérarchie propre. Les tontines asiatiques qui
permettent d’acheter restaurants et boutiques sans passer par les banques
supposent une police interne exercée par quelque Triade. Mais laissons de
côté ici, les minorités ethniques149
.
• On pourrait montrer comment les sociétés à cooptation, ordres
chevaleresques, franc-maçonneries, voire sociétés bachiques ou
gastronomiques forment des réseaux qui colonisent des pans entiers de la
société globale. S’inspirer de tels modèles supposerait implicitement que
les cathos se soutiennent particulièrement (par exemple que les chrétiens
réfugiés du Moyen-Orient, soient accueillis de façon privilégiée, ce qui
n’est certainement pas le discours que tiennent les « curés » sur
l’immigration.)
• La viabilité des sectes150 même celles qui s’opposent le plus au consensus
dominant, montre quelles sont les structures et les pratiques qui leur
permettent de subsister et parfois de prospérer. La régularité de rites bien
définis (regroupements hebdomadaires, récitation de mantras à certaines
heures, etc.) est un élément important d’auto-identification ; au centre du
dispositif social, l’influence d’un « gourou », le chef charismatique
souvent fondateur, permet de fédérer les diverses composantes de la secte.
En France, seules les « communautés nouvelles » se sont inspirées de ce
modèle, avec ses risques et son dynamisme. Sinon, quand un curé a trop
de succès et remplit son Eglise, on l’accuse de faire concurrence aux
paroisses voisines, et on le déplace. « Pas de vagues », c’est la devise de
la hiérarchie « moderniste ».
• On pourrait enfin évoquer ces « Eglises domestiques » que sont les
familles. Il y a une certaine logique au fait que les « tradis » groupe qui
s’oppose le plus151 au consensus individualiste de la société globale, sont
148 On pourrait dire « antinomique »…
149 Les sociologues de l’Ecole de Chicago ont montré le rôle salutaire des regroupements « communautaires »
pour les immigrés.
150 Sectes pourtant systématiquement dénoncées et « diabolisées » par les médias de la grande secte dite
« société libérale avancée ».
151 Enfin, tout est relatif, car même chez les tradis, influencés par la théologie post-tridentine classique ellemême individualiste, beaucoup n’envisagent leur fin dernière que sous le mode du Salut de l’âme individuelle.
Certains progressistes et modernistes, qui défendent le « nous irons tous au Paradis » ont apparemment
rompu avec cette vision, remplaçant la personne par les masses. Il me semble que l’universalité du Salut ne
100
aussi ceux qui fondent des familles nombreuses et tentent de maintenir le
lignage. Les « vieilles familles » ne sont pas plus anciennes que les autres,
mais elles ont une plus longue histoire qui enracine ses membres dans une
identité particulière. Caricaturalement : légendes familiales, généalogie,
albums de photos, maisons de famille, autant d’habitudes qui limitent
l’individualisme ; les pressions familiales permettent une certaine
résistance aux pressions de la mode (par exemple en portant des
vêtements « classiques »).

On pourrait regrouper ces moyens sous le nom de « communautarisation », On
sait par les « Actes des Apôtres » (2.44-46) que les premiers chrétiens «
vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre
tous en fonction des besoins de chacun. (vie communautaire) Chaque jour, d’un
même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans
les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur »
(rituel en commun régulier).
C’est par la vie communautaire qu’il est possible pour un groupe de subsister en
milieu hostile ou même indifférent. C’est pourquoi, les « élites » qui dirigent
sont plutôt hostiles aux communautés152 qui sont susceptibles de prendre
quelque distance vis-à-vis de leur hégémonie ; en France, la mentalité jacobine
renforce cette hostilité d’autant plus que l’immigration de masse y est dénoncée
comme un communautarisme musulman susceptible de provoquer la sécession.
Au contraire, héritière de la pensée contre-révolutionnaire, la doctrine sociale de
l’Eglise, est plutôt favorable aux communautés (principe de subsidiarité, corps
intermédiaires, etc.). Dans les années « conciliaires », le mot « communauté » a
été valorisé (peut-être pour l’opposer à la nature hiérarchique de l’Eglise ?),
mais dans les faits ? Le « renouveau » d’alors s’attaquant à la tradition
historique de l’Eglise et des Eglises locales, et plus ou moins ouvertement aux
coutumes de la religion populaire153, la dimension communautaire avait peu de
chances de s’épanouir.
concerne pas « tous les hommes », mais « tout l’Homme ». Le salut personnel, familial, tribal, national, culturel,
nous est donné par grâce pour autant que nous puissions nous rattacher à cet Homme Nouveau. « Par grâce »,
je devrais dire par « fripouillerie ». Une histoire de fripe : Rebecca (la Bonne Mère) recouvre Isaac d’une peau
de mouton pour tromper Jacob et obtenir sa bénédiction à la place d’Esaü le poilu. Le Salut n’est en aucun cas
« un droit », ni même de mérite, ce serait plutôt un quiproquo. Voire une fraude.
152 Sauf les communautés qui permettent la domination des réseaux dirigeants masqués par une phraséologie
démocratique ou du mérite…
153 Dédaignées comme « folklore ». Or le folklore, c’est la culture du peuple. Dans la société mondaine à la
même époque, le folklore devient un spectacle pour touristes, tandis qu’une industrie démagogue, produit une
101

