« Le martinet se blessa pour que la
rencontre fût possible. Vint le jour que l’enfant, jailli des rochers, happé
par sa propre émotion, se précipita vers l’homme : il tenait un oiseau
dans ses deux mains. Hirondelle, dit l’enfant. Martinet, dit l’homme.
Pourra-t-il repartir ? dit l’enfant. Le martinet avait une aile cassée. On
s’était affairé toute une matinée. On avait construit une cage minuscule. Il ne
fallait pas que l’oiseau pût s’agiter. Avec du sparadrap, on avait serré les
ailes sur le corps fragile, l’aile valide, l’aile malade. Il ne faudrait pas y
toucher avant quelques semaines.
- Pourquoi a-t-il
des pattes si petites ? dit l’enfant. S’il tombe à terre, est-il vrai
qu’il ne peut jamais repartir ? Pourquoi Dieu lui a-t-il fait des pattes
si petites, des ailes si longues ?
- Dieu ! dit
l’homme. Dieu n’a pas de réponse, il pose les questions.
L’enfant survenait, déposait sur la seconde
marche la boîte peinte qui contenait les insectes – car Dona Paca, la gouvernante,
supportait mal que l’enfant s’introduisît dans la villa, - repartait vers ses
jeux, revenait avec la mer.
- Tu crois qu’il
volera ? disait un jour l’enfant.
- Patience,
disait l’homme.
- Ils disent
qu’il n’y a pas de martinet ici, disait l’enfant.
- Non, il n’y a
que les mouettes. Ici, il y a trop de pierre et de soleil pour les oiseaux de
grand ciel.
- Saura-t-il
retrouver son chemin ?
- Oui, disait
l’homme : ils ont leur chemin dans leurs ailes, tout préparé avec leur
bonheur. »
Jean Sulivan,
Mais il y a la mer, éd. Gallimard, p.
25-26.