Sans doute, à l’imitation des Eglises pentecôtistes et revivalistes américaines, en
marge de l’institution, se sont multipliées « les communautés nouvelles » qui
tentaient de compenser l’assoupissement ou l’éclatement de structures, avec un
succès certain. Mais le modèle des communautés hippies a été la matrice de ces
« communautés nouvelles », en France comme aux USA.
Ferdinand Tönnies154, un sociologue allemand, distinguait deux formes de
sociabilité : la communauté et la société. Les liens sociétaux ou associatifs
(gesellschaft), sont fondés sur la volonté des associés ayant pour but l’intérêt des
contractants et régulées par des règles impersonnelles et « rationnelles »
(constitution, Loi, règlement, contrat…). Les liens communautaires
(gemenschaft) sont fondés sur quelque chose d’antérieur ou de supérieur à la
volonté individuelle (que Tönnies appelle curieusement « volonté organique »),
la parenté, l’identité tribale ou nationale, ou encore l’appel de Dieu. Les
relations ne sont pas spécialement bonnes, mais plus affectives, voire
fusionnelles155
. On peut se « sacrifier » pour sa famille, sa Patrie ou sa Foi, mais
se sacrifier pour une association de locataires est idiot. Les liens associatifs sont
fragiles car ce que la volonté fait, la volonté peut le défaire. Pour stabiliser de
tels liens qui tournent vite à l’affrontement « politique », il faut multiplier des
règles explicites et une hiérarchie lourde qui les fasse appliquer.
Le XXe siècle fut la grande époque de la remise en question du rationalisme
social : on rêva d’abord, de liens « organiques » non fondés sur le raisonnement
abstrait (je fais allusion au fascisme italien, au courant volkisch en Allemagne, à
la « démocratie organique » de Salazar au Portugal, etc.). A partir du milieu du
siècle se développa une forme plus individualiste de l’antirationalisme : la
spontanéité devenait - surtout aux USA – une valeur centrale. La pédagogie
prétendait renoncer à toute discipline pour laisser s’épanouir la libre expression
des enfants156 ; on nommait « mao-spontex » les partisans du communisme
chinois qui s’affranchissaient de toute discipline de parti ; « l’autogestion » des
culture « pour le peuple » qui contribuera à sa désagrégation anomique. L’Eglise de France semble parfois avoir
été tentée par le style « guitare yé-yé » de l’époque de « Nous les garçons et les filles ».. Certaines paroisses
sont des conservatoires de ce style qui en réalité ne s’adresse pas à la jeunesse présente, mais à la jeunesse
passée des « boomers », comme on diffuse des chansons des années 60 dans les EPHAD.
154 Ferdinand Tönnies Communauté et Société (PUF 2010)
155 Entre les deux concepts on pourrait situer les « communautés d’élection » : partis politiques, clubs, loges
maçonniques, « communautés » homosexuelles, etc., sont évidemment moins pérennes que les communautés
organiques (il n’y a pas de fraternité sans paternité), mais se révèlent très efficaces comme « ascenseurs » dans
une société anomique.
156 Cf. : A.S. Neil Libres enfants de Summerhill (Gallimard 1985). Cela fait penser à cette légende où l’Empereur
a fait élever des orphelins avec interdiction de parler devant eux. Ainsi on avait le fol espoir de retrouver la
langue originelle. Mais ces enfants, faute de modèle n’ont jamais parlé.
102
entreprises devenait à la mode ; face aux raisonnements, on valorisait la
confiance à son ressenti (« intelligence émotionnelle »)…
C’est dans ce contexte mythique, déjà postmoderne, que se développa aux USA
puis ailleurs, le grand rêve de la « maison bleue adossée à la colline » chanté par
Maxime Le Forestier. Tout le monde peut accéder à l’intimité chaleureuse du
groupe, sans règle, sans rite de passage ; « On ne frappe pas, Ceux qui vivent là,
Ont jeté la clé ». Cette maison bleue ressemble fort à « l’Abbaye de Thélème »
de Rabelais (Gargantua), la première utopie de la littérature française. La devise
et la seule règle de cette anti-abbaye est « Fay ce que vouldra »
Curieux mixte de désirs antithétiques : celui du désir fusionnel de la
communauté tribale et celui de l’autonomie individuelle, mythe central de la
modernité.
Et c’est bien sur cette utopie que des milliers de communautés ont tenté de se
fonder à l’époque « hippie ». Utopie irréalisable : comme les Etats anarchistes :
ces communautés avaient une durée d’existence très courte ; trois jours, trois
mois voire trois ans, les seules qui perduraient plus étaient les sectes à
gourous…
Il n’y a pas de fraternité sans paternité ou maternité, je veux dire que c’est la
Transcendance qui fait la communauté ; la communauté est fondamentalement
hiérarchique au sens étymologique de Hieros (sacré) et arché (originel donc
ancien). C’est par ces « règles » que les communautés monastiques ont pu durer
pendant des siècles.

Dans ce contexte d’une Eglise « déboussolée », les « communautés nouvelles »
ont été souvent (mais heureusement pas toujours) des feux de pailles, brillants
mais non durables. Il faudrait connaître les facteurs qui ont pu accompagner les
communautés qui perdurent. Le patronage d’un vieil ordre comme celui des
Jésuites pour « Le Chemin Neuf » ? Plus de prudence dans les règles ( le « aime
et fais ce que voudras » n’abolit pas les inclinations tordues depuis la chute
originelle) ? Une supervision plus étroite des chefs charismatiques par des
directeurs de conscience avisés ?
En tout cas, quand même, il faut sauver le modèle des communautés
charismatiques qui a été la roue de secours providentielle durant cette crise que
l’Eglise traverse.

103
j. La communauté, condition d’un apostolat hardi
L’existence d’une Eglise identifiante parce que bien identifiée, enracinée dans
l’Histoire de la nation française, non seulement ne s’oppose pas à un apostolat
hardi, mais elle en est la condition-même. Un réseau de ports bien établis rend
possible les expéditions lointaines. L’Eglise « dans le monde mais pas du
monde », doit apprendre à filtrer les normes mondaines. C’est un sophisme
d’opposer cet impératif de « défense » à celui de l’apostolat missionnaire.
Les sectes ne subsistent que parce qu’elles savent coordonner les deux attitudes :
une certaine « fermeture » vis-à-vis de l’environnement social d’une part, et
d’autre part des techniques de pénétration de cet environnement, techniques de
réseaux pour les sectes à cooptation, techniques de quadrillage de la population
pour les sectes prosélytes.
Il faut des murs, et des portes qui se ferment et s’ouvrent pour permettre ce
double mouvement : n’être pas du monde pour aller témoigner dans le monde,
faire venir dans des structures d’accueil d’Eglise des convertis ou des personnes
convertissables.

Ce n’est pas seulement en Amérique du Sud que les « évangéliques » taillent des
croupières à l’Eglise catholique ; il ne serait pas absurde d’étudier les meilleures
pratiques de la concurrence (« benchmarking »).
On se moque souvent des « Témoins de Jéhovah » qui viennent vous déranger à
l’heure du repas. Mais on devrait plutôt s’interroger sur les ressources qui
permettent que se maintienne une secte à la théologie délirante, qui a subi de
nombreux schismes et a prédit plusieurs dates de fin du monde qui ne se sont
jamais réalisées. C’est que courageusement, ils vont chez les gens, pour leur
annoncer leurs catastrophes en guise de « bonne nouvelle ».
Je sais, au sein du catholicisme, des « évangélisations de rue » sont parfois
timidement organisées, cela est probablement utile pour déniaiser les
évangélisateurs et leur apprendre à faire fi du respect humain et du laïcisme
implicite en France. Mais du point de vue de l’efficacité technique, ça se traduit
par des coups d’épée dans l’eau ; c’est idiot. C’est dans l’intimité de leur foyer
qu’il faut poser les interrogations fondamentales. Cela permettra de ficher ce que
l’on peut connaître de la personne ; de revenir à la charge, ou d’y envoyer
quelqu’un de mieux adapté pour lui annoncer la bonne nouvelle.
A la fin de leurs études, les mormons, jeunes gens bien propres sur eux,
consacrent une ou deux années de leur vie à cette forme d’apostolat.
104
Personnellement, un de mes amis de l’Opus Dei m’a proposé pendant plusieurs
années de faire, à deux seulement, un mini-pèlerinage local, une marche d’une
heure ou deux, marche entrecoupée de quelques prières de base. Bien entendu,
j’ai bien compris la part de « procédé technique » de cette démarche. Néanmoins
je garde une grande reconnaissance à cet ami qui a su « sacrifier » plusieurs
après-midis pour moi et le souci de mon salut.
Pour « dérangeantes » qu’elles soient, ces méthodes d’apostolat, par leur
insistance-même montrent combien nous ne sommes pas indifférents aux autres.
« Voici que je me tiens devant la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix
et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui et lui avec moi. »
(Apocalypse 3.20)

Bien entendu, pour pratiquer de telles techniques, il faut cultiver l’amour des
hommes et le mépris du monde sans lesquels le « respect humain » rendrait ces
initiatives trop risquées. Et pour alléger l’influence sociale, il faut constituer une
contre-société communautaire dont les membres pénétreront les secteurs
dominants de la société en se faisant la « courte échelle ». Les jésuites (qui ont
servi de modèle pour le « révolutionnaire professionnel » de Lénine) ont la
réputation de savoir le faire ; mais au service de qui sont aujourd’hui les
jésuites ?
Bien que minoritaires, les juifs ont appris à se faire respecter ; pourquoi pas les
catholiques puisqu’ils ne sont plus majoritaires ?
Le débonnaire rapport au monde, prêché dans les églises, ne nous prépare pas à
ces combats. C’est pourtant une des dimensions que l’Eglise militante devra
intégrer. On comprend pourquoi tant de notables de l’Eglise trouvent plus
confortable d’effacer toute différence entre l’Eglise et le monde…
"Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc
prudents comme les serpents, et simples comme les colombes." (Matt 10.16)
105
CONCLUSION
De façon certainement trop allusive, j’ai voulu montrer comment l’Eglise s’est
tiré une balle dans le pied par sa tentative d’accorder la Tradition catholique
avec l’humanisme moderne. Le syncrétisme est mal ficelé.
Sans doute l’Eglise a su rallier l’Empire romain, passer aux barbares, se modeler
au système féodal, tenir encore avec l’absolutisme et pourquoi pas puisque,
comme Jésus le dit à Pilate, « tout pouvoir vient de Dieu » (omnis potestas a
Deo). Pourquoi cette difficulté avec l’humanisme moderne ? Mon hypothèse,
c’est que les régimes anciens étaient « naturels » (de la Nature déchue bien sûr),
tandis que la modernité est par essence une hérésie chrétienne et que l’Eglise a
toujours été menacée par ses hérésies dans lesquelles elle se « reconnaît ». Le
mal ne crée pas, il déforme.

On pourra me reprocher que je parle beaucoup des ressorts humains,
psychologiques, politiques et culturels, et pas assez de la grâce et des
« moyens » spirituels.
C’est que je ne suis qu’un sociologue et que philosophie et sciences humaines ne
sont qu’ancillaires, servantes de la théologie..
Je crois personnellement que dans la Création et dans l’Histoire (sainte), la
Grâce divine n’est pas résiduelle, ni même « importante », mais qu’elle est tout.
Je crois en la Providence et rien ne peut faire obstacle à la volonté divine. La
prière « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » m’apparaît
moins comme une demande que comme un constat. Je ne nie pas une certaine
autonomie de la création, la liberté des anges et des hommes. Mais cette
« liberté » ne peut être un réel obstacle à la Toute Puissance. Croyant servir son
ambition, Nabuchodonosor fut l’instrument de l’Eternel pour châtier l’infidélité
des Hébreux ; Judas, Caïphe ou Pilate contribuent, sans le savoir, au Salut c’està-dire à la réalisation du Sacrifice qui avait été demandé à Abraham.
« Père, pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (St. Luc 23.34)
Le Dieu bon, distribue sa grâce par des moyens surnaturels comme par des
canaux naturels, par les bonnes actions mais aussi par les mauvaises ; tout est
grâce. Certains savent et d’autres pas…
106
Pour autant, ce serait une erreur de ne pas recourir aux moyens dictés par la
raison pour témoigner de notre confiance dans la Providence, car ces moyens
sont aussi des grâces qui nous sont données. De même, les combats pour le Vrai,
le Beau, le Bien, qu’ils soient victorieux ou non, sont aussi de volonté divine.
La confiance en Dieu, la prière, n’exclut pas la réflexion « positive ». Connaître
la part « mécanique »
157 de l’homme, ce n’est pas nier la part de liberté qui a été
donnée aux personnes ; bien au contraire, c’est relativiser cette liberté et la
mettre à sa juste place.
« Distinguer pour unir » disait Maritain. Il faut pouvoir distinguer sinon le
« surnaturel » servira de prétexte pour tout confondre, les « signes des temps » et
les modes mondaines avec l’action de l’Esprit-Saint. Mais il n’y a pas d’un côté
un monde spirituel, domaine des pures intentions et de l’autre un monde
matériel qui ne serait qu’un amas de choses insignifiantes, mues par des
relations mécaniques, domaine d’un savoir rationaliste. Non « les pierres
crieront ». (St. Luc 19.40) La physique sociale, les situations, les événements et
toute la création sont des messages à déchiffrer qui mêlent, comme tout
message, une part signifiante et une part signifiée.

Dans les années 70, la plupart des curés développaient ce thème : « Parmi les
fidèles, Il y en a qui pensent que ça va trop vite, et d’autres que ça ne va pas
assez vite ». Et, en restant à mi-chemin de cet entre-deux, ils pensaient être
sages. In medio stat virtus. Et pontifiant, ils concluaient, en enfonçant les portes
ouvertes : « on ne reviendra jamais en arrière ».
En réalité ils manifestaient leur adhésion à la Modernité dont l’un des trois
piliers est la croyance au mythe du Progrès ; il y aurait un sens unique et
nécessaire (le « sens de l’Histoire »). La seule liberté serait la vitesse avec
laquelle on adopterait les « changements ». Or, ce qui importe est moins le
rythme que la direction.
Sans doute au sein de chaque culture, de puissants mythes se manifestent,
engendrant des courants historiques que l‘on croit irrésistibles ; mais ils ont
toujours un terme. C’est une grande vérité métaphysique que tout ce qui a un
début a une fin. La vague qui renversait les plus grosses chaloupes finit par
s’étaler sur la plage avant de refluer…
157 Je crois que le terme est de Pascal.
107
En matière pastorale comme dans les autres domaines, on peut se donner des
grandes libertés créatives en ne se polarisant pas sur le rythme du changement,
mais sur les autres directions que ce changement pourrait prendre.

Pardon à mes frères qui se décourageraient devant cet inventaire d’une Eglise en
ruine ; mais pour moi, c’est aussi le témoignage d’une Espérance, celle de ne
jamais cesser le combat, dans notre conscience, dans le monde mais aussi au
sein de l’Eglise. Car, dans l’état de vie dans lequel nous avons été appelés, « il
ne suffit pas de souffrir pour l’Eglise, il faut encore souffrir par l’Eglise ».
Michel MICHEL sociologue
apprieu@gmail.com
Qui voudrait approfondir certaines de ces réflexions, pourrait se reporter à mon
ouvrage Le recours à la Tradition – la modernité : des idées chrétiennes
devenues folles (L’Harmattan 2021)
108
ANNEXE 1
Sur les décisions les plus probables (c’est-à-dire déjà prises), dans les
rencontres « Synode sur la synodalité »
Comment faire fonctionner, surtout dans le monde rural, de « grandes
paroisses » regroupant de plus en plus de « relais » (les anciennes paroisses)
alors que les prêtres sont de moins en moins nombreux ?
Demander aux laïcs de remplacer les « curés » trouvera chez les « chaisières »
pas mal de volontaires et permettra de se justifier auprès des lobbys féministes
dans l’Eglise ; on peut être plus circonspect devant leur qualification.
Nous nous retrouvons devant des générations dont le contenu de la Foi s’est fait
à coup de gommettes et de découpages de magazines, et même si l’on objecte
que la formation des prêtres par des théologies de fantaisie voire carrément
subversives n’est pas plus rassurante, il faut craindre que de tels intermédiaires
aboutissent à la multiplication de mini-schismes ou ce qui n’est pas mieux, que
des personnes un peu timides ne puissent faire la différence, dans les
orientations venues des services de l’évêché, entre les fondements de la Foi et
d’éphémères modes théologiques.
Si une telle option de laisser les rênes aux laics devait être choisie, je suggère
qu’on en revienne aux petites paroisses qui sont des réalités historiques et
sociale multicentenaires (le voisinage est un fait qui échappe aux utopies
idéologiques) : cela limitera les dégâts et permettra aux paroissiens mal à l’aise
de fréquenter une paroisse voisine. Et qui sait ? Sur le grand nombre peut être
quelques vraies communautés émergeront.
109
ANNEXE II
Le « dialogue des religions » se fait essentiellement par l’affrontement
En voilà qui ne crachent pas sur les « tradis ».
Les techniques de « dialogue » amènent tellement à arrondir les angles qu’on ne
connaît plus la religion de l’autre, ni même la sienne. L’apostolat suppose une
certaine hardiesse qui n’est pas sans rapport avec le métier des armes. Mais on
peut respecter son adversaire, et même l’aimer…
110
ANNEXE III
Quand les candidats à la prêtrise ne sont pas ceux que la hiérarchie aurait
voulue
Lu sur Face de bouc
« Je sors plutôt peiné d’une conversation avec quelques bourgeois bohèmes,
cadres supérieurs fraîchement retraités, « gentiment de gauche », disait Fabrice
Luchini (à condition tout de même que leur argent soit bien sécurisé), qui se
lamentaient que les séminaristes et les jeunes prêtres de France soient trop «
identitaires » et pas assez « ouverts », à leurs yeux. Eux se proclamaient
évidemment très ouverts, ce qui est le signe certain d’une étroitesse d’esprit, car
un cœur vraiment large n’a pas à le proclamer sans cesse...
Le succès évident de certaines communautés « de sensibilité traditionnelle »
était visé comme un risque de dérive et suspect de favoriser un manque de
liberté ou un cléricalisme coupable. Car on évoque facilement un risque
d’emprise dès qu’une communauté a une identité claire, une conscience assumée
de ce qu’elle est et des règles de vie exigeantes...
Accueillir avec reconnaissance les prêtres
Je leur ai donc demandé, non sans ironie, que Dieu me pardonne combien de
jeunes comptaient entrer au séminaire, dans leurs familles, pour faire
contrepoids à tous ces « identitaires » qui avaient la fâcheuse habitude de donner
leur vie au Seigneur. Les portes des séminaires étant grandes ouvertes, pour
entrer comme pour sortir, je n’ai pu que manifester ma stupéfaction, puisqu’ils
voulaient une Église plus « verte » et plus ouverte, qu’ils ne fournissent
absolument aucune vocation à la vie consacrée...
Mais, plus profondément, je crois qu’il nous faut retrouver le sens de l’action de
grâce pour ce que Dieu accomplit dans son petit troupeau, et accueillir avec
reconnaissance les prêtres qu’Il nous donne. »
Père Luc de Bellescize
111
ANNEXE IV
Une fracture générationnelle
(Je ne parviens pas à transformer l’image-photo en texte)
112
113
ANNEXE V
Lettre à mon évêque sur Traditionis custodies
Monseigneur Guy de Kerimel Evêque de Grenoble – Vienne
En la fête du Christ-Roi le 21 novembre 2021
« LA PIERRE QU’ONT REJETÉE LES BÂTISSEURS
EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE » (PS 117)
Monseigneur,
Nous vous remercions de nous avoir envoyé le décret pour la mise en application du motu proprio
Traditionis Custodes dans votre diocèse. .
Depuis la fin des années 60, la pastorale qui a été adoptée a abouti à la perte de plus des neuf
dixième des fidèles. En résistance à cette déroute générale : les traditionalistes et les
« charismatiques ». Les fidèles qui restent dans les paroisses (moins d’un dixième) sont les personnes
qui ont cru à la « Nouvelle Pentecôte ». Ceux-ci semblent aujourd’hui sans Espérance (les fins
dernières ne sont plus prêchées), avec une Foi imprécise et parfois franchement hérétique (ils ont
suivi des catéchismes ectoplasmiques) et leur Charité tend à se restreindre à une obole pour les ONG
dans le style du CCFD). Parmi ceux qui restent, il y a aussi des personnes qui préfèreraient participer
aux messes tridentines mais que la distance ou la condition physique empêche de se déplacer aux
deux trop rares églises qui ont été concédées. C’est notre cas comme bien d’autres (vous voyez que
nous ne considérons pas la messe de St.Paul VI comme invalide !). Nous savons aussi que certains
convertis n’ont connu la messe qu’à travers la messe « moderne ».
Néanmoins la pastorale mise en place à la fin du XXe siècle et dont la liturgie est pour les fidèles la
principale manifestation est un échec évident : vous devez en savoir quelque chose…
Les seuls signes d’Espérance étaient chez les « charismatiques » (qui ont parfois mal tourné mais se
sont en majorité ralliés à la doctrine catholique classique) et chez les traditionalistes. Ceux-ci font des
enfants et leur transmettent la Foi ce que parviennent difficilement à faire les catéchistes de nos
paroisses.
Ce sont dans ces communautés et ces familles « tradis » (au sens large, scouts d’Europe, Pèlerinage
de Chartres, Rosaire, etc.) que proviennent une grande partie des vocations et des initiatives
missionnaires (tous les convertis de l’Islam au Catholicisme que nous connaissons sont passés par
une communauté « tradi »).
Nous comprenons que l’existence de plusieurs rites suscite et traduit des perspectives différentes et
qu’il y a peut-être des risques de séparation d’une « Haute Eglise » et d’une « Basse Eglise » comme
chez les Anglicans. Mais à cela il fallait y penser dans les années soixante où l’imposition autoritaire,
cléricale, « jacobine », d’une nouvelle messe prétendant s’appuyer sur l’autorité de « l’esprit du
Concile », alors que les textes votés par les Pères conciliaires ne l’avaient même pas voulu.
La substitution aurait pu réussir mais elle a suscité de telles excentricités (« Je crois en Dieu qui croit
en l’Homme », « messes-lasers », chasse au hiératisme, etc.) que la plus grande partie des fidèles
s’en sont détournés et que la résistance s’est organisée.
114
Chacun fait des vœux pour l’unité de l’Eglise ; ceux qui ont imposé les changements liturgiques
auraient dû y penser avant. Aujourd’hui, vous souhaitez que les « tradis » rejoignent les autres
paroisses ; mais s’ils sont minoritaires (pour quelque temps), les « tradis » se sentent, eux, vraiment
en unité avec des siècles d’Eglise, ce qui n’est pas souvent le cas ailleurs où on insiste surtout sur
l’opposition avec « l’Eglise d’avant le Concile ».
A présent la hiérarchie ne parviendra pas à faire disparaître ce courant si vivace : depuis les réformes
de Pierre Le Grand il y a toujours des « vieux-croyants » les raskolniki, en Russie, des « vieuxcatholiques » après Vatican I, des sunnites après Attaturk et il existe encore une « Petite Eglise »
depuis le concordat imposé au Pape par Napoléon.
Pour résoudre la tension, deux options étaient possibles : faire la paix, en adoptant pour tous les rites
ordinaires et extraordinaires, une « herméneutique de la continuité » ce qui pourrait aboutir dans
quelque Vatican III à la réunification de ces rites (la question de la langue latine ou vernaculaire est
secondaire) ; cette issue élégante était proposée par Benoit XVI (mais bien peu appliquée
généreusement dans trop de diocèses). Au fur et à mesure les relations devenaient plus souples et
les uns acceptaient de participer aux messes des autres.
L’autre solution choisie par François : faire la guerre des liturgies et pousser les « tradis » au schisme.
Je suppose que le Pape sait parfaitement que les « tradis » n’abandonneront pas des positions à
travers lesquelles ils reçoivent tant de grâces, pour des paroisses souvent moribondes. On peut
imaginer que la stratégie vaticane consiste à donner toutes les facilités à la communauté St. Pie X et
à persécuter les autres communautés Ecclesia Dei (celles qui s’étaient constituées par fidélité au
Pape) pour que leurs membres se réfugient dans les structures lefebvristes bien établies. Dans un
second temps, il sera facile de trouver un prétexte doctrinal pour déclarer ce groupe unifié en état de
schisme (on dit qu’au début de son pontificat, François déclarait qu’il ne craignait pas le schisme).
Monseigneur, à quoi serviraient toutes les lamentations sur la division des chrétiens lors de la
semaine sur l’œcuménisme si vous participiez à cette opération qui consiste à nous acculer au
schisme ?
Vous semblez souhaiter que les laïcs prennent leur place dans la vie de l’Eglise, c’est ce que nous
allons faire en transférant la petite somme que nous versons au diocèse chaque mois sur la FFSP et
l’Institut du Bon Pasteur. Cette décision n’est pas due à quelque « sensibilité esthétisante », et donc,
en conscience, nous pensons ainsi mieux contribuer au redressement de l’Eglise.
Nous vous remercions de l’attention que vous nous prêtez, nous vous témoignons, Monseigneur, de
notre fidélité à la Tradition apostolique qui vous a été transmise.
Françoise et Michel MICHEL
115
ANNEXE VI
Comment on persécute ceux qui parviennent à surmonter la
crise
Ordinations suspendues à Toulon : des fidèles adressent une
supplique au pape
Choqués par la décision de Rome de suspendre les ordinations du
séminaire de Fréjus-Toulon, une trentaine de fidèles du diocèse ont décidé
d’écrire au pape François. Le texte a déjà recueilli plus de 7000 signatures.
Publié le 7/06/2022 dans Famille Chrétienne
« Nous, fidèles de l’Église en France, avons appris avec stupeur et douleur
les interdictions qui pèsent sur Mgr Dominique Rey, évêque de FréjusToulon et ne comprenons pas ces motivations. » C’est en substance le
contenu de la supplique qu’une trentaine de catholiques du diocèse de
Fréjus-Toulon adressent au pape François après la décision prise par
Rome le 2 juin de suspendre les ordinations du séminaire de La Castille.
Un diocèse uni derrière son évêque Mgr Rey
« Cette décision qui a été prise nous interroge profondément, et nous
choque, en premier lieu pour les séminaristes privés d’ordination qui
doivent y faire face », écrivent les initiateurs de ce texte déjà cosigné par
7000 personnes depuis son lancement le 3 juin. Si les auteurs de la
supplique accueillent cette décision « dans l’obéissance en l’Eglise », ils ne
la comprennent pas, particulièrement « au vu de ce que nous connaissons
de Mgr Rey, de sa personnalité et de son action dans son diocèse depuis
22 ans ».
« C’est un évêque qui a donné, par son action mais aussi par sa
personnalité, beaucoup d’Espérance pour le renouveau de l’Église de
France, insistent-ils. Le diocèse de Toulon est unifié autour de son évêque
dans un élan missionnaire, comme en témoigne le succès des nombreuses
initiatives nées dans ce diocèse, en particulier celles qui touchent les plus
défavorisés, ou encore la moyenne d’âge de 55 ans des prêtres ; ce sont
des signes d’espérance pour l’ensemble de notre Eglise », poursuivent les
signataires, qui s’inquiètent « avec gravité des conséquences durables sur
les relations entre Rome et le peuple chrétien de France, déjà brutalement
secoué ».
Des conséquences pour toute l'Eglise en France
116
Tout en reconnaissant que l’évêque de Fréjus-Toulon n’est pas parfait –
« nul ne l’est » -, le collectif de fidèles loue la créativité et l’audace de Mgr
Dominique Rey. « Par son action il essaie de servir l’unité de l’Eglise et fait
en sorte que chacun y trouve une place. Nous sommes nombreux à avoir
senti sa bienveillance », souligne la supplique. « Très Saint Père, sans
doute la décision qui a été prise à l’encontre des séminaristes et du diocèse
est justifiée par des motifs, mais ce que nous savons c’est tout le mal
immense que les interdictions qui pèsent sur Monseigneur Rey, vont faire à
l’Eglise en France » concluent la trentaine de rédacteurs qui appellent à ne
pas laisser « les inquiétudes des chrétiens en France se multiplier ».
117
ANNEXE VII
Quand l’autorité divague, l’impertinence devient pertinente
Relevé sur le compte FB de l’Abbé Guy Pagès (5 mai 2022)
"L'Eglise est en crise ? Retour aux bases.
« Que faire ? » – comme disait Lénine ? Eh ben, je vais te dire Mgr Dukorbak.
Tu commences par te saper en vrai curé, en noir, et pas en bermuda avec des
godasses orthopédiques. Si tu es un gradé, t'hésites pas dans la dentelle et les
tissus colorés, les bagouzes avec des grosses caillasses et les breloques en jonc.
Ensuite, tu arrêtes de fourguer les tableaux et les statues au brocanteur du coin,
tu sors de la cave toutes les vieilles croutes qui foutent les jetons ; si tu as deux
ou trois vues de l'Enfer bien craignos, c'est impec'. Tu redores tout ce qui est
dédoré.
Tu balances ta guitare et tu passes de la musique sacrée, des chœurs de moines
bien moyenâgeux, de l'orgue bien tempétueux, le truc qui glace le sang des
rombières et qui fout les chocottes aux bourgeois.
Et, point CAPITAL, tu fais ta messe en LATIN, vu que traduit c'est de la daube.
Puis ton truc, pour que ça marche, il faut que ça ait l'air MAGIQUE et très
ancien, un rituel qui est toujours le même depuis toujours, depuis la nuit des
temps. Parce que le passé, c'est le couloir du futur, la seule fenêtre sur l'éternité.
Et surtout, surtout, que personne n'y capte rien. Regarde Macron : moins tu
piges, plus ça monte.
Une fois que tu as fait ce programme de ravalement minimum, passons au
dogme : tu arrêtes immédiatement de nous faire chier avec tes Africains, tes
pompes à merde pour le Mali, tes dessins d'enfants de la Paroisse et tout ton
bazar pour neuneus. Les gens s'en cognent. On est à Landivisiau, pas à Bamako.
Les ploucs, tu leur causes d'eux.
Tu fais ton taf : les vieilles, tu leur parles de la Mort ; les jeunes, de la Vie ; les
autres, tu les engueules. Ceux qui déconnent, tu leur causes du Diable, de l'Enfer
et de toutes ces conneries. Les autres, tu les rassures. Tu bénis les poireaux, tu
bénis la Mer, tu bénis les moissons : tu bénis tout ce qui bouge. Tout ce qui vagit
et tout ce qui chiale.
118
Et tu colles à tout le monde des devoirs du soir sous la forme de Pater et Nestor,
histoire de montrer que le représentant du Patron, c'est ta pomme et pas
Peppone.
Enfin tu fais ton boulot quoi, merde ! Et arrête de te prendre pour un syndicaliste
! Un vieux hippie troué, de retour de Katmandou, ou un évêque à péones ! Je te
le redis : on n'est pas à Tegucigalpa, mais à Saint Flour. Ton cheptel, c'est des
Français : relis un peu Balzac et Flaubert, ça te fera du bien. Les Français ont
plein de qualités mais aussi plein de défauts. C'est comme ça, et toi t'es là pour
corriger le tir.
Ils sont individualistes, jouisseurs, flemmards, hédonistes, avares,
inconséquents, lâches, idiots et trouillards. Ton taf, c'est de les rendre tout le
contraire, ce qu'ils sont aussi.
Et ENFIN – et là mon gars, ça ne plaisante plus, c'est tout juste si ce que je vais
te dire n'est pas DIRECT la parole de DIEU lui-même – tu ne déconnes plus
avec l'Islam. C'est pas tes potes. C'est pas les potes de tes ouailles. Tu
"dialogues" pas, parce que t'as perdu d'avance et tes moutons avec. T'es bien
trop niais et crédule, tu fais pas le poids. Tout le troupeau sera becté avant que tu
piges dans quoi t'as mis les grolles.
Œcuménisme tolérance zéro. On cause pas à la concurrence, on arrose d'eau
bénite, point final.
Tu es tout juste autorisé à être poli avec les Orthodoxes, et froid avec les
Calvinistes et autres Anglicans. Le reste – tout le reste – tu l'exorcises direct. Tu
menaces d'excommunier tous ceux qui s'en approchent, et tu convertis tous ceux
qui viennent vers toi.
Et puis apprends un peu à te faire respecter : le chef c'est toi ! Les autres ont tort.
Hors du chemin que tu montres, c'est bourré de loups garous.
En résumé : tu bosses à l'ancienne, bicoze ça marchait du tonnerre de Dieu et
que ta nouvelle cuisine, ben, c'est la faillite. Donc faut revenir au menu d'avant,
sinon tu vas fermer, et y'aura un kebab. »
Se caricaturer soi-même, dans le style de Michel Audiard, dispense les
autres de le faire.
119
TABLE DES MATIERES
Questions de méthode
PREMIERE PARTIE : ETAT DES LIEUX
Avant toute prescription, les médecins savent qu’il faut faire le diagnostic.
1. La genèse d’une hérésie chrétienne : l’Humanisme prométhéen
2. Deux générations après, le temps de l’inventaire est venu.
3. Comment expliquer cet échec pastoral ?
a. L’escroquerie de la « sécularisation »
b. L’effet mai 68
c. La marche vers l’Apocalypse
d. Les causes endogènes de la crise de l’Eglise
e. « Buvez toujours, il deviendra violet »
f. « Si tous les gars du monde voulaient se donner la main »
4. Une Religion de l’optimisme, de la Liberté et du bonheur
a. Sur le caractère euphorique à donner aux cérémonies
b. Le déni du tragique
c. Quel « bonheur » cette pastorale propose-telle ?
d. Le sacré « fascinans » et « tremendum »
e. Ce bonheur, tiède comme l’Eglise de Laodicée
découlerait de l’Amour divin ?
f. La négation du péché
g. « On ira tous au Paradis » (chanson de Michel
Polnareff)
h. L’Egalité contre l’Election divine
i. Le tabou de la mort
j. L’effacement du sacrifice
k. Une Eglise biodégradable dans le monde ?
120

DEUXIEME PARTIE : LES ORIENTATIONS POSSIBLES

1. C’est la liturgie qu’il faut mettre au centre de la vie chrétienne
a. Sur la pauvreté, la simplicité et le prosaïsme
b. Banalité de la langue de buis
c. Une religion facile à comprendre ?
d. La pseudo-authenticité
e. La beauté hiératique
f. Pourquoi les fidèles sont-ils à proprement parler, désorientés ?
g. La ruine de l’Eglise, c’est d’abord la théologie de la démythologisation
2. Quel apostolat ?
a. Fin de l’Eglise missionnaire ?
b. Le mystère des conversions
c. L’increvable religion populaire
d. Un fantôme de la Chrétienté, la religion identitaire
e. De la fin du « rationalisme » à l’époque postmoderne
f. Le jeu des quatre familles qui composent l’Eglise de France
g. Encourager dans l’Eglise ce qui donne des fruits
h. Retrouver la structure initiatique du catholicisme
i. Organiser le communautarisme catholique
j. La communauté, condition d’un apostolat hardi
CONCLUSION
Annexes
I. Sur les décisions les plus probables (c’est-à-dire déjà prises), dans les
rencontres « Synode sur la synodalité »
II. Le « dialogue des religions » se fait essentiellement par l’affrontement
III.Quand les candidats à la prêtrise ne sont pas ceux que la hiérarchie aurait
voulue
IV. Une fracture générationnelle
V. Lettre à mon évêque sur Traditionis custodies
VI. Comment on persécute ceux qui parviennent à surmonter la crise
VII. Quand l’autorité divague, l’impertinence devient pertinente
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3. Le mardi, septembre 12 2023, 14:53 par Zabou

Bonjour Monsieur, 

C'est un peu dommage que vous mélangiez tant de différents plans : il m'est difficile de vous répondre ! 

D'autant plus que le point de vue que j'utilisais dans mon post était, simplement, un point de vue théologique fondé sur l'ecclésiologie notamment. 

4. Le vendredi, avril 26 2024, 14:58 par zoritoler imol

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